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Reportage - Périple en jaune à travers le Sud-Est asiatique : Thaïlande, Laos, Vietnam, Cambodge, Chine et Indonésie
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 03 - 2017

Ce qui ressort le plus dans les récits de voyage, c'est la description. Pour Gustave Flaubert dans son «Voyage en Orient», le voyage lui apparaît comme un genre mineur, seule la description est déterminante. Pour son époque, la nature, l'ethnologie était à découvrir ou à mettre en évidence, mais pour le troisième millénaire, tout compte et la relation est multiforme. Elle touche aussi bien les mœurs que la politique, en passant par la description de l'état des lieux.
Le Sud-Est asiatique est déjà célèbre par son labeur et sa sagesse. Il excelle dans ses produits compétitifs et agresse le marché européen et africain. Il a réussi à inonder le monde de ses produits meilleur marché, la pression du nombre qui cherche place au soleil engendre la créativité. Au Vietnam comme en Thaïlande ou au Cambodge, les peuples qui émergent d'une blessure de guerre se remettent à l'œuvre furieusement, afin de reprendre leur place dans le concert des nations. N'étant pas aidés par des richesses minières, ils retroussent leurs manches et font du travail une nouvelle religion.
Mon périple jaune commence en Thaïlande, entreprend une boucle en visitant le nord vers le Triangle d'Or, le nord du Laos en descendant le Mékong, un saut vers Hanoi et sa baie d'Along, Hô Chi Minh (ex-Saigon), le temple d'Angkor au Cambodge pour enfin se délasser sur les plages et les îles du sud de la Thaïlande, à Pattaya et Phuket. Pour un autre volet, c'est la Chine par l'ouest à Omroutsi, vers Begin, et l'Indonésie par Djakarta, Bali et les Célèbes.
L'aventure commence à Bangok, la ville est impressionnante, grouillante. Ses trottoirs encombrés, ses innombrables motos, ses canaux sillonnés de jonques font de la cité une ville à part. Avec «Le guide du routard» sur les traces de mes rêves. Si jeune, je voulais habiter l'errance. En tant que capteur d'ambiance, arpenteur de l'absolu, je rêvais de prendre la route de l'évasion. «La vie est ailleurs», disait Kundura. Chacun convoque son appétit d'horizons nouveaux. «Dans chaque acte que nous entreprenons, il y a un message», dit Claude Lévi-Strauss. Bien que les voyages naissent dans le défi, partir est une façon de s'exprimer. Le départ devient une conquête. Le montagnard convoite la cime, le marin la mer hauturière, l'anthropologue une communauté, le tourisme in fine les trois «S» et Robinson Crusoé: la solitude. La soif de vivre intensément est conjointe à l'ivresse du voyageur. A Bangok, elle est servie, comblée d'un exotisme débordant. C'est l'Asie, cet Extrême-Orient tant décrié depuis Malraux et les orientalistes.
Les hôtels, bars et restaurants de tout genre sont concentrés dans un quartier élu par les routards. Le conglomérat des Blancs, ces «nez longs» ou les «farang» (étrangers) mène vers la vieille ville où des futés ont aménagé un village autour de la rue Kao San. Un véritable ghetto où les touristes d'une certaine catégorie ont élu domicile. Ils sont restés fidèles à leur culture (bars, terrasses, restaurants, etc.), barricadés dans les habitudes occidentales en s'abreuvant, sur les nouveaux comptoirs, se soulant de la musique pop et exotique du terroir.
Rues et ruelles offrent un décor oriental. Les «tuc-tuc», ces petits «scooters taxis», créent une ambiance particulière. Ils se faufilent, s'introduisent dans les ruelles comme des poissons dans l'eau. Au quartier des routards, ils guettent leurs clients européens comme des guépards. Ils les captent au vol, leur tactique est infaillible, ils insistent avec le sourire, barrent la route avec leurs bras et invitent à prendre place. Le prix n'est guère abordé, jusqu'à l'arrivée où la surprise tombe raide. C'est leur façon d'opérer, le routard les traite «d'artistes de l'arnaque».
