« Que peut la vérité froide et nue contre les prestiges étincelants du mensonge ? ». Anatole France. Il est des pays qui semblent durablement plongés, par leurs dirigeants, dans une grave hystérésis par rapport au monde réel moderne où s'opèrent, sans discontinuer et sans eux, de profondes mutations. Un monde définitivement inscrit dans l'option du développement par les sciences, par la créativité, par l'innovation, par la planification et par la gestion rationnelle et rigoureuse, en tout domaine. Prenant soin de leurs ressources humaines, valorisant l'élite en particulier, s'appuyant sur le savoir et les technologies qui se développent à une allure vertigineuse, les nations ne cessent de travailler à améliorer le présent et de scruter le futur afin de préparer au mieux leur avenir. Nul doute que la qualité de cet avenir ne sera pas la même pour tous. Utopiques sont les belles idées de l'évolution universelle de l'homme et du développement des sciences au service du bien être de l'humanité. Autres temps, autres visions, autres pratiques, la mondialisation impose des règles draconiennes qui débarquent les traînards, n'autorisent aucun bidouillage ou faux pas et damnent les anachroniques. Il va sans dire qu'il appartient à chaque nation, à chaque peuple, d'appréhender son devenir à la mesure de sa volonté, de son génie et des moyens qu'il se donne. Le tout étant évidemment intimement lié à la volonté politique. Comme le dit si bien Nicolas Machiavel 'la politique n'est pas tout mais elle s'intéresse à tout''. Faute de déceler des indices d'une stratégie sérieuse de préparation à un avenir meilleur, constatant la multiplication des ratages et des réformettes et autres forums sans impact sur la gestion des affaires de la cité, autrement dit sans lendemains, certains laissent libre cours à leur imagination en guise d'échappatoire à une triste réalité, fatalement dominée par les échecs, patents, à répétition et les fuites en avant. Ce qui est inquiétant est cette prédisposition à vouloir se construire un 'pays illusoire'' que nous avons à rêver à défaut de pouvoir changer le réellement vécu. Des articles de presse ont abordé ce sujet sous divers aspects. La contribution du professeur Abdelhamid Charif (Quotidien d'Oran du 27 octobre 2014) avait particulièrement attiré mon attention. Le lecteur y est invité à travers un joli et plaisant texte, plein de finesse, à vivre des moments de bonheur dans une Algérie bien gouvernée. Revenu de ce bref séjour dans un rêve rendu inaccessible pour nous autres algériens, j'en suis venu à me demander pourquoi une telle propension à vouloir nous extraire de la réalité. Souffle-t-il un vent aviné, enivrant, sur nos contrées ou est-ce des 'giboulées intellectuelles'' d'un mois de détresse, sans fin? Assurément, en nous conviant dans l'imaginaire, les auteurs expriment consciemment et sciemment leur désarroi- le notre- face à une nation qui semble fatalement enkystée dans le statu quo et l'illusion, fourvoyée par des apprentis sorciers, intellectuellement et moralement indigents. De quoi perdre espoir de voire naître un jour sur la terre de nos aïeux un Etat selon les normes modernes. Hélas, l'environnement imposé par la secte de l'obscurantisme semble loin de se prêter à une telle œuvre. Rien d'étonnant au regard des pratiques et us constituant le socle d'un processus illusoire de construction et de développement dont a accouché un système, le moins qu'on puisse dire, pervers. Les quelques éléments, parmi tant d'autres, que je m'en vais évoquer à ce propos n'invitent guère à l'optimisme. La politique- synonyme de sagesse dans l'antiquité Grecque où elle était le domaine réservé aux sages- adopte de nos jours un paradigme qui met 'des bouffons de service'', inféodés au pouvoir du moment, et à tout moment, au cœur du dispositif. Et lorsque le menon passe son temps à faire le pitre, le troupeau finit généralement dans l'antre du loup. Engluée dans de troubles marigots de corruption, de tricheries et d'intrigues systémiques, une partie de la société a perdu ses repaires les plus fondamentaux, réduits à leur portion congrue, pour ne pas dire disparus. L'incurie, sustentée par l'impunité, s'est confortablement installée dans nos cités et au sein de nos institutions, en proie au dépérissement. L'imposture s'approprie, au fil du temps, de manière ostentatoire, de plus en plus de galants. L'esbroufe s'emploie laborieusement à 'maquiller la crise morale'' qui ne cesse de gagner en ampleur et en profondeur. La langue de bois et le recours excessif au culte de l'autorité de référence unique et suprême, prosaïquement dite 'Zaimisme'', les louanges d'une prétendue providence humaine, relevant parfois du messianisme, imposent l'allégeance aveugle et l'inféodation volontaire, voire zélée, qui disqualifient de facto les débats sérieux et constructifs. Il arrive généralement que le 'Zaime'' se retrouve otage du culte qu'il a lui-même crée autour de sa personne. Il est convaincu, aidé en cela par ses laudateurs, que l'Etat ne peut se construire ni même exister sans lui. Dès lors, il devient inhibiteur à un tel projet. Au mieux, il ne peut