S'il n'est pas très rare que des membres d'une même famille - quel que soit le degré de parenté - soient jugés au cours d'un même procès pour des faits de trafic de drogue, il est exceptionnel qu'une mère et ses enfants comparaissent pour trafic de stupéfiants en bande organisée et écopent de 20 ans de réclusion criminelle. Huit quintaux de kif dans le toit d'un camion C'est pourtant ce type de procès qui s'est déroulé, jeudi dernier, au tribunal criminel d'appel d'Oran, où une dame âgée de 57 ans a comparu avec ses trois fils pour répondre des lourds chefs d'accusation d'importation, détention, transport et mise en vente de drogue en bande organisée. Faits passibles de la prison à perpétuité, selon les articles 2, 17 (aliéna 3) et 19 de la loi 04-18 portant prévention et répression de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes, retenus par l'accusation. Les quatre accusés avaient déjà été condamnés en première instance par le tribunal criminel d'Oran, en octobre 2017, à des peines allant de 20 ans à la perpétuité mais la défense a introduit un appel en espérant arracher des sentences plus clémentes. Les faits de cette affaire remontent à un matin de février 2016 lorsque, agissant sur la base de renseignement très précis concernant un convoi de transport de drogue (marques de véhicules, matricules ), la gendarmerie nationale, renforcée par des éléments de l'ANP, dresse un barrage sur l'autoroute Est-Ouest, à proximité de Ras Aïn Amirouche, wilaya de Mascara, et arrête deux véhicules : une Clio Campus, pilotée par M. Nouri, et un camion de marque Isuzu conduit par son frère Mourad, accompagné de son autre frère Karim et leur mère Dahbia. Selon l'accusation, au moment de l'interpellation, Dahbia saute du camion et tente de fuir à travers champs en hurlant : «Nous sommes pris, bassina !». Mais le périmètre étant rigoureusement surveillé, elle tombe rapidement sur des éléments des services de la sécurité qui la maîtrisent très vite. La fouille du camion qui transporte des ustensiles de cuisine permet de découvrir la respectable quantité de 825 kilogrammes de résine de cannabis, dissimulés à l'intérieur d'une cache aménagée dans le toit. Des milliards et des voitures Les perquisitions effectuées dans les domiciles des suspects, dans la wilaya de Blida, révèlent d'autres surprises : la coquette somme de près de trois milliards de centimes dans la maison du fils aîné, Karim et plusieurs véhicules (deux Peugeot, une Renault, une Toyota Hilux, une Range Rover, une Seat, deux camions ). L'enquête - qui détermine également que la mère possède deux maisons à son nom - établit que depuis 2013 la famille M. s'est spécialisée dans le transport d'importantes quantités de drogue depuis Maghnia jusqu'à El Oued, où d'autres narcotrafiquants prennent le relais pour convoyer la marchandise vers la Libye ou la Tunisie. Chaque voyage fait gagner à la famille entre 50 et 250 millions de centimes, une somme considérable que les quatre membres de la famille M. ont reçue à l'occasion de 6 à 10 occurrences. Selon l'accusation, les suspects se partageaient les tâches : une fois la marchandise chargée dans le camion à Maghnia, Nouri partait en éclaireur dans sa Clio alors que Karim et Mourad se relayaient pour conduire le camion, leur mère, installée dans la même cabine, servant à assurer un gage de respectabilité au véhicule : quel gendarme penserait à chercher de la drogue dans un camion à bord duquel se trouve une sexagénaire voilée ? Le subterfuge trompe la vigilance des services de sécurité jusqu'à l'arrivée des renseignements sur les activités frauduleuses de la famille M. Aveux et rétractations Lors du procès en appel qui s'est déroulé le jeudi 25 janvier, Karim M., 39 ans, reconnaît tous les faits qui lui sont reprochés. A la barre, il raconte que sa mère, ses frères et lui se retrouvaient, à Maghnia, chez sa sœur Sawsen (dont le mari purge une peine de 12 ans pour trafic de drogue, Ndlr). Ils y restaient le temps que des complices (Sidi Mohamed, Rachid et Azzeddine) cachent la drogue dans le camion et repartaient dès que le véhicule leur était confié : «Je savais que l'on transportait de la drogue sous couvert de commerce d'ustensiles de cuisine que l'on amenait préalablement d'El Eulma. Mais ma mère n'était au courant de rien». Ce à quoi le juge rétorquera : «Votre