Livres La honte se vit seule. Roman de Zehira Houfani-Berfas. Editions Tizi Ouzou, Alger, 2016, 203 pages, 650 dinars. Une bien triste histoire... qui, heureusement, finit bien. Une histoire qui commence en Algérie et qui se termine au Canada. Vous l'avez peut-être deviné, c'est une histoire de «harga»... au féminin. Selma est une jeune et belle étudiante d'Alger qui a laissé son fiancé, Mourad, médecin de son état, mais chômeur, partir à l'étranger afin de ramasser le pécule lui permettant d'acquérir le logement, la voiture... Il lui a même promis de tout faire pour la faire venir... Mais, la route du succès est longue, parsemée d'embûches. Après la France, il se retrouve au Canada. Entre-temps, sa dulcinée, coincée entre une famille quelque peu conservatrice, une société et un quartier «bloqués» (ce qui l'oblige à mettre le foulard) et le désir de vie libre et libérée, déprime. Bien pire encore, elle est violée par le voyou du quartier, un viol qui restera ignorée et sous le coup du chantage. Heureusement, elle a une amie fidèle, Radia, elle aussi étudiante, résidente en cité universitaire, qui vit sa vie comme elle l'entend (vous comprenez !). Elle va tout faire pour l'aider à s'enfuir et à rejoindre l'amant lointain... à Montréal. Que d'embûches ! Heureusement que tout finit presque bien... sans l'amoureux qui avait déjà convolé en justes noces. L'auteure : écrivaine et journaliste établie au Canada depuis le milieu des années 90. Auteure de plusieurs romans et essais (dont une contribution, en 2015, à l'ouvrage collectif «Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ?» coordonné par Amar Ingrachen, déjà présenté in Médiatic, 21 avril 2016). Elle a aussi participé à une mission humanitaire en Irak durant l'invasion américaine en 2003, ce qui avait donné lieu à deux ouvrages. Extraits : «La vie n'était pas aussi compartimentée que dans certains pays musulmans où la démarcation entre les sexes ne fait pas dans la nuance. En Algérie, la flexibilité est de rigueur. Car, partout dans la vie active, la mixité s'exerçait, bon gré mal gré, suivant la nature des soubresauts de la société» (p 49), «Businessman est un terme vague très à la mode qui renvoie aussi bien à l'homme d'affaires établi qu'au petit vendeur ambulant. Ou encore à ces hommes «valise» qui constituaient tout un réseau d'importation de marchandises mis au point par des grossistes avec la complicité de certains dignitaires et douaniers» (p 67). Avis : Un ouvrage qui se lit d'un seul trait tant l'écriture est rapide, un peu trop même, et le style fluide. Peut-être, un peu trop de digressions sur la vie politique nationale... un défaut bien de «chez nous».Tout particulièrement chez la «nouvelle» génération de journalistes (et intellectuels et fonctionnaires) devenus, sur le tard et sur le tas, ce qui n'est pas une maladie, écrivains. Ah, oui, dans les digressions utiles, en plus des relations homme-femme en Algérie et à l'étranger, il y a une mini-étude sociologique sur la diaspora algérienne à Montréal. Instructive ! A bien lire par les candidats au départ ! Citations : «Il faut être maudit pour se détourner de la lumière et s'enfoncer dans la misère et le deuil» (p 144), «Il faut aimer son pays pour le rendre beau aux yeux des autres. Des petits gestes qui convergent de partout pour donner la grandeur d'une nation. Or, chez nous, on fait l'inverse, on nous apprend à haïr l'Algérie» (p.144) Frères et compagnons. Dictionnaire biographique d'Algériens d'origine européenne et juive et la guerre de libération (1954-1962). Ouvrage de Rachid Khettab (nouvelle édition revue et augmentée). Dar Khettab, Boudouaou 2016 (1ère édition, 2012), 396 pages+ 13 pages de photographies, 1.100 dinars. «Je ne suis pas musulman, mais je suis algérien, d'origine européenne. Je considère l'Algérie comme ma patrie». C'est là un court extrait de la lettre adressée à la presse et aux autorités françaises, en 1956, par Henri Maillot. Des phrases qui peuvent être mises dans la bouche de presque tous les 250 personnes recensées (pour l'instant, car le travail de recherche n'est pas terminé) par l'auteur. 