Livres L'Algérie, 50 ans après. Etat des savoirs en sciences sociales et humaines, 1954-2004. Actes du symposium tenu à Oran du 20 au 22 septembre 2004, sous la direction de Nouria Benghabrit-Remaoun et de Mustapha Haddab, Editions Crasc, Oran 2008, 787 pages en français et 121 pages en arabe, 900 dinars Pour emprunter à Fouad Soufi, il ne s'agissait pas de faire un bilan, car un blilan, c'est une opération «solde de tout compte» de tout ce qui a été réalisé... puis «mettre la clé sous le paillasson». Il sagissait de dresser un état des lieux, l'«état des savoirs» dans toutes leurs dimensions sociales et humaines... pour «activer la mémoire», «pour mieux opérer l'avancée souhaitée pour les années qui suivent... ». F. Soufi parlait de la revue Insaniyat dont il dirigeait le comité de rédaction. On était, alors, en 2004, et il fallait commémorer, en Algérie, comme il se devait, le cinquantième anniversaire du déclenchement, le 1er novembre 1954, de la guerre de libération nationale. Le Crasc a fait dans le grand, le très grand, mais aussi et surtout dans l'utile et l'efficace... La recherche scientifique en est sortie grandie. On s'en aperçoit bien aujourd'hui, à la lecture des Actes, douze années après la tenue du symposium. Un gros «pavé» qui fait un point de situation sans concessions : les résultats acquis depuis un demi-siècle mais, aussi, les manques à réaliser et les contraintes rencontrées. Huit axes de travail : Anthropologie, sociologie et scinces sociales / Histoire, mémoire et patrimoine/ Citoyenneté et mouvement associatf/ Géographie, monde rural et migrations/ Urbanisme et architecture/ Famille et enfance/ Ecole et éducation./ Culture, langue et identité... et deux ateliers, l'un sur «les Archives et l'Archéologie» et l'autre sur « la Langue, la Littérature et le Patrimoine immatériel». Et, au total, plus d'une soixantaine de communications et participation de plus de cent cinquante chercheurs et enseignants (intervenants et/ou participants) venus de toutes les universités d'Algérie et certains de l'étranger... venus à Oran certes pour participer et/ou intervenir dans les débats, pour rencontrer d'autres membres de la communauté universitaire trop longtemps éparpillée... , mais surtout pour proposer l'ouverture de nouvelles pistes de recherche. L'Algérie en avait (et en a encore) bien besoin d'autant que les sciences sociales et humaines ont été longtemps marginalisées. Les auteurs: Ils ont très nombreux. On ne citera donc que Nouria Benghabrit-Remaoun, sociologue, directrice du Crasc (bien avant qu'elle ne devienne ministre de l'Education nationale) et les autres membres du comité d'ornganisation : Ammara Bekkouche (Présidente du conseil scientifique du Crasc), Fouad Soufi (Directeur du comité de rédaction de la revue Insaniyat), Garmia Hachemi (Sg du Crasc), Abed Bendjelid, Sadek Benkada, Mohamed Daoud, Hassan Remaoun et Samia Benhenda, tous membres du comité de rédaction de la revue Insaniyat. Extraits : « En sciences sociales et humaines, le renouvellement de la pensée se fait à un niveau conceptuel qui s'accommode mal à des catégories conventionnelles étroites» (Souad Bendjaballah, ministre déléguée à la Recherche auprès du Mesrs, discours d'ouverture, p 17), «La logique de la recherche scientifique doit s'appliquer à toutes les dimensions du social, sans qu'aucune frontière ni aucune mesure ne soient opposées à ses progrès «(Nouria Benghebrit-Remaoun et Mustapha Haddab, présentation, p 45) Avis : Les productions du Crasc, celles d'hier ou d'ajourd'hui, sont à lire et à conserver. Toujours. Citation: « Le monde est devenu un immense village, mais dans ce village qu'est devenu le monde, l'accès et le partage égal des savoirs est loin d'être une rélaité» (Souad Bendjaballah, ministre déléguée à la Recherche auprès du Mesrs, discours d'ouverture, p 16) Enigmes populaires d'Algérie. Recueil de «devinettes» de Hocine Hachemi, Editions Mimouni, Alger (?, lieu non indiqué) 2016, 287 pages, 600 dinars. Il y a de cela très longtemps, lorsque les Al gériens vivaient sous le joug colonial, dans la misère la plus noire pour la