«Sawaddy» ! Le mot-clé pour le pays du sourire et de la grâce. Sawaddy, c'est le salut thaï, que l'on accompagne en joignant les mains, comme en signe de prière. La Thaïlande, c'est à chaque moment la coexistence de la tradition et la modernité. La tradition s'incarne dans la lenteur paysanne qui contraste avec l'agitation superficielle de Bangkok. «Il ne faut pas remettre à demain ce que l'on peut faire après-demain», le tout couronné avec le sourire; «souriez, l'on vous sourira», tel pourrait être aussi le slogan du pays. Porte de l'Extrême-Orient, la Thaïlande est l'un des pays le plus attachants du Sud-Est asiatique, par sa profusion de temples, l'exotisme de sa vie rurale, la poésie de ses canaux où se déroule une bonne part de la vie quotidienne, les plages merveilleuses du sud, la vie des quartiers chinois de Bangkok, la couleur des marchés, ses trésors artistiques et aussi la beauté de ses femmes.
Pour effectuer ce voyage, l'affaire commence à Alger. Il faut courir les ambassades, se renseigner dans les agences de voyages, opérer le change nécessaire, préparer son sac avec le minimum, etc. Quand vint le jour du départ, tout est calculé, prévu. Il faut s'arracher à ses habitudes, à sa famille, ses amis enfin «partir, c'est mourir un peu». Un constat amer nous ramène à plus de patience. A l'ancienne époque, il suffisait de se pointer à un consulat pour obtenir le visa qu'on veut. Vu les temps qui courent, l'exigence est de rigueur, les demandes de visa exigent les billets de sortie, des références, du cautionnement, quasiment du parrainage, alors que pour un voyageur de ma sorte, les sorties suivent le chemin des écoliers, c'est-à-dire la continuation en transport commun le plus économique, bus, train, taxi ou stop. Ces moyens ne peuvent s'obtenir de votre pays. On est obligé d'avoir sa sortie du pays en avion sinon le visa est refusé. Le voyage vagabond est périmé. On se plie à l'évidence.
Le bus menant à l'aéroport Houari Boumediene se faufile sur l'autoroute sans vergogne, en défiant toute concurrence déloyale. Qualifiée, d'autoroute de la mort, le danger est permanent du fait que les couloirs ne sont pas respectés. Le tempérament méditerranéen oblige cette gymnastique du slalom à la Fangio. Le nouvel aéroport flambant neuf vous annonce déjà le goût du voyage. Les kiosques à journaux sont bien fournis et la cafétéria d'un ameublement discret, d'un service lent et inorganisé, laisse encore à désirer. Air Algérie, débarrassée de son concurrent «Khélifa», a les coudées franches pour imposer son dictat sur le marché. Un embarquement classique où le voyageur se tient dans un look recherché, suit au coude-à-coude une file conditionnée à merci.
Paris, le centre du monde, l'émerveillement frise son paroxysme, tout est beau, tout est parfait en apparence. Dernier visa, une tournée dans les librairies du Quartier Latin, un délassement sur une des terrasses contemplant le mouvement continu de sapiens-sapiens évolués. Après sept heures de vol, première escale à Ammam, en royaume Jordanien. Je ne m'attendais pas à un si bel accueil, pour un transit temporaire. Une chambre dans un quatre étoiles avec un buffet royal nous gâtent. Les voyageurs, la plupart des routards, sont émerveillés devant cette considération même légale. Le moral se réajuste au meilleur. Le goût du voyage se réconforte en foulant les tapis moelleux et savourant les délicatesses de servitude. On s'arrache à cette belle commodité pour endurer les heures interminables d'avion. La liqueur servie en plein vol pousse le voyageur aux rêves et au sommeil.
Bangkok, fin du trajet. Une nuée de taxieurs vous sollicitent agressivement. Avec un routard, je partage les frais d'acheminement. La rue Rambouri du Kao San, près du quartier chinois, offre des hôtels modestes. Le quartier est tout désigné pour l'élection de domicile. Avec mon petit sac léger, je traverse les terrasses pleines d'un monde bigarré de touristes. Je me mets à la recherche d'un hôtel en fonction de mon budget. Un mini house répond à mon désir. La gérante, très accueillante, m'offre un thé et je tente d'enchaîner la conversation, je m'aperçois que son anglais est très limité et qu'en dehors de quelques mots les plus usités, le dialogue est réduit au service minimum. La chambre est dotée d'un ventilateur accroché au mur. Il brasse de l'air chaud. Au plus vite, je sors à la découverte du quartier. Il est 11 heures, je pars sans but, errant dans la petite rue de Rambouri. A elle seule, elle présente tout un microcosme de touristes «routards» et d'autochtones asiatiques. Notre schème occidental est désorienté par la mode asiatique. La différence prête aux comparaisons. Les restaurants ambulants à tous les coins de rue choquent les esprits. Dans certains cas, les chariots bloquent l'entrée de la rue, l'encombrement fait partie de la loi du nombre.