qu'accoucher d'un système totalitaire dont la particularité fait que plus on monte dans les hauteurs de la hiérarchie ou de l'idéologie plus on baigne dans la bassesse de l'intrigue et de la calomnie, que l'esprit sensé ne peut qu'exécrer. Un tel environnement politique expose forcément au risque des choix et erreurs catastrophiques qui convoquent au grand jour l'échec dans toute sa splendeur. Les conséquences sont irrémédiablement pénibles car généralement les 'vices rédhibitoires'' ne deviennent visibles que tardivement. Tout projet sociétal se trouve ainsi confiné, sans issue, dans une sorte d'allégorie à substance creuse et banale. Et viens que je te serve de la mascarade, saupoudrée d'illusions. De cette 'honorable basse besogne'' sont chargés les camelots de la politique. Confiseurs de l'embrouille, commensaux du système, ils s'emploient assidument à étaler leur fatras de 'boulitique'' à des habitués des 'foires foraines'', prêts à tout emballer. Pour cette espèce de politiques rubigineux et leurs appendices, la course aux préséances - que le système offre pour obédience, génuflexion ou services rendus- est l'expression liminaire, sacrée, de l'appropriation de l'espace sociopolitique. Les sous-fifres du pouvoir se complaisent dans un humiliant état d'obédience, graveleuse. Ils sont quasiment adsorbés au 'grand timonier'' par le truchement des gratifications et privilèges qu'il distribue ou qu'il fait miroiter. Ayant trépigné toutes les valeurs morales, ils s'offrent, sans un iota de gêne, les turpitudes les plus invraisemblables. Des argumentaires les plus éculés aux illusions les plus saugrenues, tout se vend et s'achète. La clientèle y est parfaitement préparée, grâce à la prégnance d'un emphatique discours, cousu de fausses dorures. Du simple ouvrier, ou chômeur récupéré, à l'intellectuel de service, la parole, l'acte et la plume sont toujours dans le sens de la bien-pensante générale sans le moindre souci du ridicule. Parodie inédite dirions-nous. Récipiendaires du prix Nobel en escobarderie, congruents à toute situation, Ils font preuve de créativité et d'innovation singulières, cependant de basse voltige, pour multiplier les chimères afin de raviver l'illusion et assurer sa pérennité. Ils arrivent majestueusement à dresser des barrières infranchissables entre la prébende, la véracité des faits et évènements et les intensions et projets réels des décideurs. Manière sournoise, néanmoins efficace, de subvertir l'échelle des valeurs et travestir les réalités. A les voir discourir si énergiquement, avec fatuité arrogante, dans les forums et autres espaces publiques ou de communication, on est tenté de croire en leur bonne foi, en leur génie, en leurs capacités de bonne gouvernance, en leur sens des responsabilités... Cependant, le naturel rattrape immanquablement son bonhomme. Passés la parodie, les clameurs et les salamalecs, nos pauvres héros retombent dans leur médiocrité pour les uns, dans leur perversion pour d'autres, et pour la plupart dans leur nonchalance de rentiers, leur insouciance, leur peu de considération pour les responsabilités qui sont les leurs et la légèreté dans l'accomplissement de leur devoir. La désinvolture, devenue un trait de caractère, et l'impéritie, normalisée, ne s'accommandant pas aux vertus comme le sérieux et à la rigueur, on convoque alors l'entourloupe, la magouille et autres manipulations trompeuses. Que sommes-nous alors dans ce brouillamini devenus ? Où allons-nous ? Le mensonge et la tromperie, doxa devenue dominante, prenant démesurément de l'ampleur, finiront indubitablement un jour par produire l'effet d'un éléphant se mouvant librement dans un magasin de porcelaine. Ce qui ne manquera sans doute pas de transformer le pays en un indescriptible capharnaüm où règnera le désordre, la désolation, l'imprévisible et, forcément, la déliquescence de l'Etat. Il faut savoir que derrière une apparente accalmie se cachent souvent de violents orages. L'illusion n'est certes pas synonyme de chao mais elle génère généralement les causes qui y conduisent. J'invite enfin à méditer autour de la déclaration de Pascal Lamy, ex-directeur de l'OMC (TSA le 28 avril 2017) : 'un jour, il faut que l'Algérie entre dans le monde d'aujourd'hui''. J'aurais tant aimé me laisser habiter par des sentiments qui prêteraient du crédit aux promoteurs de ce système et leurs parrains. Mieux encore, je voudrais que l'amer constat que je fais ici, dont je n'ai au demeurant ni la primeur ni l'exclusivité, soit faux de bout en bout. Heureux alors de me tromper ! Il reste cependant que mon âme, peut être par trop rebelle, ne peut et ne pourra jamais s'accommoder du mensonge et de l'illusion, destructifs. Il convient de rappeler aux 'professionnels de la tromperie'' l'évidence que l'histoire ne juge pas par les promesses d'un jour mais par celles tenues les jours d'après. Fort heureusement, l'histoire nous enseigne aussi que les peuples, tout en restant dignes, subissent, avec patience, l'oppression un temps mais ne font jamais ménage avec elle. D'où la certitude que le changement est inéluctable. * Pr. Ecole Nationale Supérieure de Technologie