Alors qu'il devait sortir de prison jeudi dernier après avoir purgé sa peine, Karim Tabou a été condamné à la surprise, notamment sa famille et ses partisans, à un an de prison ferme par la cour d'Alger qui a programmé son deuxième procès le mardi dernier (24 mars). Et ce «sans informer ses avocats au préalable», selon les déclarations de ces derniers. Une vague d'indignation s'est emparée des réseaux sociaux que ce soit de la part des partisans de Karim Tabou, coordinateur du parti non agréé de l'Union démocratique et sociale (UDS), ou de la part de ses avocats qui se sont sentis «humiliés». Jeudi dernier, l'Union nationale des ordres des avocats a, à travers un communiqué rendu public, qualifié le procès en appel «de dépassement». Elle a ainsi dénoncé»avec force les violations et les atteintes aux droits de la défense au cours de cette audience». L'organisation des avocats a dénoncé en outre «l'attitude du président de l'audience qui a refusé le report du procès», en dépit du malaise qu'a fait l'accusé et l'insistance de ce dernier sur le report à cause de son état de santé et pour permettre la présence de ses avocats. En précisant : «le président de l'audience a décidé la poursuite du procès alors que l'accusé se trouvait à l'infirmerie ». Karim Tabbou a eu un malaise suite à un pic de tension selon ses avocats après que le juge ait refusé de renvoyer le procès en appel en l'absence des avocats. Il a été hospitalisé à l'hôpital de Mustapha puis reconduit à la prison de Koléa, selon ses défenseurs. Ces derniers affirment que son état nécessite, tout de même, une hospitalisation d'une certaine durée pour son rétablissement. Ladite organisation interpelle les hautes autorités du pays pour « intervenir et mettre fin à ce genre de pratiques, notamment celles qui portent atteinte aux droits de la défense », et appelle à la remise en liberté de l'accusé puisque, argumente-t-elle, «le jugement n'a pas été prononcé en sa présence, donc ne pouvant être exécuté que s'il n'est pas notifié ou s'il ne fait pas l'objet de cassation». Auparavant, l'Ordre des avocats d'Alger avait décidé, en signe de protestation, de suspendre «la coordination du barreau avec l'ensemble des parties judiciaires et administratives». Il a également appelé l'Union nationale des ordres des avocats au «boycott total des activités judiciaires à travers tout le territoire national». Ces derniers ont également demandé l'intervention du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, pour «constituer une commission indépendante pour enquêter» sur ce qui s'est passé lors du procès en appel de Karim Tabbou. Des partis politiques notamment ceux de l'opposition (du RCD, FFS, le PT, et Jil Jadid) ainsi que des personnalités politiques se sont également élevés contre cette condamnation. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) a estimé que Karim Tabbou a été privé d'un minimum de conditions pour un procès équitable: «Refus d'accéder à un report d'audience pour bénéficier d'un droit fondamental reconnu constitutionnellement à toute personne, d'être assisté d'un avocat de son choix et malgré son état de santé nécessitant une prise en charge médicale immédiate et un report d'audience évident». Pour la LADDH, cela «constitue une violation grave aux droits de la défense reconnus et garantis par la Constitution et les conventions internationales relatives aux droits de l'homme ratifiées par l'Algérie et publiées aux Journaux officiels». Amnesty International a réclamé pour sa part l'annulation de la sentence infligée à l'encontre de Karim Tabou, arguant du fait que «en cette période où du fait de la pandémie du Covid-19, des gouvernements du monde entier tentent de vider leurs prisons, les autorités algériennes doivent libérer tous ceux et celles qui sont emprisonnés uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression et de manifestation». Le parquet d'Alger et le CNDH répondent Pour sa part, le parquet général près la cour d'Alger a écarté jeudi l'atteinte du nommé Karim Tabbou d'un AVC (accident vasculaire cérébral), et ce suite aux examens médicaux approfondis auxquels il a été soumis à l'hôpital, a indiqué un communiqué du parquet. «Contrairement aux informations relayées par certains médias concernant l'état de santé du dénommé Karim Tabbou, détenu à l'établissement pénitentiaire de Koléa, le parquet général près la cour d'Alger informe que le prévenu en question a été soumis, les 25 et 26 mars, à des examens médicaux approfondis à l'Etablissement hospitalo-universitaire (EPH) Mustapha Pacha d'Alger », lit-t-on dans le communiqué. «Trois professeurs en médecine (cardiologie, neurologie et radiologie) ont pris en charge M. Karim Tabbou et ont écarté catégoriquement l'atteinte du détenu susnommé d'un AVC, et de tout ce qui pourrait en résulter comme complications», a précisé la même source, assurant que le concerné a été minutieusement examiné par les spécialistes et soumis à une batterie d'examens médicaux, notamment au scanner, IRM ainsi qu'à une échographie cardiaque. Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) a lui aussi réagit, affirmant que le refus du report du procès de M. Karim Tabbou par la cour d'Alger «relève légalement du ressort exclusif de cette juridiction», soulignant qu'il n'existe pas sur le plan international ce qui oblige la justice à approuver les demandes de report de toutes les parties à la cause, indique jeudi un communiqué de cet organe. «Si l'une des parties estime que la juridiction a abusé de l'usage de ce droit, le seul et unique moyen est de se pourvoir devant une juridiction supérieure, seule habilitée à trancher au fond», a précisé le CNDH. A la lumière de ces circonstances exceptionnelles que vit le pays marquées par la propagation du Covid-19, la cour a opté pour «le non report du procès des prévenus détenus, enrôlés pour la journée, et ce pour éviter de mettre en danger leurs vies par des sorties régulières des établissements pénitentiaires en direction des tribunaux et des cours», ajoute le communiqué. Le CNDH a estimé que la décision relative au report du procès des accusés détenus «est une décision nationale générale» appliquée sans aucune distinction entre tous les accusés ayant comparu ces derniers jours devant les tribunaux et les cours à travers le territoire national, par conséquent la tentative de certains d'exclure l'affaire de M. Karim Tabbou de cette règle constitue une atteinte à l'un des principes fondamentaux des droits de l'homme, à savoir l'égalité et la non discrimination entre tous les justiciables ». Conformément aux exigences d'un procès équitable, l'accusé et son avocat, et en application des articles 495 alinéa B, 497 alinéa B et 500 du Code des procédures pénales, «ont le plein droit au pourvoi en cassation contre les arrêts de la cour d'Alger. Les pourvois en cessation ne peuvent être fondés que sur l'une des causes suivantes : excès de pouvoir, violation des formes substantielles de procéder, défaut ou insuffisance de motifs, ou manque de base légale». Relevant que le dernier mot revenait à la Cour suprême, le CNDH a affirmé qu'il sera «le garant» du respect rigoureux, par les différents organismes de l'Etat, des principes des droits de l'homme, approuvés par l'Algérie et consacrés dans la Constitution.