L'attaque de Ben Gardane du 7 mars est grave mais elle n'est ni démobilisatrice ni dénuée de signaux positifs. Il n'y a qu'à voir la manière dont les forces armées et les habitants de Ben Gardane ont réagi. On se rappelle les prises de Mossoul et un peu moins la prise de Sabrata que les médias ont relayées. On a vu des populations quitter les lieux et des images qui montrent une défaite... (alors que d'autres populations sont restées sur place). Les vidéos qui circulent en Tunisie montrent un soutien de la population aux forces locales. Sept (7) civils sont morts à côté des onze (11) policiers et soldats qui sont tombés. Le soutien spontané apporté à l'armée et la police (dépassées mais pas sans ressort) a été lourd en pertes...35 attaquants ont été abattus et 7 ont été pris vivants. Les poursuites continuent : un couvre-feu a été décidé dans la ville en fin de journée. Mon opinion est que nos «terroristes» sont coincés, peut-être bloqués dans leurs mouvements. Il semble qu'ils piaffent d'impatience et on peut supposer que cette attaque est un double test de la part de leurs «dirigeants» (cachés et téléguidant des opérations qui ne leur coûtent rien) : un test des forces en face (et le message est clairement en faveur des soldats tunisiens aussi désorganisés et infiltrés soient-ils) et un test des troupes «jihadistes» constituées depuis des mois (des années ?) et qui tiennent à livrer leur «jihad»... J'ai le sentiment d'un gâchis hélas, mais que l'appel à l'attaque ait été donné en sortant de la mosquée à 5 h du matin est une erreur «stratégique». Un témoin raconte que l'appel à la prière était inhabituel, probablement codé. Ce qui nous rappelle que du travail est à faire pour contrôler les mosquées et les financements des associations «caritatives». Le gouvernement actuel a un programme à réaliser sur ce plan. Bien entendu, il ne faut pas oublier les contrebandiers, particulièrement actifs dans le sud et dans les zones frontalières. Ils sont liés aux hommes d'affaires tunisiens qui ont, eux aussi, une responsabilité dans ce chaos meurtrier. J'ai vu le JT de France 2 de lundi soir, plat et vide, et en plus alarmiste... Travail d'information désolant, sans chair ni travail. Rien à voir avec le bouillonnement d'ici, désordonné et inefficace peut-être mais les gens ne sont pas dupes non plus. On rappelle les interférences entre les dirigeants d'Ennahdha, l'infiltration des forces de sécurité (dans l'armée, la police et la douane) et le rôle des milieux des affaires. On a arrêté les responsables régionaux de la sécurité et les syndicats protestent : cet embrouillamini qui dure depuis un certain temps est un des indices d'une sourde guerre des polices. Les plateaux télés d'hier et la radio ce matin transmettent des ondes plutôt «positives», de longues queues pour la collecte de sang, des appels à parler de l'attaque aux écoliers et collégiens, une décision à une minute de silence à observer demain, des propositions pour rajeunir la classe politique et celle des décideurs... En cette journée du 8 mars (Journée internationale pour la lutte des droits des femmes), on n'oublie pas de rappeler le manque de représentativité féminine dans les lieux de décision. Certaines voix propagandistes s'infiltrent évidemment, ce qui donne lieu à des signaux contradictoires, pas faciles à déchiffrer. Même si nos médias sont assez frustes, les journalistes sont mesurés, cherchent des informations précises sur la situation. Ce que j'ai lu dans la presse montre des papiers plutôt incrédules devant les appels à une conquête nouvelle de Daech lancés dans la journée du 7 mars par Facebook. Tout le monde s'accorde à reconnaître un certain désordre du côté de l'Etat. Les plus malveillants disent qu'il n'y a pas d'Etat mais la résistance et la solidarité spontanées sont claires aux yeux de tous. Le bruit court que BHL serait dans un hôtel à Gammarth (banlieue nord de Tunis) et cela fait jaser...Et la télévision Al Jazeera est dénoncée pour ses «reportages» orientés. Je parlerai d'une situation que les Tunisiens reçoivent comme une alerte supplémentaire, un danger de plus mais la Tunisie nage depuis des années dans un mélange de menaces et de réactions vivaces. On continue à ramer dans cette transition difficile. Mais cette attaque de Ben Gardane, aussi tragique soit-elle, est un échec pour ceux qui l'ont voulue. Un échec qui coûte encore à la Tunisie mais un échec quand même.