L'analyse dont la traduction est donnée ci-dessous est d'autant plus intéressante et instructive qu'elle a été avancée par un journaliste américain, non seulement versé dans l'histoire de l'accession en janvier 1933 d'Adolph Hitler au pouvoir, mais également sioniste extrémiste, qui épouse les thèses du fondamentalisme juif, et qui ne pouvait, en toute cohérence avec ses idées, que se réjouir de l'élection du président Donald Trump, particulièrement favorable à la politique brutale de Netanyahu contre le peuple palestinien. On ne peut donc pas récuser ce journaliste, sous le prétexte qu'il serait incliné à une certaine hostilité contre le nouveau président américain, du fait d'une quelconque sympathie pour l'islam et les musulmans, cibles déjà désignées de la furia du groupe actuellement au pouvoir aux Etats-Unis qui a déjà marqué sa trace profonde dans le système politique par le décret-loi sur l'interdiction d'entrée de citoyens de sept pays musulmans, prise le 27 janvier 2017 et contestée tant par la justice américaine que par l'écrasante majorité de l'opinion publique de ce pays. Voici la traduction de cet article révélateur de la parenté idéologique et tactique entre le nazisme et la ligne de pensée du groupe au pouvoir à la Maison-Blanche. La comparaison entre Trump et Hitler, y a-t-il des raisons de les comparer ? Entre la façon dont les campagnes électorales de Trump et de Hitler auraient dû être traitées par les médias et par les milieux culturels ? La manière dont les médias devraient agir maintenant ? Le problème de la normalisation ? Parce que j'ai écrit un livre sur Hitler intitulé «Expliquer Hitler», plusieurs rédactions m'ont demandé, pendant la campagne électorale, de voir ce qui pouvait être dit sur ce sujet. La campagne électorale de Trump : une croisade vicieuse J'ai refusé de leur répondre jusqu'au lendemain de l'élection. Alors que la croisade de Trump fut parfois vicieuse, comme l'ont été les vociférations de ses partisans, ni lui ni eux n'ont semblé être portés vers le génocide. Il semblait plutôt porté vers rien de plus que le simplisme hideux et blessant. Un bouffon infantile, vindicatif, entraînant derrière lui des partisans racistes, dont il a rendu la vie de l'opinion publique acceptable. Quand je parle de ses partisans, je fais référence à ceux de sa suite qui ont perpétré des actes de violence contre les femmes, qui ont accablé de coups de poing les visages des femmes, et ont proféré contre elles des insultes racistes. Ces partisans sont les gens dont Trump a rendu les idées respectables, et ils ne trouveront pas sur leur chemin l'opposition du ministère de la Justice américain, comme au temps d'Obama. Ceci est certainement mauvais, mais le génocide est presque par définition au-delà de toute comparaison avec « la politique » normale, et comparer le racisme désordonné et les mensonges compulsifs de Trump pourrait banaliser les crimes de Hitler et les victimes de son génocide. Le livre de référence : «Mein Kampf» Mais après les élections, les choses ont changé. Maintenant, Trump et ses courtisans occupent le siège du conducteur et tentent de se présenter comme des participants respectables à la politique américaine, alors que leurs vues est extraite d'un livre de référence écrit en allemand (« Mein Kampf » d'Adolf Hitler, ndi). Le moment est venu d'inspecter de plus près les tactiques et la stratégie qui ont mis au devant de la scène politique la distorsion spectaculaire des valeurs américaines. Ce que je veux suggérer, c'est une comparaison avec Hitler, qui soit réaliste et qui mérite qu'on y réfléchisse. C'est ce que l'on pourrait appeler la technique secrète, une sorte de contrôle rhétorique que Hitler et Trump ont utilisé contre leurs opposants, et plus particulièrement les médias. Et ils ne plaisantent pas ! Si vous aviez reçu, comme moi, des mots menaçants, comme cela a été le cas pour nombre de Juifs et de gens de couleur, la jouissance que tirent ceux qui sont assoiffés de sang du fait de terrifier leurs victimes est sans aucun doute fondée sur des convictions sincères. Et leur livre de référence est : «Mein Kampf». Je suis parvenu à cette analyse par un raisonnement commençant par la conclusion. L'histoire de la relation entre Hitler et les médias a commencé par un étrange épisode dans l'accès de cet homme au pouvoir, un clash entre lui et la presse qui aurait pu contribuer à la fin de sa carrière politique. Mais, hélas ! Ce ne fut pas le cas. En fait, cet incident l'a placé en orbite dans la lutte qui devait le porter finalement au pouvoir. La banalisation du mensonge Il n'y a, en terme d'échelle, aucune comparaison entre Trump et Hitler. Jusqu'à présent, ses plus importantes décisions politiques ont été de nommer à différents postes de son gouvernement des personnes répréhensibles et de promulguer des décrets effroyables. Mais ceci, aussi, est une forme de destruction. Pendant que les manifestants et les cours de justice se sont engagés dans un combat après le décret-loi