Pour mieux apprécier le paysage, je m'attable à la première terrasse. Les chaises sont assez confortables, le service aussi prompt que l'éclair. La clientèle, majoritairement étrangère, bien dans sa peau, contemple le mouvement. Sans gêne, des couples en apparence s'affichent aux comptoirs. Plus discrets, de bonne mise, les étrangers se sentent gênés avec une fille du pays. La différence d'âge est flagrante. Le rêve sexuel est à la portée de bourse. En général, c'est des filles à location à court ou à long terme. Le contraste est frappant. La femme en général est plutôt effacée, avec ses habits locaux. Sa position de figurante est visible. Bangkok est connue pour sa prostitution à grand échelle. Au bout de la rue principale du quartier de Kaon San, des jeunes vous abordent pour proposer tout un catalogue de femmes. Des rabatteurs à ciel ouvert.
Tout autour, la langue anglaise est courante, mais aussitôt sorti de cet enclos, la difficulté surgit avec l'incompréhension du thaï. Bizarre, tout se règle quand il s'agit d'un achat. La calculatrice vous montre le chiffre et c'est la négociation avec les signes.
Une fois assis, récupérant son souffle, des cireurs vous abordent avec de grands sourires, on a beau se retenir, vous cédez à la fin. Ma résistance est lointaine, je me rappelle les lendemains de l'indépendance où le Président Ben Bella se prévalait comme chantre de cette scorie coloniale. «Un homme ne doit pas s'agenouiller devant son frère». Là, il est assis sur son petit banc. Sa boîte est sophistiquée, pleine d'enjolivures. Dans ce monde, il se bat comme il peut. Il commence, lui aussi, à vous faire toutes les propositions possibles et imaginaires. Je laisse libre cours à mon observation, mes yeux en télescopique ne cessent de balayer un champ où l'humain offre sa différence. Elle commence par les apparats criards de son habillement (pas tout à fait «hippie» mais plus évolué), sa démarche est celle d'un Européen, décontractée, son éternel sac à dos de toutes dimensions et de toutes formes. Le tout est couronné par son occupation communicative. Le portable est devenu son prolongement. Tout le monde écrit ou consulte son miniordinateur. Son cordon ombilical avec l'Occident.
Bangkok offre toutes les commodités pour tout genre de tourisme, elle a compris que le tourisme de masse, même moyen, est payant. Ce quartier, conçu uniquement pour sa classe, jouit d'une renommée internationale, même les touristes de classe cinq étoiles viennent humer la senteur occidentale.
L'animation est à son comble, des tuc-tuc, ces petits scooters comme les mouches, agaçant avec leurs klaxons, se faufilent entre deux voitures.
La rue est soumise à une animation exceptionnelle, les boutiques débordant sur les trottoirs offrent leurs marchandises, les motos mêlées aux bicyclettes s'entrecroisent subtilement, les voyageurs, en quête de nouveaux gîtes, plient sous leur sac à dos ou, plus futés, tirent sur des roulettes leur chargement de fortune.
Les Thaï se démènent énergiquement, les femmes gracieusement, les hommes en charge d'une peine quelconque. Plié sous un fardeau, ou jouant en équilibre entre deux charges liées par un bambou, l'Asiatique se démène pour une existence modeste.
La rue principale grouillante étale ses produits d'une façon exotique, elle se prolonge à tous les cent mètres par de petites ruelles plus alléchantes.
Les promeneurs sont tentés d'aller s'allonger sur les matelas couverts en blanc où s'alignent des masseuses traitant le muscle comme un produit à soulager. Décontracté, le client affalé se laisse triturer les cuisses ou les jambes, tout en observant les passants. A l'intérieur, le commerce continue mais d'une façon plus discrète et mystérieuse. L'aventure sexuelle y loge. Les rabatteuses insistent, du moins pour le massage. Tout dépendra de l'aptitude et du goût du client, plutôt de sa sensibilité physique.
