«C'est un petit enjeu». C'est en ces termes que Bouterfa a résumé, hier à Arzew, le litige Sonatrach-Total ayant trait au partage des profits tirés du gaz et du pétrole. En réponse à une question du Quotidien d'Oran, le ministre de l'Energie a minimisé ce contentieux, mais non sans exprimer l'étonnement des autorités algériennes quant au timing de la contestation du groupe français (10 ans plus tard) mais aussi la forme choisie (procédure d'arbitrage international). «Il s'agit d'un litige contractuel. C'est tout à fait naturel que Total essaye de défendre ses intérêts. Nous savons, nous aussi, défendre les nôtres», a-t-il affirmé d'emblée. Au fil de sa réponse, le ton diplomatique laissait place au franc-parler du business. «Sonatrach, quant à elle, a assez d'arguments solides à faire valoir dans ce dossier», a-t-il assuré. «( ) Nous sommes quand même fort étonnés qu'on pose ce problème dix années après. Il faut tout de même rester raisonnable. Nos portes restent toujours ouvertes. Nous avons réglé nos problèmes avec les autres partenaires. Il n'y a pas de raisons pour qu'on ne règle pas le cas Total. A l'amiable. Lequel problème n'est, tout compte fait, qu'un petit différend par rapport à l'enjeu. C'est même un petit enjeu ( )». «Un petit enjeu qui pèse plusieurs millions d'euros, se trouvant actuellement devant la cour d'arbitrage de Genève, sans compter le fait que la démarche de Total pourrait donner des idées à d'autres. N'appréhendez-vous un éventuel effet d'entraînement ?». A cette question « intercalaire» du Quotidien d'Oran, Noureddine Bouterfa réplique : « Je pèse bien mes mots : c'est un petit enjeu. L'enjeu stratégique, il est avec d'autres partenaires, dont l'ENI par exemple. C'est là le vrai enjeu. Or, avec l'ENI nous n'avons pas de problème malgré les enjeux financiers importants, qui n'ont rien à voir avec ceux de Total. Le litige avec Total peut se régler dès lors qu'il y a la bonne entente, la bonne interprétation des clauses et la bonne application de la TPE (Taxe sur les profits exceptionnels). Ce n'est pas, dois-je préciser, la TPE en soi qui est contestée. En tout cas, les portes du dialogue sont ouvertes». Peut-on comprendre de la réponse du ministre de l'Energie qu'il y a possibilité d'une relance des négociations avec Total pour trouver un terrain d'entente ? La voie du règlement à l'amiable est-elle toujours à l'ordre du jour ? Rien n'est moins sûr à en croire la version de l'autre partie, le groupe Total, qui a par la voix de son P-DG, Patrick Pouyanné, indiqué que la procédure d'arbitrage international lancée, en mai 2016, par sa compagnie pétrolière solidairement avec son partenaire Repsol, comme action visant à contester la façon dont Alger a rétroactivement modifié le partage des profits tirés du pétrole et du gaz au milieu des années 2000, est intervenue « après de nombreuses tentatives de se mettre d'accord à l'amiable». Total et Repsol ont en effet déposé ensemble, de façon discrète, une requête à Genève auprès de la Cour qui dépend de la Chambre de commerce internationale espérant obtenir un dédommagement de quelque 500 millions d'euros. Les deux compagnies pétrolières contestent le «revirement» d'Alger qui, à leurs yeux, a subitement changé les règles du jeu en 2006 pour mieux profiter de la hausse des prix du pétrole. La taxe sur les profits exceptionnels réalisés par les compagnies étrangères s'est concrètement traduite par des «modifications unilatérales et rétroactives» de leurs contrats. «Il ne faut rien voir de plus que la relation entre une entreprise et une partie prenante, Sonatrach. On n'est pas d'accord sur l'interprétation d'une clause, eh bien on va en arbitrage», avait précisé encore le patron de Total, dans une explication de texte qui s'apparentait à une tentative de dépassionner le dossier d'autant plus qu'il intervenait dans un contexte de tension dans les relations entre Alger et Paris. En 2006, une loi instaure une «taxe sur les profits exceptionnels» réalisés par les compagnies étrangères. Dès que le prix du baril dépasse 30 dollars, ce qui était largement le cas à l'époque, celles-ci doivent acquitter un impôt supplémentaire variant entre 5% et 50% de la valeur de la production. Les compagnies