Bouteflika contre Mediène, Benhadid contre Gaïd Salah, Rebrab contre Bouchouareb, Benhadid contre Saïd Bouteflika, Haddad contre Rebrab. En ce début d'automne 2015, l'Algérie s'est transformée en un vaste champ de bataille, où s'affrontent des forces difficiles à identifier, autour d'enjeux politiques et économiques d'envergure. Le conflit central est celui censé avoir opposé le Président Abdelaziz Bouteflika à celui qui était considéré comme l'homme le plus puissant du pays, durant les deux dernières décennies, le général Toufik Mediène. Une fois, ce conflit réglé en faveur du chef de l'Etat, les cercles périphériques, qui gravitent autour du pouvoir, devaient affirmer leur allégeance au nouveau patron, ou se battre entre eux pour entrer dans les bonnes grâces du vainqueur. De nouveaux équilibres se mettent en place, et cela provoque des dégâts. Mais l'état de santé du chef de l'Etat laisse supposer qu'il va juste assurer une transition. Il ne sera pas le futur patron. D'où ces conflits et cette impression de désordre. Et dans ces guerres opaques, l'intervention la moins intéressée est, probablement, celle du général Benhadid. L'homme n'attend rien. Sa carrière est derrière lui. Ce qui donne, paradoxalement, plus de force à sa violente charge contre Saïd Bouteflika. Car derrière les propos contradictoires, voire décousus, du général Benhadid, se cache une véritable angoisse, celle d'une génération qui se rend compte, confusément, qu'elle laisse un héritage contestable et contesté. Dans ce que dit le général Benhadid, on retrouve la signature de cette génération, qui a vu l'armée créer l'Etat algérien, et qui n'a jamais pu faire la différence par la suite entre Etat, armée et pouvoir. Résultat : un demi-siècle, après l'indépendance, le général Benhadid n'a, toujours, pas tranché pour savoir si le président de la République doit être désigné par l'armée ou par le peuple, et s'il appartient à l'état-major, au DRS ou au peuple de sauver le pays. Le général Benhadid n'est pas le seul à ne pas s'être adapté. Issâad Rebrab, qui se situe sur un autre terrain, vit une situation, largement, similaire. Il veut faire des affaires, pour se placer dans un monde d'une autre dimension, mais il n'y arrive pas. La bureaucratie l'en empêche, mais pas seulement la bureaucratie. Pour la deuxième fois de sa vie, il s'est, violemment, attaqué à Abdessalam Bouchouareb, le ministre de l'Industrie, qu'il accuse, nommément, d'entraver ses projets. Investisseur, créateur d'emplois et de richesses, capitaine d'industrie, Issâad Rebrabse veut tout cela à la fois. Mais derrière sa communication, se profile une autre image, celle d'un entrepreneur qui n'a pas encore fait sa mutation. Né à l'ombre de l'économie étatique, il en a, pleinement, tiré profit. C'est de bonne guerre. Mis il n'arrive pas à passer d'un capitaliste collé au pouvoir, à un capitaliste indépendant, capable d'imposer des règles transparentes et de les respecter. Il ne comprend pas comment un ministre ne le reçoit même pas, lui qui est reçu avec les honneurs à l'Elysée. Ali Haddad, lui, ne se plaint pas. Il est dans la proximité immédiate du pouvoir, incarné par M. Saïd Bouteflika et par le Forum des chefs d'entreprises (FCE), dont il a pris le contrôle. Il se considère comme le porte-parole légitime du monde des affaires. A ce titre, il a un droit de regard sur la distribution de la rente. Sorti de l'ombre, deux décennies après M. Rebrab, il veut se fabriquer une stature, mise à mal par l'attaque frontale du général Benhadid. Faussant toutes les analyses primaires, notamment celle basée sur le régionalisme, il va jusqu'à défendre un ministre contre un autre patron, augmentant la confusion qui entoure les guéguerres en cours. Qui va arbitrer ces conflits ? Qui va remettre de l'ordre dans la maison ? Certes, l'impunité règne dans certains cercles du pouvoir politique et de l'argent, comme l'a révélé le procès de l'affaire de l'autoroute, où un ministre nommément accusé d'avoir perçu des commissions n'a même pas été convoqué au tribunal. Mais si M. Bouchouareb commence à étaler le linge sale de M. Rebrab sur la voie publique, si M. Haddad attaque le général Benhadid, en justice, au risque de voir les uns et les autres traînés dans la boue, et si les hommes d'affaires commencent à parler des commissions et des cadeaux qu'ils ont versés aux ministres et aux hauts fonctionnaires, cela risque de faire désordre. D'ores et déjà, le général Benhadid a évoqué une affaire dans laquelle serait mouillé le vice-ministre de la Défense, le général Gaïd Salah. De là, à ce que ça dérape, il y a un pas que tout le monde redoute. L'opinion ne s'y trompe : quand les loups se dévorent, les agneaux se sentent à l'abri. A l'évidence, la situation est devenue trop dangereuse. D'autant plus qu'il n'y a pas, encore, d'arbitre pour trancher dans les conflits, étalés sur la place publique, faute de parrain accepté par tous. Il n'y a ni Larbi Belkheir, ni Toufik Mediène. Saïd Bouteflika et Gaïd Salah ne font pas le poids, et AthmaneTartag ne s'est pas encore affirmé. En outre, ces conflits se déroulent, en dehors des institutions. Ils n'opposent pas des forces politiques et sociales identifiées et transparentes, régies par des lois et des règles transparentes. Ils ne se règleront pas dans le cadre de la loi. Tout l'enjeu est là : comment transformer ces entités informelles en des pouvoirs institutionnalisés, transparents, vivant et agissant dans le cadre de la loi ?