Le premier procès jugé, hier, par le tribunal criminel de 1re instance, en ouverture de la session de printemps, a mis en accusation B. Ammar, maghnaoui âgé de 36 ans, poursuivi pour le chef d'inculpation de trafic de drogue portant sur la respectable quantité de 4.112 kg de résine de cannabis importée du Maroc. Les liens établis entre Ammar et l'affaire se résument en un ensemble de documents portant son nom, retrouvés à l'intérieur de l'une des voitures qui assuraient la sécurisation de la route pour le fourgon transportant la marchandise, l'implication de ses deux frères Azzeddine et Lahcène, actuellement en fuite, et le fait que lui-même se trouvait en état de fuite pendant trois longues années. Faits qui ne plaidaient pas franchement en sa faveur. Course-poursuite sur une route déserte Au départ, il y a avait un barrage des douanes, dressé un certain jour du mois de mars 2012, sur la route de wilaya 46, près de Maghnia, réputée pour être empruntée par des narcotrafiquants. L'attention des douaniers est soudain attirée par un petit convoi, vraisemblablement en provenance de la localité de Sidi Madjahed (15km de Maghnia) roulant à vive allure. Les conducteurs de la 505, de la 406 et de la Mercédès Sprinter pilent, à quelques centaines de mètres et manœuvrent pour faire demi-tour, les deux Peugeot laissant passer le fourgon qui prend la tête de la file. Les douaniers grimpent dans leurs véhicules et prennent en charge les fuyards mais les deux voitures françaises roulent, côte à côte, pour fermer la route et permettre au Sprinter de prendre le large. Les agents des douanes ont beau faire feu, rien n'y fait: leur véhicule est même percuté par l'une des voiture chassées, ce qui les oblige à donner l'alerte pour l'installation d'un autre barrage sur la route empruntée par le convoi. Ce qui est fait, instantanément, puisque, quelques kilomètres plus loin, les fuyards tombent sur un second barrage de douanes qui, lui, a eu le temps de mettre une herse en travers de la chaussée. Résultat : les trois véhicules forcent l'obstacle mais doivent abandonner leurs véhicules aux pneus éclatés pour se perdre dans la nature. En arrivant sur lieux, les douaniers découvrent pas moins de 16 valises contenant plus de 4 tonnes de résine de cannabis, rangées dans le Mercédès Sprinter. Si les narcotrafiquants ont pu prendre la fuite, des documents retrouvés à l'intérieur de la Peugeot 406 (actes de naissance, CNI, permis de conduire ) offrent une première identité, un premier suspect, en la personne de B. Ammar, 30 ans, habitant à Béni Boussaid (24 km au sud de Maghnia) et travaillant comme transporteur public. Trois frères en cavale Dès le lendemain de la saisie de la drogue, les enquêteurs se rendent à Béni Boussaid pour interroger le suspect mais ils ne le trouvent pas à l'adresse mentionnée. Ils avertissent le père de la nécessité que son fils se présente aux autorités dans les plus brefs délais pour être interrogé. Au cours de leurs investigations, les enquêteurs découvrent que le fourgon transportant la drogue était doté de fausses plaques d'immatriculation d'origine étrangère, que la 406 appartient à B. Azzeddine, frère de Ammar, âgé de 26 ans, et que la 505 appartient à un certain Z. Ahmed. Renseignements pris, il s'avérera que l'identité de ce dernier est inexistante et que Azzeddine, tout comme un troisième frère, Lahcène, âgé, lui, de 22 ans, sont aussi introuvables. Ils découvriront de même que les trois frères ainsi que leur mère (qui n'exerce aucune profession) sont les heureux propriétaires soit de maison finies ou en cours de construction. A ce stade des investigations, les enquêteurs sont convaincus de se trouver en face d'un énième réseau d'importation et de distribution de drogue marocaine. Le juge saisi de l'affaire lance des mandats d'arrêt à l'encontre des trois frères mais ils demeureront infructueux pendant longtemps, jusqu'à ce que Ammar se fasse arrêter dans la même ville de Maghnia, trois ans plus tard. Il sera inculpé de trafic d'importation et de trafic de stupéfiants, en bande organisée, suivant les articles 02, 17 (alinéa 