De Papon � Bousquet, tous les grands collaborateurs du r�gime hitl�rien ont eu cette r�plique d�risoire et d�sesp�r�e pour att�nuer les effets tragiques de leur complicit� : �Oui nous avons bien livr� des juifs aux nazis, mais on ne savait pas qu�ils �taient destin�s aux fours cr�matoires.� Depuis, un d�bat byzantin s�est install� autour de la notion de gravit� dans la connivence et dont semble habilement s�inspirer notre ami Amara Benyoun�s, le plus bouteflikiste des d�mocrates alg�riens, chaud partisan de la r�conciliation nationale et accessoirement pr�sident de l�UDR. L�ancien lieutenant de Sa�d Sadi plaidait sa propre cause le week-end dernier avec des accents touchants : �Nous avons certes soutenu la charte mais pas pour que la d�faite militaire du terrorisme se transforme en victoire politique de l�islamisme et pas pour que le d�lai soit prolong�. Sur la foi d�une si candide d�claration, on peut donc conclure � l�avantage de M. Benyoun�s et de tous les comparses occasionnels de la r�conciliation nationale qu�ils �ne savaient pas�. Ils �ne savaient pas� qu�ils avaient accompagn� une marche vers l�abdication de la r�publique, ils �ne savaient pas que les islamistes allaient revenir en force gr�ce � la charte, ils �ne savaient pas que Rabah Kebir allait rentrer au pays apr�s les d�lais pour exiger publiquement la cr�ation d�un nouveau FIS et que le pr�sident Bouteflika, selon le propre aveu du chef islamiste, lui a d�j� donn� son feu vert. Ils �ne savaient pas� que le r�f�rendum du 29 septembre 2005, auquel ils ont applaudi, s�int�grait dans un plan global, machiav�lique, qui leur �chappait, qu�il �tait l�acte l�gal par lequel allait s�op�rer la capitulation, la date de la renaissance de l�islamisme politique apr�s quinze ann�es de r�sistance, de larmes et de douleurs. �Ils ne savaient pas.� Ils n�ont fait qu�aider au transport des explosifs, ils ignoraient le sinistre usage qui en allait �tre fait et ils n�ont pas appuy� sur le d�tonateur. Faut-il alors quand m�me consid�rer qu�ils portent une grosse part de responsabilit� dans le prochain retour du FIS qui devrait, selon toute vraisemblance, intervenir avant les l�gislatives de 2007 ? H�las oui. Ils ont failli, en tant que d�mocrates, dans la conduite morale de la politique, c�est�- dire dans ce qui nous diff�rencie des opportunistes et des islamistes : l�attachement � des principes r�publicains inoxydables. Parmi eux, le refus absolu d�apporter caution, d�acquiescer, sous quelque forme que ce soit, au projet islamoconservateur du pr�sident Bouteflika. Ces amis ont approuv�, un peu par cupidit� politique et beaucoup par candeur, un plan mortel sur lequel ils n�avaient aucune prise. Ils ont brouill� la lisibilit� politique de l��v�nement et cr�� l�illusion qu�un programme vichyste, capitulard, a b�n�fici� d�une large adh�sion r�publicaine, en somme celle des vrais r�sistants � l�int�grisme. Et les voil� qui s��bahissent des ravages qui s�accumulent sous leurs yeux et dont ils exon�rent volontiers leur propre responsabilit�. �Qui lui a permis de rentrer ?�, s�interroge, � propos de Rabah Kebir, un quotidien proche du cercle pr�sidentiel et qui ne tarissait pas d��loges sur la r�conciliation nationale pendant la campagne r�f�rendaire. Mais c�est vous, cher confr�re, qui lui avez permis de rentrer ! Vous moins que d�autres, certes, mais vous entre autres ! Deux ans et demi apr�s la r��lection de Bouteflika, chacun mesure, en en payant le prix fort, ce qu�il en co�te aux hommes qui se revendiquent des id�es r�publicaines, de se tromper de porte. Le projet de Bouteflika n�est pas le n�tre. Car