A quel jeu nouveau veut s'adonner le roi du Maroc, qui a fait dimanche une demande officielle d'admission au sein de l'Union africaine tout en demandant l'expulsion des Sahraouis, après son retrait en 1984 de l'OUA, ancêtre de l'UA ? En fait, le Palais royal veut porter sa guerre contre la RASD, membre à part entière de l'UA et de ses différents mécanismes, sur le terrain de cette grande organisation qui rassemble les pays africains autour d'un même objectif, le développement économique et social des peuples du continent. Car le texte de la demande d'admission du monarque marocain à l'UA ne laisse aucun doute sur le plan de bataille du Maroc. Dans sa demande transmise dimanche à Kigali au président en exercice de l'UA, le Tchadien Idris Deby Itno, par le président du Parlement Rachid Talbi Alami, Mohamed VI écrit que «jamais l'Afrique n'a été autant au cœur de la politique étrangère et de l'action internationale du Maroc». «Le Maroc, qui a quitté l'OUA, n'a jamais quitté l'Afrique. Il a seulement quitté une institution, en 1984, dans des circonstances toutes particulières», indique la lettre du roi du Maroc pour qui «de l'admission de la «RASD» en 1982, l'histoire retiendra cet épisode comme une tromperie, un détournement de procédures, au service d'on ne sait quels intérêts». Mieux, le roi du Maroc, tout en insistant pour réintégrer l'organisation africaine, n'hésite pas à qualifier son ancêtre, l'OUA, de «mineure». Il estime ainsi dans sa lettre que l'admission en 1982, lors du sommet de Nairobi, de la République sahraouie, est «un acte comparable à un détournement de mineur, l'OUA étant encore adolescente à cette époque». Il poursuit en se demandant «comment en sommes-nous arrivés là ? La réponse, j'en suis certain, tout le monde la connaît et s'impose d'elle-même. Le temps est venu d'écarter les manipulations, le financement des séparatismes, de cesser d'entretenir, en Afrique, des conflits d'un autre âge». Et puis, il finit par demander l'expulsion pure et simple de la RASD de l'UA dans sa demande d'admission, qui doit d'abord être acceptée et validée par la Commission africaine, ensuite obtenir les voix des pays membres. Enfin, le monarque marocain n'hésite pas à qualifier un membre à part entière de l'Union africaine d'«Etat fantôme». Au cours d'une réunion dimanche soir à huis clos, la demande marocaine avait été examinée. Le Maroc avait quitté l'OUA en 1984 pour protester contre l'admission de la RASD en 1982, lors d'un sommet historique à Nairobi lorsque les membres de l'Organisation avaient voté pour l'admission de la jeune RASD au sein de l'OUA. Dans les faits, la demande marocaine d'admission à l'Union africaine, qui a été faite selon les règlements, doit être ensuite examinée au cours d'une réunion des membres de la Commission. Le vice-président de la Commission africaine, Erasmus Mwencha, avait indiqué vendredi dans une conférence de presse à la veille de l'ouverture du sommet de l'UA, que la procédure d'admission doit être respectée. «Le Maroc doit manifester sa volonté de réadmission, il y a ensuite réunion et vote. L'admission se fait à la majorité simple», a-t-il expliqué. La demande d'admission du Maroc à l'Union africaine pose en fait un double problème : d'abord, les statuts de l'Organisation ne permettent pas que deux Etats représentent un même territoire, que deux Etats revendiquant le même territoire ou portion de territoire ne peuvent siéger dans la même organisation. D'autant que la 27e session ordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UA avait affirmé dimanche à Kigali qu'elle reste 'solidaire avec le peuple sahraoui et réaffirme avec force son droit à l'autodétermination''. En fait, l'annonce par le Maroc de sa volonté de réintégrer les rangs de l'UA, tout en demandant l'exclusion d'un de ses membres, avait été précédée par l'envoi par le roi d'émissaires dans plusieurs capitales africaines afin d'obtenir le plus de soutiens à cette demande. Une délégation a même été envoyée vendredi à Alger, dirigée par le vice-ministre des Affaires étrangères, Nacer Bourita, et accompagnée par le chef des Services de renseignements, Yacine El Mansouri, un proche de Mohamed VI avec lequel il a fait ses études au collège royal de Casablanca. Auparavant, le ministre des Affaires étrangères marocain, Salaheddine Mezouar, avait remis des messages aux présidents sénégalais, Macky Sall, et ivoirien, Alassane Ouattara, à Paul Biya du Cameroun, et s'est également rendu au Caire, à Khartoum, à Addis-Abeba et à Tunis pour demander leur soutien quant à la demande d'admission marocaine à l'UA. Le 20 juin dernier, le président rwandais, Paul Kagamé, a été reçu à Rabat où il a été informé sur la demande du Maroc de réintégrer l'organisation panafricaine. Si officiellement, la demande marocaine ne peut être rejetée, il reste que le vote sera serré et, éventuellement, le retour du royaume chérifien au sein de l'UA n'est pas de bon augure pour la cohésion de l'organisation. De gros nuages s'amoncellent déjà, à moins que les pays membres de l'UA ne fassent preuve de réalisme et obligent le Maroc à abandonner ses velléités expansionnistes pour tout retour parmi eux.