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A quelque chose virus est bon
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 26 - 03 - 2020

Souvent la routine inhibe les facultés réactives. Elle met en difficulté ceux qui la subissent dès que surgit et se met en travers de leur trajectoire une situation nouvelle à laquelle ils ne s'attendaient point. Alors l'étrange avoisine la peur laquelle fait perdre le sens de la mesure, du discernement et compromet la réponse salutaire.
Les objectifs deviennent imprécis, les priorités inversées, la gestion approximative et les accommodements inconsistants. Aussi, c'est à la capacité de s'y adapter, particulièrement lorsque le « nouveau » est « agrémenté» d'ingrédients astreignants et pernicieux, que l'on reconnait les signes de maturité et d'intelligence. Depuis plus d'un an le Hirak a maintenu contre vents et marées un niveau de mobilisation impressionnant, lucide, responsable et paisible que l'on ne connait nulle part ailleurs. Cependant, surtout ces derniers mois, la désinformation, la répression, le verrouillage du champ politique et médiatique, ont considérablement limité son champ d'expression au point de le réduire à un engrenage tournant en rond autour d'un seul axe, celui de ses acquis antérieurs. Et puis voilà que subitement l'inattendu s'invite, comme pour mettre fin à un rituel.Un virus pandémique obligeant ce Hirak à déplacer le curseur sur des priorités autres que celles qu'il s'est imposées jusque-là. Ce virus est un défi, il doit l'intégrer comme préoccupation majeure, s'investir totalement dans sa prise charge, sans calcul ni arrière-pensée, jusqu'à ce qu'il soit terrassé.Peut-être est-ce là l'occasion,non seulement de casser le cercle vicieux de la routine, mais aussi de sebonifier, de se donner une référence de plus et une nouvelle impulsion susceptible de dégager l'horizon et élargir ainsi le champ des possibles. Si les esprits sont à la hauteur de l'immense défi que s'est lancé le peuple, si cette intelligence collective, si lumineuse jusque-là, reste sur la même sagacité, un succès sur le COVID 19 pourrait alors être ce nouveau ferment duquel le Hirak pourrait puiser le carburant nécessaire à sa régénérescence. Ceci est possible, faudrait-il encore croire en soi, s'impliquer de toutes ses forces et avoir à l'esprit cette vieille sagesse du terroir qui dispose qu'à quelque chose malheur est bon. Comme on le verra ci-après, ce ne sont pas les arguments qui manquent.
Ce vendredi 20 mars est le premier jour de la trêve Hirakiste. Le hasard du calendrier en a fait un lendemain d'anniversaire, celui du cessez le feu de la guerre d'indépendance. Les rues sont désertes, le même miracle qui les a faites grouillantes un certain 22 Février 2019 a opéré une fois de plus mais en sens inverse. Tel un ressac laissant momentanément le rivage à ses galets, la déferlante s'est retirée. Bravo le peuple, il a sondé le tréfonds de son âme et pris la décision qui lui a parue la plus conforme à son statut : celui de souverain situant l'intérêt de la nation au-dessus de tout autre considération. Il était à craindre qu'une minorité d'exaltés, par bravade ou crétinisme, fasse exception, ce qui aurait fait le bonheur de la matraque habituée à se délecter dès le nombre de marcheurs réduit au minimum. Et bien non ! Ce ne fut pas le cas. Réjouissons-nous de cette quasi-unanimité même si, pour l'occasion, un blèche opportunisme a trouvé à s'exprimer par le biais de la télévision « publique », laquelle, après avoir observé le black-out sur le fleuve humain arpentant les avenues de dizaines de nos villes, s'est fait un malin plaisir à les montrer dans la nudité de leur désertion. Ajoutons qu'auparavant, certains responsables de partis politiques, abhorrés par le hirak, en mal d'audience et de portes ouvertes à défoncer, se sont crus obligés de jouer leur partition en appelant au confinement, eux qui, jusque-là, se sont confinés quand il s'était agi de descendre dans l'arène. Contrairement au virus, le ridicule ne tue pas. Mais que ceux qui croient la braise éteinte ne se fassent pas d'illusion, la clameur s'est tue parce que le peuple n'es pas suicidaire et refuse de sauter dans le vide pour le plaisir de vérifier la loi de la gravitation. Le feu couve toujours, ce n'est que partie remise, la rue de nouveau parlera lorsque le virus se taira, elle reviendra enrichie d'une nouvelle forme de lutte. Pour l'heure son silence n'est qu'une mise en évidence de sa maturité et du sens élevé qu'elle a de l'intérêt suprême de la nation. Nul doute qu'elle reviendra plus forte car ce qui s'apparente à une vicissitude est aussi une occasion pour la consolidation de la solidarité sociétale. Il ne saurait en être autrement tant il est vrai que tout mécontentement exacerbe la contestation et que c'est face à l'adversité que la grandeur d'âme atteint les cimes, face à un ennemi commun et dans les difficultés qu'il y a à le terrasser, que se constituent les agglomérats les plus résistants. Toute épreuve accroit la grandeur de ceux qui la traversent,particulièrement quand cela se fait dans la douleur. Elle tisse des liens indéfectibles, consolide la solidarité et donc la résistance collective. Le confinement la distanciation sociale ne sont pas rupture, c'est une nouvelle forme de liens, plus solides du fait que s'y ajoute le respect d'une norme, de la vie. In fine l'immunité collective n'est donc pas qu'à l'égard du COVID 19, elle sera aussi ultérieurementet par extension résilience face aux autres obstacles, notamment ceux dressés en travers de la route menant vers la construction de cet Etat de droit auquel aspire tout un peuple du plus profond de son âme.