Des vitrines plus sophistiquées exposent une nouvelle méthode de massage par des petits poissons dans des aquariums où le client plonge ses deux pieds. Par petites touches, les centaines de petits poissons, pas plus grands qu'un pouce, s'attaquent aux mollets. Les petites morsures créent des sensations agréables qui font fonction d'acupuncture ou de massage aigu. Cette nouvelle acupuncture attire de nombreux curieux qui, apparemment passés les premiers frissons, éprouvent de bonnes sensations. Il suffit de savoir dominer ses nerfs.
Après ces fortes sensations léguées par des petits poissons, une balade, pour amadouer les mollets, se poursuit. Un magasin en longueur, garni d'étagères pleines de livres, attire mon attention. Ce n'est pas une librairie mais c'est tout comme. Il échange les livres. Tu proposes un livre ou tu te saisis d'un autre pour acheter. Le voyageur, devant un temps libre, reliquat du temps de la promenade et de la découverte, a besoin de combler le vide; il part toujours avec deux livres dans l'objectif de faire le troc entre voyageurs ou de se dépanner dans ce genre de librairie. Les livres d'anglais sont dominants. Le rayon français offre plus de romans policiers et des romans à quatre sous. Tout au long de la rue, des petits chariots achalandés de fruits du pays (papayes, melons, pastèques, kiwis, etc.) attirent. La tentation devant l'exotisme pousse à mordre le fruit. C'est excellent comme remontant vitaminé à tout moment. Rester au village, c'est se confiner au mode européen et délaisser le côté découverte de l'essence thaï. Taxi ! Au Palais de l'Empereur ! Yes. Les Thaïs ne parlent pas couramment anglais, au flirt des touristes, ils arrivent à baragouiner quelques mots, sauf dans les hôtels ou dans les agences.
J'avais fait l'expérience d'un «tuc-tuc» pour un déplacement à la gare de chemin de fer; au retour, le taxi «taximeter» était moins cher. Les «tuc-tuc», ces motos taxis, s'érigent en compagnie d'arnaqueurs. Je vous fais grâce des balancements inconfortables dans les virages. Le taxi avec compteur est plus reposant pour l'esprit et pour le portefeuille. Tenter une discussion est vouée d'avance à l'échec. Les Thaïs sont réfractaires à la langue anglaise et encore moins à la française. Le seul mode de communication, c'est les petits bouts de papier transcrits auparavant à l'hôtel en thaï, à l'aide du dictionnaire. Quel boulot ! Comme on dit, les voyages forment…
Tout près du plus intéressant temple de la Thaïlande, je pars à sa découverte. Ma seule arme valable, l'appareil photo avec lequel je peux mitrailler le paysage autant que je peux. Les deux monuments les plus célèbres du pays, le Wat Phra Kaew (temple du bouddha d'Emeraude) et le Grand Palais occupent le même site, un vaste parc entouré d'un mur d'enceinte. Le soleil tapant ne m'aidait pas à me mouvoir pour venir à bout de ce parcours. Je visse ma casquette, m'approvisionne d'une bouteille d'eau glacée, disponible chez les jeunes qui tournaient comme des toupies tout autour. Comme par hasard, je suis à l'opposé de l'entrée principale, alors me croyant à Timimoun, j'affronte la chaleur, laissant libre cours à la sueur du front.
Finalement, l'entrée monumentale sous forme d'arc de triomphe va amortir la souffrance du soleil et te soulage de quelques euros pour la curiosité du pays. Les trois caisses sont d'une fluidité incroyable, en deux mouvements vous avez vos tickets et le suivant continue. Pourquoi chez nous, aux guichets des stades ou aux cinémas, la foule piétine dans une ambiance tendue et électrique ? Question de tempérament méditerranéen, dit-on ! Ou d'organisation de structure… mentale ?
Le temple impressionne par ses Chédi dorées (stupas de style thaïlandais), ses statues ornementées représentant des créatures mythiques. Pour ajouter au charme de ces représentations incrustées d'or, le nombre incalculable vous donne l'impression que l'or à l'époque débordait comme au Pérou. Avant de pénétrer en profondeur dans le temple, nous avons pour notre argent à la vue de tout cet or en exposition.
La foule est dense, son apport monétaire au temple depuis le temps assure-t-il l'entretien ? Pour le moment, ce n'est pas mon problème. Je dois me démener pour lire mon guide et progresser dans la compréhension. Je reste dérangé dans ma lecture par des vrais guides qui me proposent leur version historique des lieux. Je préfère la mienne, plutôt celle du livre, mais leur agacement devient insupportable. Ce n'est qu'un peu plus loin où les casques-guides sont proposés moyennant une autre ponction financière.
