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Ce n'est pas la fin du monde, c'est la fin d'un monde
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 02 - 04 - 2020

«Plus je lis sur le virus (Coronavirus), sur les stratégies de lutte, sur le confinement et ses conséquences à terme, plus je trouve la controverse, et plus je suis dans l'incertitude. Alors il faut supporter toniquement l'incertitude. L'incertitude contient en elle le danger et aussi l'espoir» Edgar Morin
Mon avis est loin d'être celui d'un expert pour lancer des prophéties. Humblement d'humain et de mortel. La conscience me dit que la prudence et la vigilance sont mère de sureté. Peu importe l'origine de cette saloperie, l'essentiel c'est de faire tout pour s'en prémunir. L'essentiel aussi est de se questionner longuement, en pleine méditation sur l'avenir de cet homme, de son habitacle terrestre et de ses présumées conquêtes.
Une escapade, juste à côté du confinement, une liberté d'une demi-heure accordée par le geôlier et me voilà dans un monde à moitié disparu. Tout me manque, mon café, mes territoires, mes amis, mes indépendances ,la vie, l'infini. Même la politique ne m'émeut pas. Elle n'est nulle part à l'ordre du jour. Je la contemple ému et navré qu'elle n'ait pu agir au moins comme une chloroquine. Tous sont absents, confinés eux aussi. Ils l'étaient bien avant, autrement. Ceux qui nous conçoivent le comment de notre vivre. Ces ministres, ces députés, toute cette armada qui le long d'une ère a régenté le pays sans avoir à l'idée d'étoffer les structures sanitaires et prévoir le moindre risque susceptible de survenir. La gabegie, la leur est déjà dans le mépris qui se dégage à leur encontre par tout un peuple pris en angoisse quand il n'est pas proie à une mort lente et parfois certaine.
Je me suis contenté et de loin, masqué à voir picoter un bout de pain émietté, ces pigeons qui n'ont ni toilettes hydro-alcooliques ni masques, uniquement des gestes barrière que la nature leur à offert instinctivement. Ils savaient se protéger de la menace virale qui fait vibrer les laboratoires et attester l'impuissance des scientifiques. Après ces palabres en monologue pulvérisant mes méninges d'inculte en la chose, je me suis ramassé pour rentrer, rejoindre mon casernement et reprendre mon billet d'écrou et faire souffrir la présente divagation.
Ce confinement obligatoire c'est tout le peuple en évidence qui le demande si comme il aspire ardemment à être en résidence surveillée. Cette situation de mise sous cloche vient nous enseigner de nouveaux modules. Nous avons appris un nouveau langage ; confinement, masque yz, gel hydro-alcoolique, distanciation sociale, mesures de barrière, restez chez vous. Nous avons, à notre bonheur appris de nouvelles manières d'être, de se comporter en hygiène, de veiller à la salubrité, à la désinfection, au savon et au pire bienveillant au vinaigre, à l'eau de javel, aux clous de girofle, aux feuilles d'eucalyptus. Aux infusions de gingembre et autres herbes disqualifiées au profit du doliprane. Pêle-mêle. Tout ce qui se dit, se facebooque, se twitte allant dans le sens d'amoindrir le mal, le déraciner est le bien venu. Contrairement à certains internautes estimant faire dans la primeur d'information s'empressent à la comptabilité macabre. Ils sont prompts à la seconde pour prestement la transmettre comme des pointeurs alertes logés aux portes des morgues. Pourtant en termes de guerre, le moral des troupes ne peut être gagné que par l'espoir dans la victoire, dans la guérison des blessés et en cas de déroute en la conviction d'une tactique inédite.
Pour moi cela dépasse un peu le confinement, on est dans la confination. Le confinage. Une opération d'entraînement, un réchauffement psychique pour s'habituer à un nouvel ordre de mobilité. Je le prenais au début comme un très long weekend. Il ne semble pas finir de si tôt. Moi, l'épris des terrasses de cafés, des envols et des échappées, des débats et des verbiages me voilà en auto-enfermement. Je vois toutes mes libertés otages d'un vaccin, tous mes désirs à la merci d'un quelconque laboratoire. Là, du haut de mon ignorance je constate malheureux, la grande impuissance humaine. La science ? Oui, je l'admire, la vénère. Mais cette lâche ignorance m'interpelle et transperce ma méfiance, ma peur. A quoi a-t-elle servi, cette science jusqu'ici sinon à alléger tantôt le supplice de l'humanité, tantôt à le créer ? Médecine et armes nucléaires, guerres et croix rouge, téléphone cellulaire et violation d'intimité, conquête lunaire et domination des peuples, pétrole et famine, poison et antidote. C'est pour ceci que je préfère la littérature et la poésie, la mer et la campagne.
