Les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont mené leur attaque la plus meurtrière depuis des années contre l'armée turque, plongeant le sud-est à majorité kurde en état de guerre, à deux mois d'élections législatives anticipées. Signe de la gravité de la situation, l'armée turque a confirmé dans la nuit l'embuscade qui a visé dimanche en fin d'après-midi un convoi militaire dans la région montagneuse de Daglica, près de la frontière irakienne. Seize militaires ont été tués dans cette attaque.. «Deux de nos véhicules blindés ont été gravement endommagés par des engins explosifs placés sur une route», a expliqué l'état-major. «Certains de nos courageux soldats (16) ont été tués par l'explosion et d'autres ont été blessés», a-t-il ajouté, sans autre détail, dans un communiqué publié sur son site internet. Le Premier ministre islamo-conservateur, Ahmet Davutoglu, a convoqué en urgence une réunion des principaux responsables politiques et militaires du pays, mais le gouvernement est resté muet sur les pertes de l'armée. Dans un communiqué publié par sa branche militaire, le PKK a affirmé de son côté avoir tué 15 soldats dans «un acte de sabotage et plusieurs attaques». Dès dimanche soir, l'armée de l'air turque a rapidement riposté en bombardant des positions des rebelles kurdes qui ont, selon l'agence de presse progouvernementale Anatolie, tué de «nombreux terroristes». Lors d'un entretien en direct à la chaîne de télévision privée A Haber dimanche soir, le président Recep Tayyip Erdogan s'est dit «consterné» par l'attaque de Daglica, sans avancer le moindre bilan. Dans plusieurs villes du pays, des manifestants sont descendus dans les rues pour condamner l'opération du PKK. L'ensemble de la presse turque dénonçait lundi à la une une «embuscade lâche». Fin juillet, le gouvernement turc a ordonné une série de frappes aériennes contre les bases arrière des rebelles kurdes dans le nord de l'Irak. Cette offensive a été lancée après une série d'attaques du PKK contre les forces de sécurité en représailles à l'attentat, attribuée au groupe Etat islamique (Daech), qui a tué 32 jeunes militants kurdes dans la ville de Suruç, près de la Syrie. Les attentats du groupe kurde et les opérations militaires de représailles se succèdent depuis à un rythme quotidien dans le pays. Elles ont fait voler en éclats les discussions de paix engagées à l'automne 2012 par Ankara pour tenter de mettre un terme à un conflit qui a fait quelque 40.000 morts depuis 1984. Selon la presse progouvernementale, les affrontements ont tué depuis fin juillet plus de 70 soldats ou policiers ainsi qu'un millier de rebelles. Cette escalade intervient alors que le président Erdogan a convoqué des élections législatives anticipées pour le 1er novembre. Lors du scrutin du 7 juin, son Parti de la justice et du développement (AKP) a perdu la majorité absolue qu'il détenait depuis douze ans au Parlement. Le chef de l'Etat espère que son parti la retrouvera en novembre pour instaurer un régime présidentiel fort. «Si un parti au Parlement avait obtenu 400 députés (sur 550) pour changer la Constitution, cela ne se serait pas produit», a lancé dimanche soir M. Erdogan. Dans la foulée de son intervention, un groupe de 200 partisans du président turc a envahi le siège du journal Hürriyet en l'accusant d'avoir déformé ses propos sur Twitter. Ce quotidien de référence fait partie du groupe de presse Dogan qui est la cible de l'homme fort de Turquie, accusé de vouloir réduire la presse au silence. Le rédacteur-en-chef de Hürriyet, Sedat Ergin, a dénoncé à la télévision une «attaque qui s'inscrit en noir dans l'histoire de la démocratie de la Turquie». De nombreux opposants du régime ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux, accusant M. Erdogan de «sacrifier les jeunes» afin de réaliser ses ambitions présidentielles. «Tu as transformé le pays en bain de sang pour tes 400 députés (...) Tu n'as pas le moindre scrupule», a martelé sur Twitter le chef de file de l'opposition social démocrate, Kemal Kiliçdaroglu. «Nous ne céderons pas aux politiques guerrières», a renchéri pour sa part le leader pro-kurde Selahattin Demirtas, appelant les peuples turc et kurde à «insister sur la paix et la fraternité». Plombée par cette attaque, la livre turque est tombée lundi à un nouveau plus bas historique face au dollar et à l'euro.