majorité des citoyens, il n'y avait ni radio, ni télévision, ni livres, ni lumière, ni loisirs en dehors de la cellule familiale ou du groupe... Les hommes se réveillaient très tôt et se couchaient tôt, fatigués par les durs travaux de la journée. La seule distraction, le soir, à la lumière de la lune ou à celle d'une bougie ou, pour les plus aisés, d'une lampe à pétrole ou à carbure, les grands-pères ou les grands-mères, en général, racontaient, aux petits enfants que nous étions, en guise de berceuse, des «mhajyat». Il fallait toujours trouver une réponse répondant au «conte». Monde mystérieux certes mais faisant travailler la mémoire et rendre ouvert l'esprit... et aiguisée l'intelligence car, souvent, les contes racontaient le monde et revêtaient une forme recherchée. De véritables morceaux de (courte) poésie. L'auteur affirme que les énigmes offertes proviennent de diverses régions du pays, et c'est pour cela que certaines nous (aux sexagénaires et plus) paraissent étranges ou «étrangères». L'œuvre est organisée selon des thèmes. Quatorze au total : le monde physique, les végétaux, les minéraux, les animaux, les vêtements et parures, l'âme, les sciences, la littérature, la famille, la socité, la religion... Tout y passe, ce qui démontre que la société d'alors (celle d'aujourd'hui aussi, sous d'autres formes peut-être moins poétiques ou plus directes ne comportant aucune énigme) n'était pas dupe et combattait la colonisation, l'outrance et les difficultes de la vie de manière... très intelligente... en attendant. Chaque enigme est présentée en arabe et en français (et en prononciation arabe en caractères lains)... accompagnée de la réponse. L'auteur : Aucune fiche biographique sur l'auteur au niveau de la 4è de couverture et sur internet. Enseignant à l'Université Kasdi Merbah de Ouargla ? Une énigme ! Extrait : «La télévision et la multiplication des loisirs ne peuvent pas, à elles seules, expliquer cet état d'oubli où se trouve cet exercice intellectuel populaire qui constitue une partie importante de notre patrimoine culturel immatériel» (p 3) Avis : Pour meubler vos longues soirées d'hiver ou, tout simplement, pour rétablir la communication avec vos enfants et/ou l'établir avec vos petits-enfants. Devinettes : «Deux pains posés sur un manteau. L'un est chaud, l'autre froid» (p 21), «Deux galettes sur un methred. L'une est chaude, l'autre froide» ( p 23), «Tu entends par elle, tu ne la vois pas. Tu la saisis, tu ne peux l'emporter» (p 123), «Je te donne à deviner. Sans elles, je ne serais pas venu chez toi» (p 137. La plus connue !), «La pluie est tombée sur une terre noble. La pluie est partie, il n'est resté que les traces» (p 144) « Un pain partagé en quatre ; on le mange avec la bouche, on le partage avec les doigts» (p 273) Maghreb, étrangeté et amazighité. De Gustave Flaubert, Louis Bertrand, Albert Camus à Jean Amrouche, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine et Abdelkébir Khatibi. Etudes d'analyse littéraire postcoloniale. Essai de Nabile Farès (Présentation d'Ali Chibani). Koukou Editions, Alger 2016, 272 pages, 800 dinars. Littérature écrite et histoire/Littérature et sémiologie/Le système inversé de la littérature coloniale : l'œuvre de Louis Bertrand/ Ecriture et symbolicité... En quatre grands chapitres, Nabile Farès a, grâce à un travail de recherche universitaire datant de 1986 (et resté à ce jour inédit) nous présente, nous fait découvrir (et nous démontre) un territoire chargé de luttes symboliques, déterminées par des confrontations historiques produites depuis de nombreux siècles. Pour l'auteur, le Maghreb est le territoire qui doit naître à son étrangeté inscrite dans son âme. Et, pour atteindre cet objectif, il s'intéresse à la constitution des «discours et œuvres francophones sur les sociétés maghrébines»... discours formulés par l'autre, de manières différentes, par plusieurs auteurs, sur le soi maghrébin... et discours formulés par soi sur soi. «Maghreb», «Tamazgha» ou «Afrique du Nord», chaque appellation ayant ses partisans et ses défenseurs ou ses contempteurs... appellations auxquelles