3) et 19 de la loi 04-18 relative à la prévention et à la répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. L'accusé risque la réclusion à perpétuité. B. Ammar: «Je suis innocent, j'ai fui par peur !» A la barre lors de son procès aux assises d'Oran, ce dimanche 1er avril, Ammar a clamé son innocence en soutenant que son seul tort est d'avoir laissé ces documents dans la voiture de son frère: «Ma 404 était en panne et c'est mon frère Azzeddine qui m'a tracté jusque chez le mécanicien. Il m'a ensuite déposé au marché et j'ai dû laisser les documents dans sa voiture», a-t-il tenté d'expliquer à un juge d'audience très sceptique. Il ajoutera qu'il a, en permanence, des documents d'identité de ce genre à sa portée pour les besoins de son travail: «On ne sait jamais !» Interrogé sur les propriétés de la famille (le juge exhibera les photos), l'accusé n'en reconnaîtra que celle appartenant à sa mère «fruit d'un héritage familial» et niera posséder un lot de terrain sur lequel il se ferait construire une demeure: «Nous vivons tous chez ma mère», soutiendra-t-il tout au long de l'interrogatoire. «Mais si vous êtes vraiment innocent, pourquoi avoir fui ?», demande le juge. « Par peur. Quand quelqu'un est recherché pour une affaire de drogue à Maghnia, il prend la fuite même s'il est innocent», rétorque l'accusé. Le parquet : «L'affaire est grave et mérite la perpétuité» Dans un bref réquisitoire, le représentant du ministère public commencera par souligner l'importance de la quantité saisie (plus de 4 tonnes) en s'effrayant des conséquences de sa consommation sur la santé publique, des jeunes plus particulièrement, si les narcotrafiquants avaient réussi à la faire passer et à l'écouler sur le marché : «La quantité comme la manière dont elle devait être acheminée et les dispositions prises par les narcotrafiquants sous-tendent une bonne organisation» et, par conséquent, un réseau de trafic aux mécanismes bien huilés. Pourtant, déplorera le magistrat, en dépit des preuves contenues dans le dossier (les documents trouvés dans l'une des voitures, le lien de fraternité existant avec les suspects qui refusent de répondre aux mandats lancés contre eux, la fuite de trois ans) l'accusé continue de nier. Ce qui ne l'empêchera pas, vu la gravité des faits, de requérir la peine maximale prévue par la loi, soit la prison à perpétuité. La défense réplique : «De quelles preuves parlons-nous ? » Très circonspects quant à la qualité des preuves retenues contre son client, l'avocat de la défense rétorquera que les pièces d'identité saisies ne prouvent pas que son client soit impliqué dans ce trafic : « Quel narcotrafiquant laisserait des documents aussi compromettants sur les lieux d'une crime ?», s'est-il, demandé en rappelant les explications de son client sur les circonstances qui l'ont conduit à laisser cette enveloppe dans la voiture de son frère : «Les chefs d'accusation sont trop graves et la peine requises trop lourde pour qu'on ne s'interroge pas sur le poids des preuves», a-t-il encore averti en affirmant qu'aucune « preuve matérielle n'a été retenue contre son client». Il n'a pas été déterminé, de façon tangible, que Ammar était sur les lieux, au moment de la commission du crime, aucune empreinte digitale lui appartenant n'a été retrouvée, sur les valises de drogue «la scène ayant, par ailleurs, été polluée par les douaniers» et le dossier ne démontre pas que l'accusé a été en contact téléphonique avec les narcotrafiquants, énumèrera, encore, l'avocat en se rangeant aux côtés de son client sur la réaction des habitants de Maghnia quand ils sont convoqués par les services de sécurité : «Tout le monde prend la fuite lorsqu'il s'agit d'affaires de trafic de drogue», affirmera-t-il pour justifier la réaction de son client. Il terminera sa plaidoirie en demandant l'acquittement de son client. Après délibérations, le tribunal criminel de première instance (composé uniquement de magistrats) déclarera B. Ammar coupable des faits reprochés et le condamnera à 20 ans de réclusion criminelle. Les fuyards écoperont, eux, de la prison à perpétuité.