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Mohamed Ben Salmane à Alger: Algérie-Arabie Saoudite, une relation bien compliquée
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 03 - 12 - 2018

La visite à Alger du prince héritier saoudien a lieu dans un contexte géopolitique complexe et dangereux dont les conséquences menacent le monde arabe et musulman et place l'Algérie en ligne de mire.
L'on sait que les deux pays se partagent en plus de leur commission mixte, un conseil d'affaires qui se réunit aujourd'hui au CIC et une commission parlementaire. Ceci, sans compter les nombreux Algériens qui se dirigent vers La Mecque pour une Omra ou un Hadj et dont les conditions de séjour ont, de tout de temps étaient, à la demande de l'Algérie, améliorées par le royaume saoudien. Mais au-delà de leur volonté de concrétiser les accords de coopération économique conclus par la 13ème réunion de leur commission mixte, en avril dernier, à Ryadh, dont le montant avoisinerait, dit-on, les 10 milliards de dollars, les plus hautes autorités des deux pays entretiennent, depuis toujours, un niveau politique de discussions assez élevé, au regard de leur position géostratégique respective l'une -l'Algérie- en Afrique du Nord et dans le Grand Maghreb, et comme ouverture incontestable sur tout le continent et l'autre -l'Arabie Saoudite- dans le Golfe et l'ensemble du Moyen-Orient.
Le séjour de Mohamed Ben Salmane Ben Abdelaziz Al-Saoud à Alger depuis hier soir, ne peut qu'être, dans ce sens, marqué par une éminence politique sans pareille. Les contingences passées, présentes et à venir en imposent, ainsi, ce caractère par excellence, avant même que le rapprochement qu'il exige entre les deux pays, ne se traduise par la signature de projets économiques importants. «Dans le cadre des relations fraternelles solides liant l'Algérie et le Royaume d'Arabie Saoudite, le Prince héritier, vice-président du Conseil des ministres et ministre de la Défense d'Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, entamera une visite officielle en Algérie, les 2 et 3 décembre 2018, à la tête d'une délégation de haut niveau qui compte des membres du gouvernement, des hommes d'affaires et des personnalités saoudiennes éminentes», a précisé le communiqué que la présidence de la République a rendu public, samedi dernier.
A qui profite le crime ?
Une visite qui vise, est-il dit, «la consolidation des relations privilégiées, entre les deux pays et peuples frères et permettra de donner un nouvel élan à la coopération bilatérale et de concrétiser des projets de partenariat et d'investissement, en ouvrant de nouvelles perspectives aux hommes d'affaires, en vue d'augmenter le volume d'échange commercial et élargir le partenariat économique, entre les deux pays». Le communiqué de la présidence souligne en dernier que : «cette visite sera l'opportunité d'examiner et d'échanger les points de vue sur les questions politiques et économiques arabes et internationales, d'intérêt commun, et à leur tête la question palestinienne et les situations, dans certains pays frères, outre les évolutions du marché pétrolier.» C'est cette dernière phrase qui pèsera le plus, en principe, dans le déplacement du prince héritier en Algérie, entre autres raisons, les pressions internationales qu'il subit depuis l'assassinat du journaliste Jamel Khashoggi, à Ankara, et les bouleversements qu'elles pourraient entraîner. Pour l'heure, tous ceux qui ont promis d'apporter la preuve «concrète» de l'implication directe de MBS, dans cette liquidation physique d'un exilé politique saoudien, en Turquie, connu pour ses «accointances» avec des groupes islamistes et terroristes (ses écrits et photos faisant foi), n'ont pas donné plus que des déclarations, parfois même, contradictoires sur une affaire scabreuse des plus étranges. Il est dit depuis la médiatisation de ce crime par les autorités turques que Khashoggi a été assassiné à l'intérieur du Consulat saoudien à Ankara. L'on s'interroge sur le mobile d'un crime qui, s'il a été perpétré dans de tels lieux, ne pouvait en aucun cas et d'aucune façon être dissimulé. Pour cause, le journaliste s'était fait accompagné par sa fiancée turque qui l'avait attendu longtemps mais en vain, il n'en sortira plus jamais. Première conclusion, ceux qui l'avaient fomenté savaient qu'ils allaient, tout de suite être identifiés, peut-être pas par leur nom, mais du moins par leur pays d'origine.
