Les portraits de Felipe VI ou de son père Juan Carlos ne sont pas du goût de certains nouveaux maires de gauche espagnols, qui, en les retirant de leurs conseils, portent une nouvelle fois sur la place publique le débat sur la monarchie. La maire de Barcelone Ada Colau a lancé la première salve en faisant retirer le buste du roi Juan Carlos de la salle du conseil, jeudi, sous les flashes des photographes. Le buste en bronze se trouvait depuis presque 40 ans dans la salle du Conseil municipal. La mairie, dirigée depuis le 13 juin par une plateforme citoyenne intégrée par des militants associatifs et aussi des membres du parti antilibéral Podemos, considérait qu'il s'agissait d'une «anomalie», Juan Carlos n'étant plus le chef de l'Etat depuis juin 2014. L'adjoint au maire Gerardo Pisarello a aussi tenu à rappeler que la monarchie avait été liée historiquement à une Espagne de «privilèges qui ne sont pas dignes du XXIème siècle». Le débat n'est cependant pas cantonné à Barcelone. A Saragosse (centre) la municipalité dirigée par Pedro Santisteve, de l'antilibéral Podemos, a également tenté de changer le nom du gymnase municipal Felipe VI, espérant le rebaptiser en l'honneur d'un entraîneur local de basket. Jose Maria Gonzalez «Kichi», le nouveau maire de Cadiz, en (sud), également de Podemos a lui remplacé la photo de Juan Carlos qui trônait dans son bureau par une image d'un célèbre anarchiste de la ville. Presque 80 ans après la guerre civile (1936-1939) qui s'est soldée par la défaite des républicains et l'installation de la dictature de Francisco Franco jusqu'en 1975, certains y voient une «revanche historique», dans un pays où les blessures de ce conflit n'ont jamais été entièrement soignées. «C'est la revanche historique de la gauche la plus extrême qui n'avait pas participé à la transition», vers la démocratie, estime l'historien Abel Hernandez. «Cela relève du manque de sensibilité à l'égard du roi (Juan Carlos) qui a participé à 40 ans de stabilité et de démocratie», assure de son côté César de la Lama, biographe officiel du roi. Juan Carlos avait été désigné comme successeur à la tête de l'Etat espagnol par le dictateur et à ce titre, il est le symbole pour ses partisans d'une transition réussie de la dictature à la démocratie, en ayant permis l'avènement d'une monarchie parlementaire. Pendant cette transition, d'anciens franquistes, des socialistes, des communistes, et des nationalistes catalans ont rédigé ensemble la Constitution de 1978, symbole de réconciliation. En s'en prenant aux symboles, c'est ce texte fondateur que les nouveaux maires visent à remettre en question. Depuis les années 2010 la monarchie, ternie par les scandales de corruption touchant la deuxième fille du roi, l'infante Cristina, et son époux Iñaki Urgandarin, n'est plus intouchable. Et les parties de chasse au Bostwana du roi Juan Carlos en 2012, ses affaires de coeur en pleine crise, n'ont fait qu'enfoncer le clou. Depuis son abdication son fils Felipe VI tente de réparer le tort causé à l'image de la Maison royale, mais ces nouvelles escarmouches montrent que les efforts sont fragiles. Critiquer la monarchie dans des revues satyriques ou en art, à l'image du Juan Carlos sodomisé en vomissant des fleurs exposé au Musée d'art contemporain de Barcelone, est possible. Et la fin du tabou a gagné la politique. Les derniers événements «ne sont pour l'instant que des gestes mais il y a derrière l'idée de se défaire de la monarchie parlementaire et de la remplacer par une république», estime aussi le professeur de droit constitutionnel à l'UNED, Antonio Torres del Moral. Ainsi Podemos, troisième force politique, souhaite la convocation d'une assemblée constituante ayant pour tâche de rédiger une nouvelle constitution et de débattre de l'identité du chef de l'Etat. «En Espagne, l'idéologie républicaine est assez étendue, même si elle n'est pas majoritaire et ce thème devra être abordé tôt ou tard», a déclaré M. Moral.