il faut ajouter celle des Etats de la région... et des islamistes «qui aiment à préciser, pour nier tout ce qui a été avant les invasions arabo-musulmanes du VIIè siècle, «Maghreb arabe» (Ali Chibani, présentation, p 9) En fin de lecture, on apprend une chose essentielle : la décolonisation sera toujours incomplète tant que la restitution à l'amazighité de la place qui est la sienne dans l'espace culturel maghrébin n'est pas intégrée totalement dans la réflexion, sans esquive, par tous les intellectuels maghrébins : «Une longue marche à faire pour aller jusqu'à eux-mêmes»... C'est, aussi, le seul moyen de «refuser la vassalité à l'égard des régimes et des identités politiques actuelles, comme le fit Jughurtha à l'égard de l'empire romain». L'auteur : Né à Collo en 1940 (d'une famille originaire d'Akbou... et fils aîné de Abderrahmane Farès, notaire, président de l'Exécutif provisoire en 1962), ayant rejoint le Fln en 1960, il a fait des études de philosophie, de sociologie et de psychanalyse. Enseignant en Espagne, en Algérie (maître de conférences à l'Université d'Alger) et en France (professeur en littérature comparée à l'Université de Grenoble), psychanalyste. Auteur de deux thèses. Romancier, dramaturge et poète... avec une trilogie marquante : « Le champ des Oliviers» (1972), «Mémoire de l'absent» (1974), «L'Exil et le désarroi» (1976). Décédé en France en août 2016. Extraits : « Nous désignerons l'anthropologie comme un discours - ou des discours de l'homme, et un discours ou des discours sur l'homme ou, plus généralement, des discours de l'humain sur des mises en systèmes en état, ou en rupture, des coexistences humaines ; ceci, à la croisée des civilisations qui se rencontrent, se heurtent, ou, par instants, s'observent, se reconnaissent ou se manquent» (p 17) Avis : Conseillé aux anthropologues, sémiologues, psy' et sociologues,... et, bien sûr, aux étudiants qui veulent apprendre et s'assurer une meilleure lecture des débats et polémiques idéologiques actuels, et qui découvriront un intellectuel de grande valeur à la culture multidisciplinaire remarquable. Citations : « La parole d'écriture, manifestée par les sujets porteurs d'une interrogation d'écriture, va être à l'origine d'un exil linguistique et social de plus en plus affirmé ; tension nouvelle, cette fois, de l'écriture maghrébine de langue française en son rapport à ce qui préexistait de langues et de cultures, prise dans une mémoire sociale, symbolique, historiquement bouleversée»(p 33), « Le Kabyle exprime naturellement sa pensée par images, d'une manière allusive. L'image et ce qu'elle signifie sont étroitement associés dans son esprit. C'est pourquoi ses poèmes sont purs de littérature, de rhétorique. Tout est incarné dans l'image ou le symbole. Le mythe est tout naturel à ces hommes simples et vrais» (p 161, Extrait Jean El Mouhoub Amrouche, Extrait de «Chants berbères de Kabylie (1939)», L'Harmattan, Paris 1986) PS : C'est l'un des livres de la rentrée littéraire 2016 française qui ne passe pas inaperçu au rayon étranger. 28 ans après Les versets sataniques et la fatwa lancée contre lui, Salman Rushdie publie Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits chez Actes Sud. Dans le roman, l'auteur oppose Averroès, le philosophe humaniste de l'Andalousie musulmane, au personnage de Ghazali. Depuis cette période présentée souvent comme l'âge d'or de l'islam, il pense (entretien de presse) que « malheureusement de nombreux pays musulmans sont tombés dans les mains de forces très réactionnaires». Il dit «avoir connu l'époque où le monde musulman était différent. Quand Beyrouth, Damas, Téhéran ou Bagdad étaient de grandes villes modernes. Des villes sophistiquées où personne ne portait la burka et où il y avait de la musique et une vie culturelle». Pour lui, la philosophie la plus conservatrice, qui descend de Ghazali, a eu malheureusement plus de succès dans le monde musulman. Et ironiquement, Averroès a eu plus d'influence en dehors du monde musulman : ses commentaires sur Aristote ont été très importants lors de la Renaissance italienne par exemple.