Le retour de Belkacem Zeghmati à son poste de Procureur général près la Cour d'Alger a coïncidé avec une déferlante de comparutions de hauts responsables devant le juge d'instruction du Tribunal de Sidi M'Hamed. Jeudi dernier, plusieurs personnes entre ex Premiers ministres, ministres, walis, hauts fonctionnaires de l'Etat, hommes d'affaires ont défilé, toute la journée, pour comparaître devant le juge d'instruction du Tribunal de Sidi M'Hamed. Les faits sont inédits au regard de l'ouverture de nombreux dossiers lourds, en quelques heures, alors que l'Autorité judiciaire a toujours pris son temps pour lancer des procès et prononcer des verdicts. Elle en fait de l'entassement des affaires et leur renvoi systématique et répétitif à des dates très éloignées, sa tradition. Le même jour, des hommes de loi se trituraient l'esprit pour tenter de trouver une explication juste, cohérente et surtout légale à ce qui se déroulait dans les salles d'audition du palais de Justice de la rue Abane Ramdane. L'on retient des palabres pendant de longues heures pour trouver un fil conducteur à ce remue-ménage, que la justice a agi en violation du code de procédure pénale. Les anciens responsables ont été convoqués au Tribunal de Sidi M'Hamed en violation, disent les juristes, de l'article 573 de ce code qui stipule qu'ils ne doivent l'être que par la Cour suprême. Pis encore, les spécialistes du droit n'ont pas su démontrer à partir de cet autre couac réglementaire si les ex-responsables ont comparu, en tant que témoins ou accusés. « Il semble que ce sont des procédures de forme, » disaient, jeudi, des avocats. Les instances judiciaires officielles se sont murées dans un silence qui cache mal la complexité de l'imbroglio juridico-militaro-politique, au sein duquel elles semblent devoir agir très vite. Le même jour aussi, des limogeages et des nominations au niveau de l'appareil judiciaire ont été annoncés, officiellement, comme ayant été opérés par le Chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah « conformément à l'article 92 de la Constitution.» La nomination inattendue de Belkacem Zeghmati, en tant Procureur général près la Cour d'Alger, est venue pour confirmer la mise en scène d'un scénario que seul le pouvoir militaire doit en avoir les séquences, les éléments et l'utilité. Le Procureur général qui a inculpé Chakib Khelil L'histoire pourrait d'ailleurs permettre des recoupements qui en font un acte qui n'a rien de fortuit. Le personnage n'est pas nouveau dans le paysage juridico-politique. «Je persiste à dire que les autorités judiciaires n'ont pas attendu que les juridictions étrangères agissent pour qu'elles bougent,» a-t-il déclaré, en août 2013, lors de la conférence de presse qu'il a animée pour annoncer l'inculpation officielle de Chakib Khelil. Belkacem Zoghmati était alors Procureur général près la Cour d'Alger, c'est-à-dire au même poste dans lequel il a été placé jeudi dernier. C'est, donc, lui qui a traité de l'affaire Sonatrach, condamné l'ex ministre de l'Energie Chakib Khelil, lancé un mandat d'arrêt contre lui et décidé de la saisie de ses biens et de ceux de sa famille. Zeghmati avait noté, entre autres, dans sa conférence de presse qu'il ne pouvait « se prononcer sur la responsabilité politique dans ce détournement des richesses de la nation. » Pourtant, les milieux avertis étaient persuadés que le dossier Sonatrach avait été ficelé par les soins de services puissants, bien renseignés et capables du pire pour préserver leur hégémonie dans les arcanes des pouvoirs et sur l'ensemble du pays. Nous écrivions à l'époque, dans ces mêmes colonnes et à plusieurs reprises, que depuis qu'elle a été jetée sur la place publique, l'affaire Sonatrach a été émaillée d'une multitude de non-dits, d'hésitations et de grands marchandages. Elle a suivi le même cheminement que toutes les grandes affaires qui ont éclaboussé les arcanes du pouvoir. De ce fait, elle dégage forcément de forts relents de règlements de comptes par laquelle ceux qui l'ont constituée devaient obliger le clan présidentiel à se ressaisir et à s'avouer