Je continue ma progression vers le temple de Wat Phra ou le temple du bouddha d'Emeraude, qui en réalité est en jade. Une statue haute de 66 mètres qui a été l'enjeu de luttes sanglantes. Après avoir passé plus de 200 ans au Laos, le bouddha a été récupéré par la Thaïlande en 1778 et n'a plus quitté Bangkok depuis. Je pensais illico à notre fameux canon «Baba Merzouk» kidnappé à Brest et qui tarde à se faire rapatrier. Colonisation oblige. La statue dispose de trois vêtements que le roi en personne change au cours d'une cérémonie solennelle marquant le changement de saison. A entendre mon guide casque, je me transporte à La Mecque pour l'habillement de la Kaaba au retour d'Arafat. Chacun son affaire et la religion est bien gardée.
Admirer, c'est bien beau mais suffoquer et résister aux parfums des glaces aux petits coings, c'est de l'exploit touristique. L'environnement couvert d'une verdure ordonnée est aussi attrayant que les monuments. Pour ma part, j'étais ébloui par la clarté des gravillons blancs qui bruissaient sous mes pieds. Je prenais plaisir à cette sonorité insolite complétée par les belles niches des stupas et des bouddahs. Etrange passé différent que celui du Maghreb, l'histoire asiatique demeure très respectée du fait de l'injection d'une bonne dose religieuse. La nôtre est malmenée par les conquêtes, le trot de la cavalerie à travers les ergs et les regs, des complots de raïs, des ravages et du faste des palais. L'art musulman est très discret, il culmine dans les dédales cursifs de la calligraphie, fuyant les représentations anthropomorphiques.
Plus grand et plus ancien, le Wat Pho, un extraordinaire bouddha couché, statue dorée à la feuille de 46 mètres de long sur 15 m de haut. Cette statue fait l'objet d'une vénération nationale profonde. Une foule continue honore son bouddha en le mitraillant des cliquetis d'appareils photos. C'est le roi Rama 1er qui ordonna la construction de Bangkok avec la chapelle royale et le grand palais, on y installa le bouddha en grande pompe. Au nord, se dressent d'autres édifices tout aussi imposants, telle que la bibliothèque dont la façade ouest est considérée comme la plus finement ouvragée de Bangkok: le Vihara à pignons décoré de tuiles de porcelaine.
Je tombe au virage d'une galerie, sur le bloc toilettes. Je me rue, sacrifiant toute forme touristique et assouvir les exigences biologiques pour maintenir la forme. Féerique netteté et propreté, le marbre blanc se reflète sur les immenses miroirs, en voici un autre temple moderne plus efficace corporellement. Les toilettes, urinoirs, brillent dans un silence inspirant le respect quasi religieux. Seul dans un tel espace, haut lieu de propreté, la découverte se joint au voyage pour une jouissance d'agrément. La visite continue sous son aspect culturel et historique. Je vis l'époque de l'ancienne Asie quasiment inconnue en douceur. Des Almohades aux Thaïs, le saut est périlleux, l'imagination se perd en conjectures. De l'origine des Austro Thaï, le débat scientifique est complexe. Les premiers habitants seraient originaires d'une région qu'ils situent vaguement entre le Guangxi, dans le sud de la Chine, et le Diên Biên Phu, au nord du Vietnam. D'autres avancent une explication plus audacieuse: ces Thaïs descendraient d'une civilisation maritime originaire du Pacifique ouest. Les partisans de l'origine «océanique» ont soigneusement étudié les symboles et les mythes dans la culture et l'art des Thaïs pour parvenir à leurs conclusions. Cette vaste zone d'influence austro-thaïe généra des courants migratoires dans toute l'Asie du Sud-Est. En Thaïlande, les Austro-Thaïs appartiennent aux sous-groupes des familles linguistiques thaï-kadai et môn-khmère. Les Thaï-Kadai forment le groupe ethnolinguistique le plus important de toute l'Asie du Sud-Est, avec 72 millions de locuteurs. Il s'étend des rives du Brahmapoutre jusqu'au golfe du Tonkin. Au nord, on trouve des Thaï-Kadai jusque dans les provinces chinoises du Yunnan et du Guangxi. Au sud, ils sont présents au nord de la Malaisie. En Thaïlande et au Laos, ils composent la majorité de la population. Parmi les principaux groupes de Thaï-Kadai, figurent les Ahon (Etat de l'Assam), les Siamois (Thaïlande), les Thaïs noirs (Laos et Thaïlande), les Thaïs Shan (Myanmar), les Yuans (Laos et Thaïlande). Tous ces groupes font partie de la moitié thaïe des Thaï-Kadai. Les groupes Kadai sont numériquement moins représentés (moins d'un million d'individus).
