Ils sont noirs, musulmans, pauvres et pas très sexy. Eux, ce sont les 300 victimes et plus de l'attentat de Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Pour leurs cadavres, la tour Eiffel ne s'illuminera pas, elle sera néanmoins éteinte deux jours après l'attentat suite aux critiques essuyées par la maire de Paris. Les places européennes ne seront pas non plus envahies de monde, «Je suis Somalie» brandie au-dessus des têtes. Le monde n'est pas Somalie et ne sera jamais Somalie, ni Irak, ni Syrie, ni Libye, ni Algérie avant tout. Leur monde ne sera jamais musulman, arabe, noir ou pauvre. Il est Charlie, Londres, Paris ou Berlin, des noms clinquants qui méritent qu'on s'arrête de respirer à la mémoire de leurs morts. La discrimination des linceuls existe aussi bien que le racisme ordinaire et le contrôle au faciès. Elle est devenue la norme dans un monde qui pleure l'ongle cassée d'une blonde et qui s'agite dès qu'une voiture conduite par un basané cale dans la rue ou grille un feu tricolore. Elle regarde ailleurs lorsque la mort frappe en gros dans le tiers-monde et prend le temps de s'interroger sur les raisons du passage à l'acte d'un Anders Behring Breivik ou Stephen Paddock. Même les commémorations et les deuils sont sélectifs. «Je suis Kenya», parce que s'ils sont noirs et pauvres là-bas, ils sont également chrétiens tout comme les coptes d'Egypte qui ont actionné l'interrupteur d'Eiffel. La croix étant un critère de sélection dans le choix des douleurs. Nos morts mourront trente mille fois tués par leur faute avant d'être la victime des terroristes. Ils mangeront la terre de leur tombe comme dernier repas et auront trois jours de deuil national pour lot de consolation, en attendant un autre attentat. Alors, commémorons nos propres cadavres, «Je suis Somalie» inscrite au fer rouge dans la peau, à l'encre indélébile dans la mémoire et éteignons toutes les lumières du pays quand un des nôtres tombe quelque part dans le monde. Arrêtons d'être complice de l'hypocrisie des larmes, cessons de caricaturer leur douleur en devenant subitement Charlie parce qu'ils l'ont décrété eux. Parce que ça fait « in » de se recueillir à la mémoire des autres. Leurs autres. Quitte à être le seul «Somalie» de la planète, je revendiquerais l'appartenance et leur douleur sera mienne.