que nul n'est infaillible « même si l'on tient l'Etat entre ses mains ». Ainsi déclaré, l'acte aurait été pour concevoir, pour cette fois, « un enfant dans le dos du président de la République, » a pensé un haut responsable à l'époque. Dévoilée par des sources informées, la réaction de Bouteflika en disait long sur cette trame. Dans ces mêmes colonnes, nous avions répété qu'il avait exigé, selon des sources qui lui sont proches, la constitution d'une commission pour enquêter sur la mort du général Saïdi, survenue en 1995, dans un terrible accident de la route. C'était au bout d'une ruelle où un camion avait violemment heurté la voiture dans laquelle il se trouvait aux côtés de l'ancien wali d'Oran, (avant de Laghouat), Mustapha Kouadri. Le général Saïdi, devait selon nos sources, remplacer Mohamed Médiène (Toufik), à la tête du DRS. Des changements pour éviter un casus belli ? Bouteflika avait, dit-on, en outre, demandé par la même occasion de (r)ouvrir le dossier de l'assassinat de Boudiaf. Ces menaces de Bouteflika, au patron du DRS d'avant, avaient visiblement obligé à un retournement, quelque peu subit, de la situation politico-juridique d'alors. L'on disait à cet effet que la justice algérienne était très embarrassée parce qu'elle ne trouvait pas «d'astuces» pour classer le dossier et mettre fin aux poursuites notamment contre Chakib Khelil. Bien que les hommes de loi disaient de Belkacem Zeghmati qu'il connaissait bien son métier de « justicier » et en même temps « ses limites » politiques, cet énarque « bien considéré, » disait-on encore, semblait avoir eu le feu vert pour donner le ton à une affaire qui n'avait que trop traîné. Le clan Bouteflika l'avait jugé autrement et avait alors décidé de son éviction du poste de Procureur général pour le placer « comme second » à Blida. En 2013, l'on disait de Zeghmati qu'il avait géré l'affaire Sonatrach, sur instruction du DRS. Lui aussi avait d'ailleurs commis des impairs réglementaires (Cour d'Alger au lieu de la Cour suprême) qui ne pouvaient être autorisés que par un pouvoir puissant. D'ailleurs, de cause à effet, en septembre 2013, le Président Bouteflika avait décidé de retirer au général Toufik, toujours patron du DRS, des services importants comme la Police judiciaire, la Sécurité militaire et la Communication, pour les rattacher à l'état-major de l'ANP. Il avait, en même temps, décidé de l'annulation définitive de la fiche de réhabilitation que les services de Toufik mettaient au point, à chaque fois qu'il s'agissait, pour eux, de préciser le profil et la position d'un cadre. Le DRS commençait à être restructuré comme le voulait Bouteflika. Jeudi, Zeghmati a été rappelé au même poste dans un contexte de « folie » judiciaire où des affaires lourdes sont examinées à toutes les heures. « Pour le réhabiliter » soutenaient jeudi ses pairs. Il faut noter, cependant, qu'il est revenu au moment où Toufik est placé en détention préventive, à la prison militaire de Blida. Et il est redevenu Procureur général de la Cour d'Alger, quelques semaines après que le chef d'état-major de l'armée ait annoncé la réouverture d'affaires judiciaires comme El Bouchi, El Khalifa ou Sonatrach. L'on pourrait s'attendre à ce que Chakib Khelil soit déféré devant le parquet où l'affaire BRC est réexaminée. Zeghmati doit bien connaître le système, notamment, depuis qu'il a eu à traiter l'affaire Sonatrach. Tous les hommes du système', qu'ils soient comptés sur Toufik ou pas, appréhendent leur comparution devant un juge d'instruction civil ou militaire. Le pays a sombré, ainsi, dans une psychose provoquée par des actes, pratiques et réflexes d'un pouvoir qui, à défaut d'être changé, se redéploie, au fur et à mesure, qu'il accapare des espaces et neutralise des adversaires. Le FLN de Djemai en est le parfait témoin. Le battage médiatique autour des «œuvres» de l'armée en est un, grandeur nature. Zeghmati pourrait devenir ce «justicier» qui pourrait déterminer «les limites à ne pas franchir» pour permettre aux deux clans qui s'affrontent, de se trouver un terrain d'entente et éviter un casus belli.