L'assassinat de tous les soupçons
L'affaire Khashoggi a permis à la Turquie d'Ordogan de se rapprocher des Etats-Unis et de se repositionner sur l'échiquier des pays qui veulent diriger le monde musulman à l'exemple de l'Iran et de l'Arabie Saoudite. Il reste toutefois curieux que les diplomatiques saoudiens aillent jusqu'à donner la preuve de leur forfait, tout de suite après l'avoir commis, sans prendre aucune précaution pour en maintenir le doute ne serait-ce que sur certains détails. Au regard de ce qui est avancé, à ce jour, sur ce crime abominable, non seulement ses auteurs semblent avoir fait exprès pour attirer l'attention sur le pays des Al-Saoud mais surtout sur son prince héritier dont les rapports avec celui de l'oncle Sam se confondent dangereusement, depuis son intronisation par le roi-père. Les pressions internationales qui pèsent sur le royaume pourraient aboutir à des résultats auxquels personne ne s'y attendrait. Il est sûr, en tous cas, que les Etats-Unis en tireraient le plus grand profit et les plus gros dividendes. Depuis sa prise des pouvoirs, MBS s'est trop impliqué avec Donald Trump, un président qui, dès son arrivée à la Maison Blanche, a décidé de régenter le monde entier par les guerres et les complots. Pour ses débuts, le président américain s'est retiré de l'Accord nucléaire conclu avec Téhéran, en 2015 et a poussé Ryadh à se braquer sur Téhéran pour en faire un véritable diable qui menace les fondements de l'Islam (sunnite), et l'existence même des Nations arabes et du monde musulman. Les campagnes politiques et médiatiques sont féroces contre «la peur du péril persan de Bab El Mandeb, au Canal de Suez et plus loin encore.» Ce qui n'a pas amené l'Algérie à l'erreur face au pays de Hassan Rohani parce qu'elle en a toujours fait un allié de taille dans le choix du règlement de certaines questions politiques et économiques cruciales. La Palestine occupée, la Syrie, le Yemen, l'Irak en sont en pôle position. L'OPEP est cette autre instance où les deux pays, l'Algérie et l'Iran, se serrent les coudes pour atteindre leurs objectifs.
La Palestine occupée et «l'accord du siècle»
L'on se souvient que le premier voyage de MBS, a été, en mars dernier, aux Etats-Unis accompagné de l'ensemble de son gouvernement, et a duré plus d'une quinzaine de jours. Premier contrat conclu, un accord sur des livraisons d'armements américains pour 100 milliards de dollars. Sa randonnée américaine avait eu lieu alors que les Houthis lançaient des missiles sur Ryadh, plongeant les populations dans une frénésie insoutenable. Les Houthis est cet autre dossier qu'Alger pourrait discuter avec MBS pour avoir défendu le Yémen de cette colonisation saoudienne qui ne dit pas son nom. L'on rappelle que l'Algérie a refusé de participer à l'alliance militaire arabe qui s'était constituée, dès les premiers tirs des Houthis que Ryadh affirme être une force «militaire» de Téhéran. La question palestinienne sera, elle aussi, au menu des discussions avec les autorités algériennes. Evident, puisque MBS est au nom de «l'accord du siècle» fomenté par Trump, à la tête d'un processus de «normalisation» avec l'entité sioniste au détriment de la cause de décolonisation des territoires et du peuple palestiniens. Une sorte de «plan de paix» que Trump a repris de la feuille de route de George W. Bush, «accordant aux Palestiniens des semblants de territoires contre le maintien des aides financières à l'Autorité palestinienne, et reléguant la question d'Al Qods et des réfugiés aux calendes grecques (promesse de négociations futures).» Le prince héritier n'a rien d'un dirigeant arabe qui fait de cette décolonisation une de ses priorités. Bien au contraire, il semble œuvrer pour retourner la question en en faisant un simple problème humanitaire, à chaque fois que les Palestiniens de Ghaza se font bombardés par les Israéliens. Il est attendu qu'Alger affiche une fin de non-recevoir à cette demande des pays du Golfe qui remet en cause les profondeurs de la déclaration historique de Boumediène «nous sommes avec la Palestine fautive ou victime» et priverait l'Algérie même de son habit de «La Mecque des mouvements de libération» qu'elle porte tout au long de l'histoire depuis l'avènement des indépendances du tiers monde.