mère était au courant. Il est établi qu'elle vous accompagnait partout pour tromper les barrages routiers. Et la géolocalisation du téléphone trouvé en sa possession la situe dans les wilayas que vous avez traversées lors de vos voyages.» Karim reconnaît également avoir usurpé l'identité de son frère Adel (mort avec son père dans un accident de voiture survenu quelques années plus tôt) et s'être même marié sous cette fausse identité. La raison en est qu'il fait l'objet d'un mandat d'arrêt dans le cadre d'une autre affaire de drogue : «Oui, je reconnais tout mais de grâce, libérez ma mère», larmoiera-t-il à la fin de sa déposition. Contrairement à Karim, Nouri et Mourad nieront avoir eu connaissance du transport de kif ; ce que, du fond du box des accusés, Karim tentera de confirmer, sans pour autant convaincre le président d'audience : «Vous avez été interrogé seul et vous avez quand même donné les mêmes informations que vos frères avec les mêmes détails», relèvera le magistrat en interrogeant, narquois : «Depuis quand fait-on l'éclaireur pour un camion d'ustensiles de cuisines ? Et depuis quand pareille marchandise change-t-elle de mains pour prendre la route de la Libye ou de la Tunis ?». Malgré tout, autant Nouri l'éclaireur que Mourad, le conducteur du camion, continueront à soutenir leur innocence : «Les aveux que nous avons faits nous ont été extorqués par la gendarmerie», dénonceront-ils à l'unisson. «J'allais soigner mes yeux, j'ai été trompée !» La comparution de la mère Dahbia, 57 ans, manifestement malade et tenant difficilement sur ses jambes (elle est obligée de s'assoir pour faire face au tribunal), sera une interminable et bruyante lamentation contre l'arbitraire et la violence des gendarmes. Une logorrhée de gémissements et de complaintes pour une «femme malade et trompée», que le président d'audience aura toutes les peines à stopper : «Dites-moi seulement pourquoi vous avez sauté du camion et tenté de fuir ?», demandera-t-il. «Mais je n'ai pas sauté ! criera l'accusée. Je n'ai pas bougé j'ai été maltraitée par les gendarmes je n'étais au courant de rien, j'allais chez ma fille pour soigner mes yeux à Tlemcen je suis une femme malade », jurera-t-elle dans un flot ininterrompu de paroles. Et alors même que le magistrat parle et tente de poser des questions, elle continue de gémir et de se lamenter sur le mauvais sort qui l'a menée à pareille situation. «Aviez-vous un téléphone ?», réussit à placer le président d'audience : «Mais non ! Je jure que non !», pleurera-t-elle. Dernier accusé à comparaître, B. Azzeddine (considéré comme étant en fuite lors du procès, il a écopé de la perpétuité par contumace, Ndlr), arrêté entre-temps, s'interrogera sur sa présence dans ce procès : «Je ne comprends pas ce que je fais là, je ne connais même pas ces personnes», s'étonnera-t-il. En fait, il avait été désigné par Karim comme étant l'un des trois fournisseurs de Maghnia : «Jamais de la vie, s'insurgera-t-il en réponse au président d'audience. Je connais Rachid (baron en fuite, Ndlr) parce que c'est un voisin mais je n'ai jamais versé dans le trafic de drogue». Interpellé par le président, Karim persiste : «Si, il fait partie de ceux qui me donnaient la drogue à Maghnia». Le parquet veut la perpétuité Face aux aveux de Karim, au flagrant délit, aux pièces à conviction que les perquisitions ont permis de réunir, la représentante du ministère public requerra la prison à perpétuité pour l'ensemble des accusés «qui font partie d'une organisation criminelle organisée» : «Les larmes des accusés ne doivent pas nous faire oublier celles des mères des milliers de jeunes drogués», assénera-t-elle. La défense, elle, construira sa stratégie autour la culpabilité avérée de Karim (qui a tenté d'innocenter les siens) seul à être au courant du trafic : «Lui-même a avoué avoir trompé les siens. Pourquoi ne le croit-on pas sur ce point alors qu'on admet volontiers le reste de ses déclarations ?», s'est interrogé un avocat en plaidant l'acquittement des autres membres de la famille M. Quant à l'avocat de B. Azzeddine, il demandera également son acquittement en affirmant l'accusation repose uniquement sur les allégations d'un autre accusé qu'aucune preuve matérielle ne vient étayer. Après délibérations, tous les accusés seront condamnés à 20 ans de réclusion criminelle.