Avec toutes les réserves qui s'imposent, compte tenu des rares témoignages dont disposent les historiens, les migrations des peuples austro-thaïs du sud de la Chine ou du nord du Vietnam pourraient avoir commencé au début du VIIIe de notre ère, même si le Xe siècle est une date plus communément admise. Ces déplacements en direction du sud et de l'ouest se sont effectués par groupes restreints. Les migrants fondèrent de petits Etats, selon le schéma traditionnel sous l'autorité de chefs de clans ou de seigneurs. Partout où les Thaïs rencontrèrent des populations locales tibéto-birmanes au cours de leur migration, ils purent les déplacer, les assimiler ou cohabiter avec elles sans violence.
Les royaumes anciens
En l'absence de chroniques et de chronologies écrites, il s'avère difficile de dire quels types de cultures prévalaient en Thaïlande avant le milieu du 1er millénaire. Le bouddhisme Therava, l'une des principales formes du bouddhisme, était en plein essor. Il fut introduit par les missionnaires indiens envoyés dans un pays appelé Suvannabhumi (pays de l'or), qui correspondait à une zone d'une grande fertilité englobant le Myanmar, la Thaïlande centrale et le Cambodge oriental. Deux villes du bassin central de Thaïlande s'appelaient Suphranburi (ville d'or) et U Thong (berceau de l'or).
La culture Dvaravati au XIe siècle passa rapidement sous la domination des envahisseurs khmers. Le nom sanskrit de Dvaravati (littéralement «lieu des portes») fait référence à la ville de Krishna dans l'épopée indienne du Mahabharata. Cette période a pu servir de relais culturel aux civilisations de l'ancien Cambodge et Laos. Des réseaux de routes et de temples reliaient des cités à Angkor, la capitale. Les Khmers donnaient aux Thaïs le nom de «Syam» (doré ou basané).
Ayuthaya
Les rois thaïs devinrent très puissants aux XIVe et XVe siècles. Ayuthaya était l'une des plus grandes et des plus riches cités d'Asie, avec ses 34 règnes durant 4 siècles pour passer sous contrôle birman. Un chef militaire sini-thaï, Taksin, rétablit l'ordre dans le royaume et se proclama roi en 1769.
Un missionnaire américain, James Low, introduit la première presse confirmée par le roi Rama 1er, avec le premier journal en 1844. Rama IV, original et novateur, laissa le trône à son demi-frère Rama III, il s'est fait moine pendant 27 ans. Il apprit le sanskrit, le latin et l'anglais. En 1851, il monta sur le trône, noua des relations internationales, évitant l'écueil de la colonisation. Il tenta de concilier la cosmogonie bouddhiste à la science afin d'épurer la religion de son côté mythologique. Il introduit une seconde presse et réforma l'enseignement.
Rama V, 1868-1910, poursuit l'œuvre de réforme: abolit l'esclavage, les corvées, les coutumes de prosternation devant la personne royale. Il céda l'Indochine à la France, le Laos en 1893 et le Cambodge, 1907, à la Birmanie anglaise. Rama VI (1910-1925) fut élevé en Angleterre. Il imposa l'école obligatoire.
En 1912, il y eut tentative de renversement de la monarchie. 1935, le roi abdiqua et se retira en Angleterre. Le Parti du peuple trouva un allié de poids en la personne de Rama VII et, en 1932, une révolution fit passer la Thaïlande du régime absolu à celui de monarchie constitutionnelle, sans aucune effusion de sang.
En 1939, le nom du pays fut officiellement changé de Siam en Thaïlande. Lors de l'invasion des Japonais en 1941, le gouvernement se rangea au côté des envahisseurs et déclara la guerre aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne en 1942. En novembre 1997, le Premier ministre Chavalit, qui n'avait pas réussi à redresser l'économie du pays, démissionna.
