En théorie, la justice algérienne est devant un incroyable dilemme : faire le procès de l'ancien ministre de l'Energie et des Mines ou passer l'éponge sur tout ce qui a été dit depuis le début de l'affaire Sonatrach 1 et 2 — un dossier toujours entre les mains des juges italiens. Que fera cette même justice qui avait lancé contre Chakib Khelil et les membres de sa famille un mandat d'arrêt international le 12 août 2013, avant que celui-ci ne soit annulé pour un prétendu vice de forme ? En vérité, c'est toute la crédibilité de la justice algérienne — ou ce qu'il en reste — qui est mise à mal. L'ancien procureur général de la cour d'Alger, Belkacem Zeghmati, n'aurait jamais émis un mandat d'arrêt international contre Chakib Khelil et sa famille sur la base d'un dossier vide. Et ce serait vraiment gravissime si M. Zeghmati l'avait fait sur un coup de tête ou un appel téléphonique. Quoi qu'il en soit, le procureur n'est plus à son poste, mais les affaires de corruption auxquelles le nom de l'ancien ministre de l'Energie est associé ont continué de défrayer la chronique. Tout au long du procès Sonatrach 1, son ombre a plané. Les cadres de Sonatrach soutenaient dans leur majorité qu'ils n'avaient fait qu'obéir aux instructions. Certains avocats demandaient même qu'il vienne s'expliquer sur la responsabilité qui était la sienne dans la gestion du groupe pétrolier national. Chakib Khelil avait bien quitté précipitamment le pays avant de revenir triomphalement, jeudi dernier, après trois ans d'exil. Mais avec un tel retour — accueil officiel à Oran d'où il avait quitté l'Algérie au milieu d'un matraquage médiatique qui clame son innocence et lui donne le statut inespéré de victime qu'il faut réhabiliter — la voie est toute indiquée, encore une fois, à une justice qui aura du mal à trouver les arguments qui lui permettront de trouver une issue honorable. Si Chakib Khelil est rentré, c'est qu'une décision a été prise en haut lieu, précisément par la plus haute autorité du pays, le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika. Et dans le contexte qui est celui de l'Algérie d'aujourd'hui, nul ne peut le contester. La réhabilitation politique de l'ancien ministre de l'Energie et un des piliers du régime mis en place par le locataire du palais El Mouradia est de fait. Le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) avait donné le la en assurant l'absolution d'un membre important du «clan présidentiel» et le reste suivra certainement. Mais si l'on sait que le pouvoir n'a pas froid aux yeux pour imposer ses choix — au grand dam du droit et de la morale politique, tant ce qui lui importe est sa propre survie — il aura du mal à faire passer la pilule. Il doit d'abord apporter des contre-preuves à ceux qui avaient décidé de lancer un mandat d'arrêt international contre Chakib Khelil et sa famille, ceux qui parlaient de son implication dans les affaires de corruption qui ont secoué Sonatrach et ceux qui ont ficelé les enquêtes, c'est-à-dire la police judiciaire de l'ex-DRS. La réhabilitation politique ne vaut que par ce passage obligé par la justice. Faisons un peu de politique fiction : si l'ancien ministre de l'Energie était à ce point victime d'une cabale, d'un complot, d'une machination orchestrée par l'ancien patron du DRS, Mohamed Médiène dit Toufik, contre le président Bouteflika comme le souligne Amar Saadani, et que tout allait bien dans le meilleur des mondes, en Algérie, il n'y a pas de corruption, tout est clean, le pays est installé résolument dans la prospérité économique et dans la bonne gouvernance, la justice devrait, dans ce cas, châtier les trouble-fête. Tout ce beau monde devrait répondre devant la justice pour avoir au pire fabriqué des faux et au moins diffamé Chakib Khelil. La justice algérienne est dans une inextricable situation.