bannissant les musulmans, chaque nouvel acte, chaque nouveau mensonge, acceptés de manière routinière, apparaissent moins outrageux. Appelons cette évolution du nom qu'elle mérite : la banalisation du mensonge. Et voyez où cela nous a menés ! Nous aurions dû probablement voir cela arriver. La conduite outrageuse et la bouche menteuse « toute honte bue» apparaissaient si ridicules que nous n'avions pas besoin de le prendre au sérieux. Jusqu'au moment où nous avons fini par le prendre au sérieux. Donnons-lui l'attention innocente dont il semble raffoler et il ne serait plus nuisible ! Cette situation semblerait infantile si elle n'apparaissait pas rétrospectivement sinistre. Allan Bullock (1914-2004), auteur d'un ouvrage intitulé : «Hitler, une étude de la tyrannie» (1952), disait que ses étudiants se trompaient en mettant l'accent sur son antisémitisme vicieux. Selon cet historien, en fait, Hitler ne croyait probablement en rien, et il a utilisé la haine des Juifs pour faire avancer sa cause parmi les couches de voyous les plus ignorants de la société allemande. De même que Trump a fait appel à ses partisans racistes, voyous et ignorants, Hitler était, selon Bullock, un détourneur de fonds, un escroc qui a joué la carte juive, qu'il a utilisée pour fouetter l'enthousiasme désordonné et donner l'impression d'un mouvement. Tel est l'élément de comparaison que je cherchais ! Jouer au bouffon : une stratégie politique gagnante Bullock a découvert que cette tactique qui consiste à jouer au fou, au clown à la Charlie Chaplin, a réussi bien des fois, comme de la magie. L'Occident perdit pied. Les pays occidentaux ont constamment sous-estimé Hitler et furent divisés sur l'interprétation de ses plans (« Qu'est-ce que Hitler veut réellement ? »). Avec sa répétition et ses succès, la tactique devint irrésistible. Peu ont pris au sérieux Hitler. Et, bientôt, avant que personne ne le sache, il avait rassemblé les pays européens comme un jeu de cartes. Revenons-en aux élections américaines. Nous avons entendu des rumeurs selon lesquelles Trump avait comme livres de chevet les discours d'Hitler, mais nous avons normalisé cela, comme de juste. Nous ne l'avons pas pris au sérieux, parce que, à cause de ses actes à la fois outrageux et clownesques et ses gaffes, nous pensions qu'il allait se retirer de la course à la Maison-Blanche. Sauf que ses gaffes étaient conçues pour distraire. C'était cela sa stratégie secrète, l'essence de son succès : vous ne pouvez pas prendre position contre Trump parce que vous ne connaissez pas ses positions. Vous ne pouvez pas le trouver coupable de mal, parce que vous ne pouvez pas le trouver ! Et la tactique a réussi ! Trump n'a pas été pris au sérieux, ce qui lui a permis d'échapper aux critères normaux d'un candidat américain. Trump a ouvert un égout de haine raciale Soudainement, après la victoire inconcevable de Trump (nous commençons à nous rendre compte qu'elle est suspecte), la nation a été forcée de prendre fait et acte de ce qu'elle veut dire : est-ce que l'extrême droite est une menace réelle ou une plaisanterie tolérable ? Est-ce important que Trump ait ouvert un égout de haine raciale ? De nouveau, le terme « normalisation » est devenu le mot-clef ! Et le souvenir du quotidien allemand « Munich Post » défendant la république de Weimar m'est revenu à l'esprit. J'ai réfléchi à la fragilité des institutions démocratiques face à la haine organisée. Face aux démagogues : la fragilité des institutions démocratiques Hitler a fait preuve d'une grande ruse à propos de ses plans jusqu'à ce qu'il ait pris son poste et exercé le pouvoir de les mettre en œuvre. Trump a fait preuve de ruse, n'acceptant, ne rejetant les adaubages de David Duke, le leader du Ku Klux Klan. Le KKK ! Dans ce siècle ! Il a dit qu'il ne savait pas qui il était. Il ne pouvait pas être disqualifié à cause de quelqu'un qu'il ne connaissait pas ! C'est là que nous avons eu tort, en pensant qu'il était stupide et outrageant, pas rusé et bien au fait, et capable de se jouer des médias, comme Paganini. L'élection a révélé la faiblesse d'une démocratie faible où les libertés fondamentales peuvent être abolies par la démagogie et l'atteinte au droit de vote Il apparaît certain que Trump a une grande responsabilité dans la diffusion du discours de haine qu'adorent les zombies de l'extrême droite Comme l'a constaté David Remnick (journaliste américain à la revue «The New Yorker», titulaire du Prix Pulitzer pour un ouvrage sur la chute de l'Union soviétique, ndi) qui s'est réveillé et a finalement repris ses esprits le lendemain de l'élection de Trump : «C'est une fantaisie que de croire qu'un démagogue puisse être «normalisé» et l'idée que le candidat démagogue pourrait se transformer en un homme d'Etat posé et réfléchi après le jour de sa victoire électorale devrait maintenant être un lointain souvenir, une illusion brisée». *Par Ron Rosenbaum, dans «Los Angeles Review of Books», du 5 février 2017, traduit par Mourad Benachenhou