L'ère Thaksin
Le milliardaire Thaksin Shinwatra, à la tête du plus grand empire de télécommunications du pays et originaire de Chaing Mai, fut nommé Premier ministre en janvier 2001 avec un programme mettant l'accent sur l'élimination des dettes des fermiers et l'investissement dans les villages pauvres. En 2003, il annonça une guerre contre la drogue qui entraîna la mort de 2.700 trafiquants. En 2006, un putsch mit à l'écart Thaksin, qui se réfugia à Londres. Il acheta le club de football de Manchester et s'amusa avec, loin des clameurs de Bangkok. En mars 2008, retour de Thaksin avec une nouvelle période d'incertitude dans la vie politique thaïlandaise.
Le sourire thaïlandais
Le sourire thaïlandais explique l'attitude positive dont l'idée de «sauver la face» est une notion fondamentale. Il s'agit d'éviter toute confrontation et de ne mettre personne dans l'embarras. Le pays n'est pas complètement homogène: dans le sud, on trouve une identité culturelle forte entretenant des liens étroits avec la culture musulmane de la Malaisie voisine. La culture chinoise est très prégnante dans le sud, comme en témoignent les nombreux temples et pagodes. Les villages musulmans traditionnels sont construits directement sur l'eau. Ce sont des rangées de maisons sur pilotis reliées entre elles. Les eaux de la mer d'Andaman étant réputées calmes, les habitants ne redoutaient pas la colère de l'océan jusqu'au tsunami de 2004 qui a ébranlé leur confiance.
De la visite du Grand Palais, c'est le retour au village, la base culturelle de l'occidental, où les petits restaurants adaptés aux goûts des Européens s'offrent à tous les coins de rue. De préférence, je choisis une terrasse pour me régaler de tous les mets exotiques et surtout leurs fruits. C'est bien beau Bangkok, ce village sécuritaire, la grande ville où se dressent des buildings, ses grands magasins, son grouillement, ses jonques dans les canaux, le visiteur demeure sur sa faim devant ce méli mélange d'Orient et d'Occident. Ce qui n'est guère passionnant. Je décide d'aller traîner la patte à l'intérieur du pays vers le fameux Triangle d'Or, au nord. Région excellente pour le trafic de drogue, toutes catégories confondues.
Le mode de transfert se fait mieux en train qu'en autobus. Pour 600 kilomètres, la distance parcourue en train s'avère plus reposante. Les couchettes vous dorlotent toute la nuit. Au guichet de la gare, la réservation n'est pas facile pour trouver le jour convenable. Une chance, elle pointe pour le surlendemain. C'est la règle du nombre qui sévit. Nous sommes dans un pays de plus de 100 millions et le transport n'est pas aussi disponible qu'en Europe ou en Afrique. La réservation à l'avance est de rigueur.
«Tuc-tuc» et me voici projeté dans une gare houleuse. Bien qu'un kiosque d'accueil tente de juguler son monde, je me retrouve dépassé par une foule grouillante. Je fouille les écriteaux pour enfin découvrir le bureau du train en partance pour Chiang Maie vers le nord. La gare concentre dans son grand hall une foule bigarrée de voyageurs où les touristes se font prévaloir par leurs allures extravagantes (sac au dos, pantalon de brousse, chapeau et souliers de grands marcheurs). Des bancs alignés au milieu de la salle stockent les voyageurs en attente. La plupart sont des locaux qui somnolent, sirotent des jus ou grignotent des amuse-gueules. Une musique stridente tente d'égayer l'atmosphère, elle est ponctuée par des annonces publicitaires qui martèlent les regards avachis par un grand écran dominant. Pour admirer ce magma de foules, je m'installe au premier étage au balcon d'une cafétéria, sirotant un breuvage. C'est fou comme le nombre est impressionnant, loin de la sérénité d'une gare européenne. Les boutiques et restaurants alentour vocifèrent pour vanter leurs produits, ce qui ajoute à la cacophonie une note délirante. Je me régale à la sortie d'une sandwich au poulet grillé calmant l'heure du dîner. A Bangkok, la multitude des restos est impressionnante. La fumée des grillades aiguise l'appétit et l'on perd toute notion de l'heure des deux repas. De nouveau, on est happé par la vague du mouvement des piétons, augmenté du bruit des klaxons, couronné par une lourdeur de chaleur, l'ambiance est à la surchauffe.


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