enfin, comment aurait-il pu l��tre tout en appartenant, en m�me temps, � Aboudjerra Soltani ? Le dessein d�mocratique a besoin de souffle et de foi solide et d�sint�ress�e. Il faut en finir avec le mythe de l�opposition f�conde, c�est-�-dire cette esp�ce d�activit� politique qui fait mine de reposer sur des id�es fondatrices de la libert� et de la r�publique, mais qui poursuit, en r�alit�, l�objectif beaucoup moins noble de conqu�rir de petites parcelles de pouvoir, m�me mineures, par le troc classique : ma petite nuisance contre ton strapontin. L�opposition f�conde na�t g�n�ralement de l�angoisse de �vieillir st�rilement dans l�opposition� qui gagne subitement certains d�mocrates � l��ge de la m�nopause politique et qui se r�veillent brutalement � la perspicacit� du fauteuil. Ce mythe, vieux comme le monde, a autant ses adeptes que ses th�ories toutes faites. L�une d�elles, tr�s � la mode, et �nonc�e par des d�mocrates dont on ne peut pourtant douter ni du parcours ni du combat soutiendrait qu�il serait l�heure d�aider le pr�sident Bouteflika �� sortir du t�te-�-t�te avec les islamistes�. C�est-�-dire de justifier une convergence avec Bouteflika par des arguments tactiques d�apparence implacables, mais � la fois illusoires et, surtout, d�vastateurs. Il n�a donc pas suffi de sept ann�es et demie de d�marche politique compl�tement inf�od�e aux islamistes et aux clans rentiers du pouvoir pour se convaincre qu�un d�mocrate ne peut partager aucun dessein politique avec le chef de l�Etat ! Il surgit, comme �a, dans le cerveau de nos amis, d��tranges formules syllogistiques qui pr�tendent s�appuyer sur une connaissance fine et r�actualis�e des �contradictions� au sein du r�gime et qui redessinent, � l�avenant, le nouveau catalogue du syst�me en place, avec ses �bons� et ses �m�chants�, ses �modernistes� et ses �conservateurs�. Et c�est ainsi que, par la gr�ce de cet inventaire des initi�s, Ahmed Ouyahia a �t� sacr� chef de file des r�publicains �radicateurs et que Yazid Zerhouni, sous la plume d�un �ditorialiste pourtant averti, promu t�te pensante du groupe anti-islamiste ! On voit d�ici � quel usage, lors de la prochaine f�te foraine �lectorale, vont servir de tels accoutrements : nous allons �tre invit�s � choisir �notre camp� pour faire �barrage� aux islamistes. C�est de la sorte que se recyclent les syst�mes, que s�entretiennent les chim�res, que s�exerce l�opposition f�conde et que se pr�parent les prochaines d�ceptions. Vous avez aim� Benflis et son �FLN r�nov�, vous adorerez Ouyahia et ses golden boys de la politique ! Combien nous faudra-t-il de d�convenues et de d�ceptions pour qu�enfin on cesse de confier � des challengers enfant�s par le syst�me la mission de r�aliser nos r�ves d�mocratiques ? Reprenons-donc notre autonomie de pens�e sans nous soucier de la m�t�orologie du s�rail. C�est le plus s�r moyen, pour un d�mocrate, de ne pas sortir sans son parapluie et d��conomiser ses remords. La voie la plus efficace, m�me pour un r�publicain ambitieux, de survivre aux orages. Car � ce jeu, on est vite disqualifi�. Les convictions qu�on abandonne ne sont jamais perdues pour tout le monde. Elles grandissent sans nous, et souvent contre nous, parce qu�elles sont irrigu�es par la dure r�alit� que vivent les masses et par leurs espoirs. Demandez � ceux qui ont test� l�opposition f�conde ce qu�il en co�te de renoncer � son id�e matricielle : elle a �t� reprise, au vol, par la soci�t� qui, elle, n�a pas chang� d�avis et qui lui a redonn� une seconde vie, vous en enlevant, pour toujours, la paternit�. Cela donne, g�n�ralement, des scores de 1,5 % aux �lections.