Quelle mouche à piqué ces associations de la société civile pour se mobiliser au sujet de prétendues dates incorrectes du 1er du mouharram et de l'Achoura? Cette levée de boucliers bruyante d'au moins trois associations d'obédience religieuse est complètement erronée scientifiquement. La justification maladroite du ministère des Affaires religieuses (MAR) pour ce prétendu changement de date n'a semble-t-il pas arrangé les choses et a même ouvert la porte à certaines interprétations inopportunes. Depuis l'Indépendance... En effet, la détermination du 1er du mois de mouharram se fait depuis plusieurs décennies, voire depuis l'indépendance, sur la base du calendrier hégirien établi par le ministère des Affaires religieuses et non sur la base de l'observation du croissant lunaire. Seuls le début du mois de tamadhan et le jour de l'Aïd el-Fitr se font sur la base de l'observation du croissant et sont déterminés par le Comité des Croissants Lunaires désigné par le ministère des Affaires religieuses et siégeant en son sein. Ce qui donne un caractère quelque peu cocasse à cette controverse absolument stérile est que cette date du 1er du mouharram est connue comme chaque année bien à l'avance, et certainement dès le début de chaque année hégirienne, et est diffusée à travers le calendrier et tableau des heures des prières («Agenda Officiel du MAR») dans toutes les mosquées et institutions officielles. Ce calendrier est établi pour la partie éphémérides et horaires de manière scientifique par un comité technique d'astronomes du CRAAG (Centre de recherche en astronomie astrophysique et géophysique) et dont un des auteurs (N.S.) de cette lettre d'information a l'honneur de présider. Ajoutons cependant que la déclaration du ministre des Affaires religieuses qui a invoqué une «adéquation» avec les vacances du week-end sans présenter le choix de la date du début du mouharram dans leur contexte scientifique et légal n'a pas arrangé les choses. Ceci n'absout cependant pas les associations à la base de cette controverse, notamment l'Association des oulémas musulmans algériens, de n'avoir pas agi avec circonspection et sagesse et en particulier de n'avoir pas considéré l'affaire dans tous ses aspects comme nous l'expliquons dans ce qui suit. La détermination des dates du calendrier hégirien Rappelons que le calendrier hégirien sur lequel on se base pour la détermination du 1er mouharram est un calendrier établi sous le khalifat de Omar et donc après le décès du Prophète (Pbuh). Il a d'ailleurs été décidé par le khalife Omar en personne à la suite d'une requête d' Abou Moussa El-Achaari, à l'époque gouverneur de Basra, qui se plaignait de la confusion des dates dans différentes correspondances qui lui arrivaient. Il justifia son choix, après avoir considéré divers avis des compagnons, sur la base de l'importance historique de la migration du Prophète vers Médine (Comme il déclara aussi: «...la vérité s'affermit et l'erreur fut rendue évidente»). C'est donc un calendrier «civil» établi pour la communauté musulmane et qui n'a aucun caractère religieux stricto sensu, et toute tentative de le sacraliser est clairement erronée et ce bien qu'il fasse partie du patrimoine islamique historique et soit à juste titre le sujet d'une grande considération des musulmans du monde entier. Le calendrier établi pour le ministère des Affaires religieuses Le calendrier hégirien en utilisation en Algérie tient compte dans ses codes de calcul de l'observabilité du croissant lunaire pour la détermination des débuts de chaque mois sur la base de critères rigoureux et consensuels établis par la communauté astronomique mondiale. Notons que ceci n'est pas le cas pour d'autres calendriers tels que notablement celui de Oum el-Qoura d'Arabie saoudite qui n'intègre pas ce critère d'observabilité (Imkan al-rou'ya). Il se trouve que le samedi 1er octobre correspondant au 29 du mois du Dhou el-hijja, le croissant était astronomiquement impossible à voir visuellement de tout le monde arabe et au-delà. Donc le mois devrait être complété à 30 jours et le 1er mouharram se devait d'être le lundi 4 octobre et non le dimanche 3 octobre. Les pays qui ont célébrés le 1er mouharram le 2 octobre sont ou bien ceux qui tiennent compte de l'observabilité du croissant étendue à tout le globe tel que la Turquie, ou bien ceux qui ont suivi l'observation erronée d'Arabie saoudite ce même jour. En effet ce jour-là, un groupe d'observateurs du clan des Sudairis, les mêmes qui voient le croissant lunaire chaque année dans des cas d'impossibilité patente alors qu'aucun des comités officiels et non