Ahmed Benbitour continue à plaider pour le changement de tout le système de gouvernance, pour engager des changements de fond et réussir la transition politique et économique, afin d'endiguer la crise multidimensionnelle que vit le pays. Une crise qualifiée par Benbitour de plus grave que celle vécue en 1986. Lors d'une soirée-débat organisée jeudi dernier par la LADDH, à Alger, sur «l'impact des mesures de rigueur budgétaire sur les droits sociaux, culturel et économique des Algériens», Benbitour a affirmé que la société algérienne fait face à une crise politique, économique et sociale, à une crise identitaire et sécuritaire, à une mauvaise gouvernance, à la fuite des cerveaux et l'affaiblissements de la classe moyenne. Il préconise en urgence la mise en place de mécanismes d'une transition politique et économique intelligible et en toute transparence dans le cadre d'une division concordante et globale. Pour Benbitour, c'est une condition nécessaire pour une mutation tranquille de la société algérienne avec ses différences, loin de toute violence, exclusion ou insécurité, autrement dit pour éviter le chaos. Plus précis, le conférencier recommande un diagnostic de l'état moral de la nation et l'état de l'économie nationale en vue de définir un contrat social, un modèle d'un développement humain, les formes d'organisation et de fonctionnement des institutions politiques, économiques et administratives ainsi qu'une forme de partenariat entre l'Etat, la société civile et le marché. Mais pour Benbitour, ce diagnostic et la conception d'un contrat social ne peuvent pas se faire avec les acteurs du système en place. «Il faut changer tout le système de gouvernance pour engager une transition économique fiable et choisir des partenaires légitimes capables d'engager des négociations pour ce contrat». Benbitour est revenu sur la crise économique du pays en affirmant qu'elle existe depuis plusieurs années, mais elle a été tout simplement masquée en 2002 par l'aisance financière conjoncturelle due au prix du pétrole élevé. Et de préciser que toutes les conditions structurelles d'une telle crise étaient présentes. «Il en fallait s'en inquiéter sérieusement». Il précise que nous subissons une suite logique d'une politique budgétaire très fortement expansionniste et laxiste au moment même où le pays enregistre une baisse de la production et une augmentation notable de l'énergie, ce qui débouche sur une forte baisse des exportations hors hydrocarbures. Il explique en langage de chiffres que le volume des exportations justement a connu une baisse de 25,6% entre 2006 et 2011. Elles ont connu une autre baisse de 10% en 2011 et elles continuent à baisser dès lors jusqu'au jour d'aujourd'hui. Et de souligner que malgré cela, et malgré la baisse en volume, notre pays a enregistré des fortes dépenses budgétaires sur la fiscalité pétrolière. Le prix du baril qui permettait d'équilibrer le budget est passé de 34 dollars en 2005 à 115 dollars en 2011, et 130 en 2012. Il y a eu par contre recours au Fonds de régulation pour combler le déficit budgétaire. Et le comble, en 2014, «nous avons enregistré une baisse des prix et des quantités exportées, soit une accélération de la baisse des recettes». Le conférencier a critiqué en fait le comportement des autorités budgétaires face à cette situation. Un comportement, selon Benbitour, caractérisé par plus de laxisme, puisque le budget de fonctionnement de 2011 était en augmentation de 47% par rapport à celui de 2010. «Le budget de fonctionnement augmente en une année seulement de 47%, c'est irraisonnable !» s'est-il indigné. Pour Benbitour, il faut analyser la chute des prix du pétrole avec le contrat social, où on remarque que les autorités budgétaires ont dépensé plus quand les recettes de la fiscalité pétrolière ont baissé et elles ont dépensé moins au moment où le pays était à l'aise financièrement. «On a enregistré une augmentation de 23% seulement du budget de fonctionnellement en 2012 par rapport à 2011». Et de préciser que le système en place a misé uniquement sur le secteur des hydrocarbures, pourtant ce secteur n'assure que 4% du nombre des emplois, alors qu'il présente 40% du PIB et 98% de recettes en devises. Mais, regrette-t-il, au moment où il fallait engager des directions de réflexions pour apporter des réponses claires à ces questions, l'on a assisté à la naissance de la petite corruption et le règne de l'incompétence. Et après la libération du commerce extérieur, des forces ont agi pour faire une place dans l'échiquier politique et c'est la naissance de la grande corruption et la menace d'accaparement de l'Etat au profit des intérêts privés. Il y a eu également la marginalisation des intellectuels et de la classe moyenne qui devait servir de locomotive pour le changement et le développement. Benbitour précise qu'«il faut bien noter qu'il y a un lien fort entre la moralité, réforme économique et changement. Une mise en œuvre hésitante des réformes pousse fatalement vers la corruption au lieu d'encourager la compétitivité », a-t-il fait remarqué. Pour Benbitour, les obstacles sont beaucoup plus politiques et la responsabilité incombe aux personnes qui président et dirigent le pays. L'économiste et docteur en sciences politiques, Mourad Ouchichi, conforte les propos d'Ahmed Benbitour en affirmant qu'il y a une mainmise du politique sur l'économie et cela depuis l'indépendance, ce qui a conduit à l'échec des modèles économiques en Algérie. Il a estimé que le régime politique en place n'a pas une volonté pour un véritable changement, pour la simple raison qu'«il ne veut pas perdre le pouvoir économique, car s'il perd ce pouvoir, il perdra automatiquement le pouvoir politique». Il conclut sur la répercussion de cette crise en présageant une exaspération de la lutte des clans en haut et la prolifération de l'extrémisme religieux en bas, dans un contexte international très propice. Sur le plan économique, il y aura certainement une réduction des équipements au profit des entreprises « qui se fera en douceur et en catimini ». Et le privé sera certainement réorienté vers d'autres activités que la production, en raison de la dépréciation du dinar qui va s'accentuer. «Le privé ne pourra plus acheter de la matière première».