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Russie - Grande-Bretagne: La guerre de l'ombre
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 17 - 03 - 2018

La Britannique Theresa May vient d'ouvrir un autre front de guerre à la veille de l'élection présidentielle en Russie où Vladimir Poutine est favori. Raison : une histoire d'espionnage où il est question d'assassinats et de représailles diplomatiques.
Donc, l'enquête sur l'assassinat d'un ex-double agent russe à Londres et la tentative d'assassinat sur un autre agent et sa fille -encore hospitalisés- prouve, selon la Première ministre britannique Theresa May, la culpabilité des services secrets russes. Mme Theresa May ne livre pas le détail de cette enquête, mais affirme sans le moindre doute la responsabilité du Kremlin. Du coup, elle répond par l'expulsion de 23 diplomates russes basés à Londres, boycotte la Coupe du monde de football qui se tient en Russie en juin prochain, appelle le reste du monde à faire pareil et songe même à suspendre ses relations diplomatiques avec Moscou.
L'affaire a été bouclée en moins d'une semaine. De leur côté, les alliés de Londres comme les USA, la France, l'Allemagne, ont déjà réagi en condamnant la Russie et Poutine et réfléchissent s'ils vont se rendre ou pas à l'ouverture de la Coupe du monde de football. Le reste de l'Europe laisse planer le suspense sur la proposition britannique.
C'est que le chantage par le boycott n'est pas nouveau dans la surenchère politique et diplomatique entre pays engagés dans des bras de fer géostratégiques. Il y eut les cas d'appel au boycott des Jeux olympiques de Pékin de 2008 et le Championnat du monde d'athlétisme dans la même ville en 2015, les Jeux olympiques d'hiver de Sotchi en Russie en 2014 par exemple, sans que les fêtes sportives ne soient ratées ou dérangées. La seule exception a été les Jeux olympiques de 1976 tenus au Canada pour dénoncer l'apartheid en Afrique du Sud où plus de 28 pays avaient boycotté ces jeux (dont l'Algérie). L'intérêt économique est si important pour les participants qu'il met en marge le temps des jeux les disputes politiques et autres animosités entre Etats.
Ceci pour la petite histoire du «jeu du boycott» des événements sportifs pour des buts purement politiques. Teresa May sait parfaitement que sa menace de faire rater la fête du football en Russie est quasiment vouée à l'échec. Et pour cause, la Russie subit un boycott plus important et plus stratégique depuis 2014 : les sanctions économiques et commerciales enclenchées par toute l'Europe et les USA sans que Vladimir Poutine n'abdique. Par conséquent, on ne peut ne pas s'interroger sur le véritable but de Londres qui a réagi vite et frappé fort la Russie en expulsant pratiquement toute la mission diplomatique russe à Londres. Impossible de ne pas faire le lien avec la question syrienne.
Depuis son implication dans la guerre en Syrie en septembre 2015, soit près de 4 ans après l'entrée en guerre de la coalition internationale menée par la France et...la Grande-Bretagne, Vladimir Poutine a bouleversé les plans des acteurs en Syrie. Croyant à une simple opération militaire limitée dans le temps, les Occidentaux, aidés de voisins arabes de la Syrie et Israël, se retrouvent aujourd'hui piégés par la complexité de l'équation syrienne. Une guerre asymétrique où s'entremêlent et s'affrontent intérêts économiques, politiques, stratégiques au point où les ennemis d'hier deviennent les alliés d'aujourd'hui et inversement. Entre les dizaines de factions rebelles pour les Occidentaux, terroristes pour Damas et Moscou, entre les défenseurs de la cause kurde et ses adversaires, tout se mêle, s'entrechoque, se combat, s'entretue, change d'alliance, de lieu de combat, etc.
Bref, la coalition internationale constate l'échec de son aventure en Syrie et en subit les conséquences jusque chez elle: vagues successives de réfugiés, effort financier de la guerre qui rabote les budget des Etats, redistribution des cartes politiques nationales marquées par la montée des extrêmes, attentats terroristes sur le sol européen...La guerre en Syrie a fracturé et affaibli durablement la construction de l'Union européenne, dont le plus marquant est la sortie de...la Grande-Bretagne de l'UE.
Que Theresa May boycotte la Coupe du monde de football au plan diplomatique n'est pas en soi si catastrophique pour Moscou, attendu par ailleurs que l'équipe de foot anglaise sera bien présente par craintes de sévères sanctions de la FIFA. Qu'elle appelle le reste du monde à la suivre dans son coup de force diplomatique envers la Russie est d'une absurdité sidérante et risque un effet boomerang de Moscou. Vladimir Poutine ripostera à coup sûr et avec autant de force à la «provocation» britannique. Poutine l'a déjà fait avec les USA à l'été 2017 en expulsant 755 diplomates et affiliés ! Cependant, les calculs de Teresa May tombent à point nommé pour Poutine: il a engrangé encore plus de points en popularité chez lui à la veille de l'élection présidentielle dont il était déjà favori. En remettant une couche dans sa volonté d'isoler la Russie, Madame May s'est faite public-relations de Vladimir Poutine. La recette de l'ennemi extérieur est un excellent argument des hommes de pouvoir pour asseoir davantage leur puissance.
Fragilisée chez elle, Theresa May ferraille comme elle peut pour sauver son mandat marqué par sa sortie de l'UE l'année prochaine. En face, tout le monde applaudit le 4ème mandat de chancelière d'Angela Merkel. Tous les Occidentaux critiquent et dénoncent le 2ème mandat de Poutine en rappelant que c'est aussi un 4ème mandat présidentiel. Vladimir Poutine, lui, sourit à la ruade diplomatique de Londres et garde sa vigilance sur la question syrienne. Quant à l'affaire de l'espion assassiné à Londres, elle fera l'affaire des écrivains de polars comme bien d'autres affaires similaires avant elle.


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