officiels distribués à travers tout le royaume ne l'a vu, a prétendu avoir vu le croissant du mouharram. D'ailleurs, le seul rapport d'observation visuelle le samedi du croissant provient de Californie aux Etats-Unis à 10 fuseaux horaires de La Mecque ! Notons que la Cour suprême saoudienne annonce le début des mois de «Ibadah» (ramadhan, chawwal, dhoul hijjah) seulement et utilise leur calendrier civil Oumm al-Qoura (UQC) pour les autres mois tels que le mouharam, malgré des variations certaines années. Demander de débuter le mouharram sur la base d'une observation du croissant tel que le préconise certaines de nos associations est faire dans la surenchère et vouloir être plus royaliste que le roi. Il est aussi incorrect de dire comme dans les déclarations de ces associations que le monde musulman a débuté le mouharram le dimanche 2 octobre. En effet, la Oumma n'a pas de calendrier hégirien commun (malgré quelques tentatives à travers les recommandations de congrès internationaux mais qui ne sont malheureusement jamais suivis en pratique) et ceci est certainement dû au fait que certains pays (l'Arabie saoudite s'il faut la citer) préfèrent garder leur leadership au dépens des aspects scientifiques qui auraient pu unifier le monde musulman. Juste en Afrique, nous avons au moins le Nigeria, le Maroc et l'Afrique du Sud qui ont débuté le mois de mouharram comme nous ! Notons que le calendrier peut être établi sur la base du calcul sans relation avec l'observation du croissant lunaire comme c'est le cas du calendrier «Oumm al-Qoura» d'Arabie saoudite, mais cela pose bien des problèmes, notamment la nuit du doute du ramadhan peut être en avance d'un jour puisque le début de chaabane n'aura pas été déterminé sur la base de la visibilité du croissant ! C'est pourquoi la logique et le bon sens voudraient que si l'on adopte la visibilité du croissant pour le début du ramadhan et l'aïd, il est important d'adopter le même critère (ou équivalent) pour les autres mois de l'année hégirienne. C'est suivant cette logique que depuis une quinzaine d'années maintenant, le calendrier hégirien en Algérie tient compte de la possibilité de visibilité (imkaniyat errou'ya) du croissant lunaire dans le monde arabe, en Europe et en Afrique. Et effectivement, il était impossible de voir le croissant lunaire le samedi 1er octobre et sur cette base le 1er mouharram ne pouvait être que le lundi 3 octobre. Réactions intempestives et inopportunes En plus du fait que ces instances qui se sont prononcées de manière intempestive n'ont strictement aucune compétence astronomique et ne semblent même pas savoir comment est utilisé le calendrier hégirien depuis l'indépendance, il est étonnant qu'elles ont toujours gardé le silence lorsque nous dénoncions les prétendues «observations» du croissant du début du ramadhan et de l'Aïd el-Fitr tant en Algérie qu'au Machrek. Ces erreurs sont plus graves puisque liées au jeûne qui est un des piliers de l'Islam alors qu'encore une fois, la célébration du 1er mouharram n'est pas une fête religieuse mais une fête «civile» islamique. Notons aussi que la Cour suprême saoudienne normalement annonce le début des mois de «Ibadah» (ramadhan, chawwal, dhoul hijjah) seulement et utilise leur calendrier civil Oumm al-Qoura (UQC) pour les autres mois tels que mouharam, malgré des variations certaines années. Demander de débuter le mouharram sur la base d'une observation du croissant tel que le préconise certaines de nos associations, ce qui n'a jamais été fait depuis l'indépendance, est faire dans la surenchère et vouloir être plus royaliste que le roi. Nous conclurons en disant que ces déclarations à même de toucher à la cohésion sociale nationale est doublement inacceptable et nous plaiderons pour que ces associations restent dans leur rôle et en particulier consultent les experts sur la partie scientifique de leurs propos («Demandez à ceux qui savent en cas de méconnaissance», Coran 21-8). Nous demanderons en particulier à l'Association des oulémas musulmans algériens qu'elle rescinde son communiqué appelant à la célébration de Achoura le mardi au lieu du jour proclamé officiellement pour éviter toute «fitna» car basé sur des faits manifestement faux et ce au nom du même principe invoqué dans leur justification pour avoir émis leur fatwa («La Vérité est toujours meilleure à suivre»): Et Dieu est le plus Savant. * Prof. départ. de physique, Université de Constantine 1 Président de l'association Sirius d'astronomie **Dr. responsable de la division d'astrophysique stellaire et des hautes énergies au CRAAG et responsable du calendrier hégirien