Face à l'épidémie qui s'installe, nul ne peut prévoir le scénario auquel sera confronté l'Algérie durant les semaines, les mois à venir, et pour cause : Personne ne connait l'ampleur de cette bombe à retardement qu'est la masse de ceux qui sont infectés et non décelés, encore moins notre capacité à y faire face. Croisons les doigts, souhaitons que le confinement fera rempart, que les mesures gouvernementales réduiront la vitesse de transmissibilité, car si évolution exponentielle il y a, nos structures de santé en seront comme ailleurs saturées et débordées. Aussi, si le rôle de l'Etat est important, celui des citoyens l'est autant sinon plus car la prévention qui est la clef de l'épidémie est pour l'essentiel entre ses mains. Le peuple a ainsi devant lui l'occasion historique de faire l'inventaire de ses tares (celles de ses gouvernants étant connues) et de mettre en œuvre sa capacité à se prendre en charge. En ces premiers jours de crise les signes précurseurs sont déjà là : Les étudiants sensibilisant au confinement, les rues vides et jamais aussi propres sans que ce soit du seul fait de NETCOM, production artisanale de masques, de gel hydro alcoolique, disponibilité des opérateurs économiques, engagements des personnels de santé etc. D'autres actions suivront, les réseaux sociaux bouillonnent, cogitent, l'essentiel est qu'il y a bloc homogène, force collective disciplinée, d'endurance et d'action, face à un mal dont la nuisance se décuple dans les situations dominées par l'égoïsme et l'anarchie. A cet égard, on ne peut passer sous silence le comportement nocifs voire criminels de quelques minorités, des inconscients ne mesurant pas le risque d'ignorance de la distanciation sociale ou encore ces « beggarine » qui profitent de toutes circonstances, même les plus morbides, pour spéculer sur les cadavres de leurs concitoyens. Chiche ! Que le ministère du commerce, libéré de toutes entraves légales ou morales, prouve qu'il peut mettre en œuvre ses menaces. On applaudira à tout rompre.