250 fiches biographiques, courtes ou longues, mais toutes, en dehors du côté plus qu'émouvant ressenti lors de la lecture, montrent combien l'engagement de centaines d'Européens (car il ne faut pas oublier que tous ces militants de l'indépendance et de la paix avaient aussi une famille qui, bien souvent, s'est engagée avec eux et a souffert, parfois plus que bien des «indigènes» : emprisonnments, tortures, éloignement et dispersion de la famille, enfants séparés de leur père ou de leur mère, couples brisés...). L'inculture aidant, on a tendance, surtout dans l'Algérie des toutes nouvelles générations quasi-totalement déconnectées de l'Histoire vraie du pays, à oublier que l'Algérie des années 50 du siècle passé (sous occupation française) était cosmopolite, composée essentiellement, certes, d'Algériens d'origine berbéro-arabe, de huit millions d'habitants, principalement de confession musulmane, d'une population chrétienne d'un peu plus de un million d'habitants et d'une population de confession juive, (environ 150.000 habitants) établie en Algérie bien avant la colonisation française et dont les racines pour la plupart d'entre-eux remontent à l'Antiquité, bien avant que les Romains n'occupent le pays. Le décret Crémieux de 1870 leur avait accordé la nationalité française, néanmoins, ils restaient bien plus Algériens que les nouveaux colons. Rien d'étonnant donc qu'aux côtés des «indigènes», et souvent bien avant le 1er novembre 54, on retrouve des chrétiens et des Juifs s'engageant dans le soutien et /ou la lutte pour la liberté et l'indépendance. Certains sont devenus de véritables héros de la Révolution et reposent dans les carrés des matyrs. D'autres vivent encore dans leur pays d'origine (malgré bien des malentendus et/ou erreurs politiques en 62, puis en 65 et juste après, et les dérives islamistes des années 90), fiers d'avoir participé à la libération du pays... puis à sa reconstruction. Des rues et des places portent des noms de chouhada d'origine européenne et juive... Mais, hélas, cela reste bien insuffisant... et ce livre vient combler un peu le vide mémoriel sidéral que nous entretenons... par manque d'archives...et de culture historique ouverte sur le monde et l'universel. L'auteur : sociologue de formation, diplômé d'universités (Montpellier et Paris). Après avoir exercé plusieurs métiers, il fonde sa maison d'édition en 2006...et ce, afin d'offrir au public des ouvrages de référence dans différents domaines. Extrait : «La plupart de ceux qui ont apporté leur soutien à la lutte de libération nationale dans la minorité européenne ou juive sont restés en Algérie après l'indépendance entre 1962 et 1965...Tous ont exprimé la fierté d'avoir été pour la libération de l'Algérie et d'être Algériens» (p 19) Avis : De la superbe recherche historique (celle d'inventaire). Des fiches biographiques... Profonde émotion à leur lecture. Avec des annexes (textes et photos) d'une grande intensité. Citations : «L'idéologie colonialiste en Algérie reposait fondamentalement sur une stratification sociale et économique dont le critère était l'appartenace ethnique et religieuse» (p 10), «La révolution algérienne n'a pas pour but de «jeter à la mer» les Algériens d'origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain» (p 12, extrait de la Plateforme du Congrès de la Soummam), «Le temps est venu de choisir et de préférer à l'illusion des races la réalité d'un pays» ( p 368, Jean Sénac, Extrait de la «Lettre à un jeune Français d'Algérie», mars 1956), «Il est faux de dire qu'il y a deux communautés en Algérie. En réalité, il y a deux camps : celui du colonisé et celui du colonisateur. Colonisés et colonisateurs ne peuvent plus, à notre époque, cohabiter. C'est là tout le problème «( p 390, Extrait d'une interview de Ferhat Abbas, 23 juillet 1957, in «La Révolution Algérienne» de Charles-Henri Favrod) Les amis des frères. Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libération nationale algérienne. Ouvrage de Rachid Khettab (nouvelle édition revue et augmentée). Dar Khettab, Boudouaou 2012, 416 pages +12 pages de photographies, 1.300 dinars. Les colonialistes les classaient dans la catégorie des traîtres à la patrie, d'autres, à gauche, taxaient à tort d'«entrisme» leur appel à l'insoumission. On saluera dans leur engagement l'honneur du peuple français. Pourtant, leur résistance est ignorée pour une grande part en Algérie, où une réévaluation de l'opposition en France à la guerre s'impose. C'est pour nous une dette à honorer à l'égard de ceux qui ont risqué leur vie, brisé leur carrière ou compromis leur vie familiale». C'est là un extrait d'une préface signée Mohamed Harbi au livre de Anna Beaumanoir (Editions Bouchène, Paris 2002). Uniquement en France, ils étaient entre 2.000 et 3.000 personnes qui activaient dans les réseaux de soutien à la cause algérienne. On a eu les «Porteurs de valises» si fameux, mais il y eut aussi des centaines et des centaines au niveau d'autres nations. Sans parler des pays africains, sous domination coloniale, des pays asiatiques, des pays arabo-musulmans (à la solidarité «mécanique») et des pays socialistes dont les interventions et les aides s'effectuaient à travers les appareils de'Etat...cela n'excluant pas les soutiens individuels et les élans collectifs de solidarité. On a eu, aussi, ceux qui ont rejoint les rangs de l'Aln (dans ses bases en Tunisie et au Maroc, tout particulièrement) ou dans les représentations algériennes disséminées à travers le monde. Bien d'entre-eux sont entrés en Algérie après l'Indépendance. Citoyens algériens, il y résident encore. L'auteur : Voir plus haut Extrait : «Nous n'oublierons jamais qu'ils ont accepté de souffrir pour notre liberté et, quand l'Algérie sera enfin indépendante, c'est le souvenir que nous emporterons de la France et non pas la haine de nos tortionnaires» (Extrait d'une déclaration de Haddad Hammada, lors du procès dit du «Réseau Jeanson» au tribunal de la prison du Cherche-Midi, en 1960. Exergue p. 5) Avis : Des fiches biographiques sur les hommes et des organismes et des mouvements... Intense émotion à leur lecture. Citation: «Citer toutes ces femmes et ces hommes à travers les continents et les pays est une tâche titanesque...» (p 8) PS : nouvelle parution en langue arabe, «Massar oua Hiwar Çoura», un ouvrage autobiographique d'un grand monsieur de la presse audiovisuelle nationale, Mohamed Malaïka (Editions Anep, Alger 2016, 110 pages, 450 dinars), avec une préface de Laïd Benarous, un ancien journaliste de la télévision algérienne. Né à Oued El Alleug (Blida) en octobre 1946. Un chapitre consacré aux études (Algérie, Maroc, Ecole normale de Bouzaréah, dirigée alors par feu Abdelhamid Mehri, études secondaires et baccalauréat en Jordanie et supérieures (Lettres/Journalisme) en Egypte, puis en Algérie (Sciences humaines). Vint après le concours de recrutement de journalistes à la Rta. Une longue et riche carrière allait commencer à partir de fin 1969. Quinze années de présentation du JT, des «couvertures» mémorables en Algérie et à l'étranger, et des postes de responsabilité (toujours au sein de l'entreprise) et la rencontre avec des hommes et des femmes dont les noms ont fait et font encore -pour bien d'entre-eux, car certains sont tombés, hélas, dans l'oubli- fantasmer bien des jeunes journalistes (sur la base de ce que leur ont raconté leurs parents... ou grands parents) L'ouvrage se termine par des témoignages de personnalités ayant croisé ou travaillé avec l'auteur... ainsi que des photos-souvenir (nous avions voyagé ensemble, en 1986, en Chine...Ça ne nous rajeunit pas !)