Malgré les mises en garde de ses proches, le journaliste et dissident saoudien Jamal Khashoggi s'est rendu au consulat de son pays à Istanbul pour y effectuer des démarches administratives. Depuis, il n'a plus donné signe de vie et s'emble s'être littéralement volatilisé. Alertée de sa disparition, la police turque a ouvert une enquête qui bute sur la question de savoir si le journaliste est effectivement ressorti du consulat saoudien comme affirmé par le responsable de celui-ci ou si cela n'a pas été le cas ainsi que le pensent certaines sources qui avancent la probabilité de son assassinat à l'intérieur même du bâtiment consulaire. Officiellement, les enquêteurs refusent de se prononcer sur ce qui serait advenu à l'opposant saoudien sans cacher qu'ils sont à l'évidence confrontés à un probable assassinat politique auquel les autorités saoudiennes ne seraient pas étrangères. D'ailleurs depuis la mystérieuse disparition de Jamal Khashoggi, Ryad est quasi unanimement présenté comme son probable commanditaire et le donneur d'ordre le sulfureux prince héritier et homme fort du royaume Mohamed Ben Salman. Celui-ci que les Occidentaux présentent comme engagé «courageusement» dans une opération de libéralisation visant à mettre fin à la perception d'une Arabie saoudite réfractaire à l'évolution des mœurs moyenâgeuses qui en font le pays le plus rétrograde de la planète, est non sans raison soupçonné d'être derrière l'affaire Khashoggi. Depuis qu'il exerce le pouvoir, Mohamed Ben Salman démontre en effet à profusion que pour le garder et le consolider il recourt aux méthodes les plus extrêmes contre ceux qui le lui contestent ou sont susceptibles de se mettre en travers de son omnipotence. Ce qui est précisément le cas du journaliste disparu à Istanbul dont les écrits et les prises de position ont une audience certaine tant à l'intérieur du royaume wahhabite qu'internationalement. Si l'enquête ouverte en Turquie venait à faire la preuve que Khashoggi a été victime d'un assassinat politique et que les auteurs en sont les Saoudiens, il deviendrait problématique pour les «démocraties» occidentales de continuer à entretenir la fiction qu'avec Mohamed Ben Salman aux commandes, l'Arabie saoudite est en train d'en finir avec l'ère de l'arbitraire et de la violation sans retenue des droits de l'homme et de la liberté d'expression. Leur gêne et l'embarras dans lesquels les ont mis les lourds soupçons qui pointent Ben Salman sont déjà perceptibles à travers le mutisme officiel qu'elles opposent aux assertions qui soutiennent la thèse de sa responsabilité dans la disparition et probablement l'assassinat du journaliste. Ces mêmes « démocraties » en sont probablement à espérer que les autorités turques qui ont elles aussi leurs raisons de ne pas voir les relations turco-saoudiennes (déjà sujettes à tension du fait de la rivalité régionale qui oppose Ankara à Ryad) s'envenimer à cause de conclusions d'enquête confirmatives de la main saoudienne derrière la disparition du journaliste, en viendraient à étouffer l'affaire par un subterfuge ou un autre. Les intérêts mercantiles qu'elles ont à entretenir la fiction d'une monarchie moyenâgeuse en train de s'ouvrir à la « modernité » grâce à la volonté de son jeune prince hériter valent à leurs yeux de réduire l'assassinat d'un journaliste opposant à la dimension d'une « fâcheuse » faute de parcours commise par lui.