C'est ainsi que ma pauvre tête de néophyte, parfois de crédule en la matière, tente de comprendre quelque chose de tout ce qui se dit et à profusion sur cette maladie et les moyens de la l'éviter. En dehors des règles d'usage hygiéniques ; les avis, tellement denses, multiples, confus sèment le doute, la crainte et la paranoïa. Ils vous mettent tout de suite dans une pathologie anxiogène. Le pain est-il un potentiel vecteur de virus ? Certains l'affirment mordicus. D'autres préconisent de le réchauffer encore. Alors sur ces plateaux de télévisions, les experts se complaisent dans la contradiction et n'essayent jamais de se compléter. L'avis de l'un est uniquement son propre avis et n'est pas la vérité à opposer à l'autre. Même la rigueur de la science démontre la faiblesse des analyses et leur incomplétude. Et ces médecins en « direct » en vidéo personnelle sur leur téléphone criant au chaos, suppliant l'aide, lançant des alertes quand il ne s'agissait pas de « au secours ! », ont-ils été entendus ? A-t-on fait cas de leurs cris ? Tout hommage à leur égard n'est qu'une reconsidération tardive de leur statut. Et là je me souviens amèrement que Bedoui, ministre de l'intérieur par défaut et premier ministre par accident les a tabassés.
Nous assistons à énormément de dictées quant à une nouvelle façon de vivre. C'est comme l'on s'y prépare. Evidemment l'on sait qu'un certain monde va disparaitre sans les oiseaux qui picotent encore nos restes panifiés. Ce monde qui s'est bâti jusqu'à présent sur un mode de domination tous azimuts. Un nouveau monde va naitre, voire il est déjà en phase de se recomposer. L'on ne sait pas par contre de quoi sera-t-il fait. De quelles priorités sera-t-il stratifié, quelles seront ses nouvelles armes ? Nouveaux défis mondiaux, nouvelles exigences humanitaires avec énormément de métamorphose dans les échanges et les normes régissant les équilibres universels ? La science reprendra-t-elle son piédestal perdu aux dépens d'Hippocrate et au profit du seul profit mercantile et de l'intelligence économique ? N'est-elle plus efficace qu'en innovant dans le tout sécuritaire ? Tiens, au sein de la même réflexion, il me vient à l'idée de creuser un peu dans la notion de cette commission créée au niveau de chaque wilaya pour suivre le développement du covid19. Présidée par le wali, elle est composée des représentants des services de sécurité locaux à l'exception du chef de secteur militaire (?), du procureur général et des présidents d'Assemblée de wilaya et de commune du chef lieu.
Bizarre non ? Pas de Directeur de la santé, pas de Professeurs en médecine ni leurs auxiliaires (pharmaciens, laborantins, industriels paramédicaux...) pas de Protection civile, pas de chercheurs universitaires, juste une commission de sécurité comme elle a toujours existé depuis son instauration. C'est dire que ce virus est certes un danger public, mais pas un simple terroriste, pire un terroriste apolitique et irréligieux et pour le combattre l'on n'a pas besoin d'un arsenal armé, mais d'un savoir scientifique, hyper-médical. Il est clair que l'on peut dire avec dérision hélas que dans cette commission ainsi composée siègent au titre d'élus le FLN, le RND et bien d'autres partis politiques. Bon, la gabegie habituelle continue même sur autre front vital cette-fois ci. Que peuvent-ils apporter de plus ?
Les futures générations auront droit à un monde où la pitié ne sera qu'une légende des siècles derniers, où la générosité qu'une pose de se prendre en selfie. A ce propos, l'on voit avec nausée, ces images où la charité et ces dons de produits ne se font qu'en présence d'une camera, le plus souvent en Smartphone. Des walis, des « chefs d'associations », des « bienfaiteurs » font la course à se faire publier sur leurs pages entrain de violer l'intimité de ceux qui, dans le besoin n'ont rien demandé. Ces diffuseurs de générosité gagneraient à tout faire dans la discrétion et l'humilité. En visite à Blida, le Premier Ministre a demandé à ces gens-là de le faire loin de toute médiatisation. L'on a vu des photos Wallah, frisant le mépris. Mesures de distanciation sociales en vrai, une position de classes sociales. Un wali costumé et masqué en mission de travail, à deux mètres en face, un pauvre en kachabia souriant, en quête de survie.
Je m'enfonce davantage dans mon désarroi de confinement que j'essaie de rendre flexible et positif. Je regarde toujours ces pigeons égrener la mie et la croûte que leur avance sans mérite le captif déconfiné que je suis, venu en promeneur solitaire dans ce lieu isolé. Ma tête persiste encore à bouillonner à cause de ce que m'offre le visionnage de mon portable comme informations, commentaires, bêtises, aveuglement et folie. Et fausse prophétie.
Rassasié de mes irréflexions, je rentre vers mon « restez chez-vous » et me dit en sourdine que le prochain virus sera la famine. Une autre arme cruelle et mortelle. Son spectre s'installe déjà dans un sac de semoule. L'interdiction de toute exportation de denrées alimentaires vient d'être décrétée. La constitution de stock de guerre a commencé.


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