Si l'intelligence est faculté d'adaptation, elle est aussi capacité à tirer leçon de toutes situations y compris des plus calamiteuses. Au risque de surfer sur le nihilisme on pourrait affirmer que le COVID 19 est un test à point pour le Hirak ou que celui-ci a été une bonne école pour se préparer à l'arrivée de celui-là. Plus tard, lorsque ce virus sera de l'ordre de la mémoire, lorsqu'on fera le bilan de la contribution de cette révolution du sourire à la gestion de cette épidémie : On verra que l'organisation des marches avec « Silmya » au bout du pied, l'endurance et les privations, le self-control des marcheurs face à la matraque, ont été des exercices avant-gardistes comme seul le génie d'un peuple sait en enfanter. On verra que les dizaines de « sorties » ont été autant de séances de travaux pratiques à ciel ouvert, de répétitions grandeur nature comme si la providence les avait spécialement programmés pour préparer le peuple à affronter collectivement une épreuve aussi létale que celle qu'impose le COVID 19. Quelle que soit sa nuisance, elles auront un impact positif et montreront un peuple courageux, digne qui se sera défendu avec les honneurs. C'est dire que si le Hirak demeure fidèle à lui-même, s'il persiste dans la confirmation des vertus qui lui sont allouées, il a toute latitude de convertir l'expérience de l'épreuve en cours, aussi dure sera-t-elle, en un potentiel de changement dont beaucoup ne soupçonnent même pas l'éventualité. C'est aussi de ce potentiel qu'il aura besoin pour tout mettre à plat, poser les fondements d'un projet de société démocratique, cohérent dans sa diversité, débarrassée des scories empêchant d'accéder au statut de nation moderne. Mais la partie sera d'autant plus difficile qu'en face le système essayera de « récupérer » le virus pour en faire un complice et l'utiliser contre toute velléité d'émancipation. Il a l'habitude d'agiter l'épouvantail de la peur pour s'imposer en tant que rédempteur. Un général à la retraite n'a-t-il pas affirmé récemment que le terrorisme résiduel n'a été que l'œuvre de ceux qui étaient censés le combattre ? Nombre de ceux qui disaient que sans Bouteflika ce serait la catastrophe sont toujours là. Le virus, ils ont l'habitude de le côtoyer, fakhamatouhou ou COVID 19 ce n'est qu'une question d'appellation.
On ne peut que souhaiter au Gouvernement de réussir dans tout ce qu'il entreprend pour juguler l'épidémie, il pourra ainsi combler quelque peu son manque de légitimité. Mais s'il échoue, il ne faut pas s'attendre à le voir s'amender, l'Etat profond ne le permettra pas.Chez ceux qui ont clochardisé à ce point le tissu social, produit une corruption aussi généralisée, dilapidé mille milliards de dollars pour que le pays en vienne à trembler aux premiers frémissements du cours du pétrole, le repentir n'existe pas. Ils n'ont d'yeux que pour leur propre survie. Devant la mort et l'indigence des moyens, ils choisiront qui vivra, émonderont les branches une fois de plus pour sauver le tronc. Lorsqu'il fallait combattre les hordes islamistes armées, leurs enfants n'étaient pas aux premières lignes. L'épidémie du COVID 19 aura peut-être le « mérite » de le révéler à nouveau, notamment aux auxiliaires qui les soutiennent à bout de bras même à leurs corps défendant : ceux-là mêmes qui n'accèderont pas aux soins appropriés réservés à leurs seigneurs. On ne peut s'empêcher, au passage, d'avoir une « petite pensée » pour ceux d'entre eux qui ont naguère bastonné ces blouses blanches auprès desquelles ils iront quémander quelques soins en cas de contamination. Car, face au virus, ils en seront victimes comme tout citoyen lambda. Peut-être alors comprendront-ils qu'ils ne sont que serfs corvéables à merci, feront amende honorable et rejoindront le Hirak.
Cette réflexion serait inachevée si l'on ignorait la probable implication du COVID 19 sur ce bigotisme ambiant qui a enveloppé ces dernières décennies une bonne partie de la société. Habituellement, lorsqu'on avait affaire à une catastrophe naturelle, tremblement de terre, inondation ou autres, c'étaient des moments bénis pour les islamistes prosélytes lesquels, surfant sur la peur, lançaient une « O.P. A » sur les « mécréants », allant jusqu'à leur imputer la colère de Dieu du fait de la tiédeur de leur dévotion. Le pouvoir lui-même trouvait son compte en endossant tout au divin, évitant ainsi d'avoir à dévoiler ses propres tares de gestion. Quand un bâtiment s'écroule à la moindre secousse tellurique, pas besoin d'examiner si les normes antisismiques ont été respectées à sa construction, allahghaleb suffit. Or ne voilà-t-il pas que le COVID 19 change subitement la donne puisqu'il touche la planète entière monde y compris là où la dévotion est la plus affirmée. Dès lors, les charlatans sont démunis, leur logiciel ne l'a pas prévu. Après avoir subi un désaveu quant au maintien des marches, la cagoterie n'a rien à se mettre sous la dent si non la rancœur de constater que ce ne sont ni les incantations, ni les amulettes, mais la science qui a permis aux Chinois « koufars » de venir à bout du monstre chez eux. Peut-être que la bigoterie consentira à ce que l'Algérie, qui les a déjà sollicitéspour nous édifier la plus grande mosquée d'Afrique, leur fasse appel pour la convertir en un hôpital de même dimension. Si c'est le cas, alors : à quelque chose virus est bon.


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