Les appels à une pause ou à un arrêt temporaire des manifestations des vendredis et mardis du mouvement populaire, le temps que l'épidémie de coronavirus soit maîtrisée et endiguée, se multiplient. M. Kebci - Alger (Le Soir) - L'idée de mettre entre parenthèses les manifestations populaires hebdomadaires, le temps de maîtriser l'épidémie du coronavirus, fait son bonhomme de chemin et enregistre, chaque jour, un peu plus d'adeptes et de partisans. Une épidémie dont le bilan était, avant-hier soir, à 54 cas de personnes infectées par le Covid-19, dont quatre décès. «Faire prévaloir et prioriser la santé des Algériens est de la responsabilité de tous », a, en effet, écrit sur sa page Facebook Mohcine Belabbas, un des rares chefs de partis à n'avoir raté aucun des 56 épisodes du mouvement populaire en cours dans le pays depuis plus d'une année. Et cette idée de suspension momentanée des manifestations fait tache d'huile parmi les activistes du Hirak qui soutiennent qu'il faut désormais «prendre au sérieux la menace», «cette situation d'urgence sanitaire » et ainsi éviter au pays une «catastrophe sanitaire». Une idée que fait sienne également Saïd Salhi pour qui «l'appel à la suspension des manifestations peut être une initiative révolutionnaire. Au lieu de l'appel à remplir les rues, le Hirak peut demander de les vider et lancer une campagne nationale d'auto-organisation et de sensibilisation ». Le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (Laddh) explique «ne pas être de ceux qui vont faire de la surenchère sur une question de santé publique et de sécurité nationale, la santé et la vie de nos concitoyens n'ont pas de prix. Oui, il faut prendre au sérieux la menace du corona. Mais encore une fois, la première responsabilité incombe au pouvoir qui se doit de mobiliser le pays, tout le pays dans la sérénité et la solidarité, mettre en place un plan national de prévention, de lutte contre le corona, un plan qui ne concerne pas seulement le Hirak, mais tous les aspects de la vie de tous les jours, tous les espaces publics (marchés, transports, lieux de culte, cafés, places publiques…) ». Le chercheur algérien Noureddine Melikchi se met de la partie en invitant les Algériens à surseoir à sortir dans les rues. « Mes convictions sur les mérites du Hirak demeurent les mêmes , mais compte tenu de la nature hautement contagieuse de Covid-19, j'exhorte mes compatriotes à suspendre temporairement le mouvement et éviter les foules. Cela n'isolera pas de manière permanente les gens de Covid-19, mais ralentira sa propagation », affirme ce célèbre physicien atomique algérien exerçant à l'agence spatiale américaine Nasa. Aussi, l'ancien ministre de la Communication et ex-ambassadeur Abdelaziz Rahabi se joint à cet appel. « L'Algérie connaît une situation d'urgence sanitaire imposée par la dangerosité du coronavirus, la précarité de notre système de santé et le non-suivi des mesures préventives nécessaires qu'on observe dans les autres pays. La suspension temporaire des manifestations s'impose comme un devoir national pour préserver la santé publique, et ne constitue nullement une atteinte au droit du citoyen à se déplacer et à manifester pacifiquement pour porter ses revendications légitimes de justice et de liberté, dans des conditions sanitaires sûres», explique-t-il dans un post sur sa page Facebook. «Le Hirak veut une vie meilleure pour les Algériens. La vie meilleure impose aujourd'hui la suspension momentanée du Hirak et la prise de mesures de prévention pour préserver la vie des gens. Le pouvoir est aussi appelé à prendre des mesures préventives, à libérer les détenus du Hirak et à cesser de les harceler », écrit, de son côté, le journaliste Hafid Derradji. Estimant, pour sa part, que dans le cas de l'Algérie, la pandémie de coronavirus doit interroger davantage les consciences eu égard à l'état de délabrement de nos structures sanitaires et l'irresponsabilité des gouvernants, Djamal Zenati invite le peuple algérien à «ne compter que sur lui-même», en inventant, grâce à son inventivité et son esprit de combativité, les mécanismes et en adoptant les attitudes susceptibles de faire face aux effets potentiellement dévastateurs du coronavirus». Il appelle à «concilier protection et protestation et non les opposer», pour faire échec à ceux tentés «qui pour briser l'élan révolutionnaire, qui pour le pervertir ou l'entraîner dans les voies incertaines». Dans une déclaration rendue publique, avant-hier dimanche, le Collectif des enseignants et des ATS de l'Université de Béjaïa a décidé de suspendre sa participation à la marche du mardi et appelle la société civile à faire de même pour les marches du vendredi. Comme proposition d'alternatives aux marches, le Collectif des enseignants et ATS «invite les citoyens du Hirak à poursuivre la révolution sous les formes qu'ils jugeraient opportunes : grèves générales, slogans scandés sur les balcons chaque soir… Les réseaux sociaux et tous les moyens de communication doivent être utilisés pour maintenir notre mobilisation, innover dans nos actions, dénoncer toute tentative d'arrestation ou d'intimidation éventuelle, revendiquer continuellement l'arrêt de la répression et de la torture et la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus d'opinion». «En révolution, la raison prime sur la passion. Pour vivre libre, il faut être vivant», écrit, pour sa part, l'ancien président du RCD, Saïd Sadi. «Sincèrement, il faut préconiser l'arrêt des marches et éviter un désastre sanitaire. Il faut lancer un appel à la population de cesser tout rassemblement tant que le mortel coronavirus se propage. Il en va de la santé de tous. Il faut être responsable et clair», écrit une internaute sur Facebook. «Nous serons utiles à la révolution, vivants et en bonne santé. Moi je vote pour la trêve semaine après semaine», propose un autre. «Préserver la santé des Algériens et sauvegarder la force unitaire du Hirak. Voilà le défi de l'intelligence collective du peuple algérien», estime, pour sa part, un internaute, quand un autre invite à «prendre conscience et à faire preuve d'intelligence devant la gravité de la situation en préconisant une trêve qui s'impose». M. K.