En cette veille de 1er Novembre, le métier de chroniqueur est devenu pénible : il contraint à dire comment le cinquième mandat veut être imposé comme une fatalité. Les digues continuent de tomber, l'une après l'autre. Répondant on ne sait à quels impératifs, Ahmed Ouyahia a accéléré le mouvement cette semaine. Le commis de l'Etat, le haut fonctionnaire légaliste, le bureaucrate discipliné a disparu. Il n'y a, désormais, plus qu'un homme de pouvoir pris dans un engrenage infernal, navigant entre clans et réseaux, essayant d'expliquer ou de justifier ce que, en d'autres temps, il aurait considéré comme un reniement total. La proximité avec les forces de l'argent ? Il l'assume. Il ne se demande plus, comme il faisait naguère, si cet argent est légitime, fondé sur du travail ou s'il est gris. Il est vrai que le gouvernement a déjà abdiqué avant lui, sous Abdelmalek Sellal, lorsqu'il a prononcé une amnistie de fait en fermant les yeux, pourvu que les détenteurs d'argent acceptent de déposer leur fortune à la banque. Chakib Khelil ? Victime d'une « grande injustice », selon M. Ouyahia. Ce que révèle la presse italienne et suisse, les auditions de la justice italienne, les déclarations de hauts responsables de l'entreprise italienne ENI, les accusations portées par le procureur général d'Alger, les révélations sur la accointances avec Farid Bedjaoui, tout ceci est insignifiant, inexistant face à la vérité révélée par M. Ouyahia qui, fut en d'autres temps, ministre de la Justice. On parle entre soi L'amnistie fiscale ? M. Ouyahia y est favorable. Normal, dirait-on : il a été éradicateur intégral, avant de devenir un chantre de la réconciliation, il a rédigé la loi de Finances 2009 avant de passer au libéralisme sans limites. Le tout étant, naturellement, classé sous un label fourre-tout, l'application du programme du président de la République. A peine M. Ouyahi prend-il parfois le soin de dire qu'il parle en tant que chef d'un parti, le RND, non comme Premier ministre. Mais quand ce chef de parti est le Premier ministre en fonction, et leader, de fait, de la majorité gouvernementale, il devient évident que M. Ouyahia déroule la feuille de route de l'exécutif. Lequel exécutif semble mandaté pour mener l'Algérie à l'échéance 2019. Car dans cet exercice, M. Ouyahia ne parle pas aux Algériens. Il s'adresse à l'Algérie qui compte, celle de ses partenaires du pouvoir, cercles, réseaux, groupes d'intérêt, et tout ce qui constitue le pouvoir, formel ou informel, pour leur expliquer le contenu du deal en préparation pour 2019. Enfermement Ce deal relève d'une vision qui renforce clairement l'enfermement du pays. Dans tous les domaines. Sur le plan militaire et sécuritaire, on verrouille la frontière avec un dispositif qui occupe l'essentiel des préoccupations du chef d'état-major de l'armée ; on multiplie les obstacles pour l'entrée des « autres » en Algérie, qu'ils soient migrants ou investisseurs. Quitte à se répéter, on renforce le sentiment de la citadelle assiégée. La politique étrangère complète, parfaitement, ces choix. M. Abdelkader Messahel ne parle plus de diplomatie ni de politique régionale et internationale, mais de sécurité. Les managers algériens se plaignent, à raison, de l'absence de diplomatie économique : la diplomatie algérienne, fondamentalement sécuritaire, ne sait pas faire le reste. Au plan interne, les choix économiques sont vus sous l'angle strictement sécuritaire : comment concéder aux Algériens certains « acquis », comme les subventions et les soutiens de prix, pour éviter l'émeute, et comment assurer un minimum de croissance, de préférence au profit des « amis du moment ». Cela laisse, évidemment, de côté les questions centrales, se rapportant aux changements nécessaires, à la démocratie, à la gouvernance, aux profondes réformes économiques devenues vitales pour le pays. Eviter le cataclysme En se plaçant dans cette optique, le pouvoir, dont M. Ouyahia est l'expression la plus visible, exclut toute idée d'évolution. Ce pouvoir cherche des arrangements, pas des solutions. Il ne tente, à aucun moment, de résoudre des questions qui vont se reposer dans un mois, dans un an, dans cinq ans. Tout le monde sait que la gestion des APC est un échec. Mais on reconduit les mêmes mécanismes et les mêmes méthodes qui ont débouché sur des APC défaillantes. Le gouvernement veut même créer de l'enthousiasme autour des élections, alors qu'il en connaît les limites. Cette vision étriquée de la gestion des affaires du pays est assise sur un socle d'intérêts. Toute remise en cause, même partielle, devient dangereuse pour les équilibres internes du pouvoir, comme l'a prouvé l'expérience Tebboune. Un changement de fond est, dès lors, perçu comme un cataclysme. Même un changement mineur est vu comme une menace potentielle, car on ne sait jusqu'où il peut mener. C'est dire que, pour les cercles composant le pouvoir, le cinquième mandat est perçu comme la solution la moins risquée, et la plus facile à mettre en œuvre : il suffit de ne rien faire pour l'imposer. Une vérité cruelle ; d'autant plus cruelle qu'on est obligé d'évoquer cette fatalité, à la veille d'un 1er Novembre. Mais le 1er Novembre a, précisément, appris aux Algériens qu'il n'y a pas de fatalité.