Le «juste milieu» de l'Algérie
Avec toutes les divergences qui minent la relation algéro-saoudienne et qui impactent leur position respective sur les grands dossiers régionaux et internationaux, les autorités algériennes, notamment depuis l'arrivée de Bouteflika à El Mouradia, font tout pour la préserver des remous et des bouleversements. Alger, faut-il le rappeler, a soutenu Ryadh quand il a eu, au milieu de cette année, des démêlées avec le Canada à propos «des droits de l'Homme». Mais les plus hautes autorités ont préféré «le juste milieu» quand il s'est agi de la plus profonde crise diplomatique qui a opposé Téhéran et Ryadh, après l'exécution de l'imam Nimr Baqer Al Nimr, en janvier 2016. Le royaume avait rompu avec fracas ses relations diplomatiques avec l'Iran. Le condamné à mort a été jugé, en octobre 2015, pour avoir mené une contestation chiite à Qatif, à l'est de l'Arabie, poussant ainsi les deux millions de chiites que compte ce pays, à se révolter et à demander la sécession de cette région tout autant que celle d'Al Hassan. Par un communiqué de son MAE, l'Algérie avait appelé «instamment, les directions politiques des deux pays à la retenue afin d'éviter une détérioration de la situation qui aurait des conséquences dommageables graves, au double plan bilatéral et régional, dans un contexte géopolitique et sécuritaire, particulièrement, sensible.» Mais en appelant en même temps, au «respect de la sacralité de la vie humaine» et à «l'exigence du respect scrupuleux des principes devant régir les relations entre les Etats, notamment celui de la non ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, ainsi que la protection de l'inviolabilité des représentations diplomatiques et consulaires, en tous lieux et en toutes circonstances», elle a, surtout, mis dos-à-dos les deux antagonistes et les a mis face à leurs responsabilités respectives.
Aujourd'hui, l'Iran qui se démène face à un nouveau embargo américain après celui qui a duré plus de 40, cherche à faire monter le prix du baril de pétrole qui vient de chuter comme en 2014. Alger et Téhéran, tout autant que la Communauté internationale, savent que c'est l'Arabie Saoudite qui en a été la cause après avoir déversé une production supplémentaire sur le marché comme l'a voulu Trump. Pourtant, au lendemain de l'accord d'Alger de 2016, le ministre saoudien avait promis d'en respecter les clauses dont l'essentiel visait l'augmentation du prix du baril après une réduction de l'ordre de 980.000 b/j des 33,5 millions alimentant le marché. Le royaume devait diminuer de 500.000 ses 10,5 millions b/j. Ryadh vient de faire capoter cet accord sans regrets.
La diplomatie «hard» de MBS
Trump a fait en sorte que ça soit ainsi et il a réussi. Ses menaces de représailles sur MBS ont été fortes et sans relâche. L'affaire Khashoggi est apparue pratiquement dans les mêmes moments. Le royaume n'a pas hésité à inonder le marché pour faire baisser le prix de façon drastique.
En parallèle du tout, le président américain a depuis quelque temps l'Algérie en tête. Il lui a retiré le dossier libyen en appelant l'Italie «au nom de l'histoire» à en être le chef de file de son règlement avec à ses côtés l'Egypte. La brusque envie du maréchal Haftar, ce pur produit américain, de «diriger la guerre» vers l'ouest en faisant allusion à l'Algérie, n'a rien d'une vue de l'esprit ou d'une vision d'optique. Elle marque, lourdement, des visées occidentales qui n'ont pas fini de se dessiner depuis «les printemps arabes.» Les signes avant-coureurs sont bien visibles. Eric Denussy, cet ancien membre des Services secrets français avait bien déclaré il y a à peine quelques années que «l'Algérie est considérée par le Qatar et l'Arabie Saoudite, et par l'alliance entre les Etats-Unis et les frères musulmans comme le domino du printemps arabe qui n'est pas tombé et qui doit tomber coûte que coûte.» Anne Marie Lizin, (décédée il y a près de 4 ans), celle qui a été, entre autres, présidente honoraire du Sénat belge, avait dit à la même période que «l'Arabie Saoudite œuvre a déstabiliser, volontairement, les frontières sud de l'Algérie en finançant les salafistes et les groupes dihadjistes du Nord Mali.» Ces toutes dernières années, les analystes politiques affirment que «les Etats-Unis et Israël veulent imploser les Etats nationaux à travers les solidarités segmentaires, ils travaillent sur les charges symptomatiques des peuples, c'est une forme de guerre.» L'arrivée de MBS au trône a fait en sorte, selon eux, de «remplacer la diplomatie ‘soft' du royaume par une diplomatie ‘hard' et la grande question est de savoir si ceci répond à une stratégie réfléchie ou à l'exécution d'ordre données de l'extérieur».


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