réagissent de deux façons. Beaucoup d'entre elles stoppent leurs investissements en Algérie au point que les trois appels d'offres lancés par le gouvernement pour explorer le domaine minier en 2008, 2009 et 2011 se soldent par des échecs. Plusieurs entreprises attaquent en même temps l'Algérie devant des tribunaux arbitraux refusant que ce changement se traduise par une modification unilatérale et rétroactive de leurs contrats. Selon elles, les documents signés avec la Sonatrach devaient leur assurer une stabilité fiscale. Le pétrolier national doit donc leur rembourser la taxe qu'elles ont acquittée. Quant à l'impact de cette action en justice sur l'avenir de Total en Algérie, son premier responsable relativisera en déclarant qu'« on a d'autres opérations en Algérie qui continuent». Sur place, le groupe n'emploie qu'environ 200 personnes. Toute sa production provient d'un gisement de gaz, celui de Tin Fouyé Tabankort, dont Total détient 35% aux côtés de la Sonatrach et de Repsol. L'Algérie, dont la production pétrolière a décliné de 20% en dix ans, représente seulement 1% des volumes d'hydrocarbures de Total. Le groupe participe néanmoins à un autre projet, celui d'exploitation du gisement de gaz de Timimoun où une usine est en cours de construction. Total détient 38% du projet, aux côtés de l'espagnol Cepsa et de Sonatrach. L'ITALIEN ENI COMME EXEMPLE DE PARTENARIAT STRATEGIQUE Le ministre a par ailleurs rappelé que Sonatrach et le groupe italien Eni ont renouvelé, fin juin dernier, leur partenariat via la signature d'un accord préliminaire dans le cadre de l'extension des licences de production. Celles-ci concernaient le réservoir Rhourde Ouled Djemaa, de ses champs satellites et de trois champs de production situés dans le bloc 403, note-on. L'accord signé jetait également les bases pour l'achèvement du processus de l'unification entre le champ SF, où le groupe algérien détient une participation de 100%, et le champ de SFNE, qui est exploité conjointement par Eni et Sonatrach. Evoquant les projets d'investissement qui seront concrétisés courant 2017 visant à mettre fin, vers 2019, à l'importation des produits énergétiques dérivés, M. Bouterfa a précisé que les appels d'offres pour la réalisation de quatre raffineries à Skikda, Tiaret, Hassi Messaoud et Arzew, totalisant une capacité annuelle de 5 millions de tonnes de produits énergétiques dérivés, outre la production de produits pétrochimiques dont le méthanol et le polymed, «seront lancés au cours du 1er trimestre 2017». Il a ajouté que «ces investissements développeront et diversifieront les capacités de production des bases pétrochimiques et économiseront à l'Algérie la facture actuelle d'importation annuelle de 1,5 million de tonnes de produits énergétiques dérivés, dont l'essence». «Notre objectif est d'atteindre l'autosatisfaction, en 2018, en économisant du coup 2 milliards de dollars d'importation, ensuite d'assurer un excédent et d'aller vers l'export, courant 2019-2020», a-t-il précisé encore. APPELS D'OFFRES AVANT FIN 2016 POUR LES ENERGIES RENOUVENABLES Interrogé au sujet du recours de l'Algérie aux énergies renouvelables, le ministre de l'Energie, tout en présentant à grand trait les lignes directrices du programme national y afférent et qui vise à « atteindre 27% de la production énergétique nationale pour couvrir les besoins électriques et industriels, notamment», a fait savoir qu'un avis d'appel d'offres concernant de grands investissements dans les énergies renouvelables sera lancé avant la fin d'année 2016». « Nous allons faire appel à de super-compagnies spécialisées pour la réalisation de ces projets», a-t-il assuré. L'Algérie ratisse large, notamment depuis l'arrivée de Bouterfa aux commandes du secteur stratégique de l'Energie, en quête de grands investisseurs dans ce domaine. D'ailleurs, Noureddine Boutarfa s'est entretenu dernièrement avec l'ambassadrice des Etats-Unis, Joan Polaschik, et avec l'ambassadeur de France, Bernard Emié, où ces deux représentants diplomatiques ont exprimé l'intérêt des entreprises américaines et françaises à participer dans le prochain appel d'offres pour l'investissement dans les énergies renouvelables qui sera lancé prochainement par l'Algérie.