Des professionnels de la santé et de l'éducation nationale réclament des mesures de confinement plus serrées pour contrer l'effrayante propagation du Covid-19. Les autorités politiques réfléchissent à confiner de nombreuses wilayas de 17h à 5h du matin. «Il est possible que le confinement des 32 wilayas commencera bientôt de 17h à 5h du matin», estime Professeur Mustapha Khiati qui ne cache pas son inquiétude à propos de la propagation effrénée du virus. L'on rappelle que lundi dernier, le gouvernement Djerad a décidé d'élargir à partir d'hier pour 15 jours le confinement de 20h à 5h du matin à 3 wilayas en plus des 29 qui en étaient concernées. Il a en parallèle ordonné la fermeture de nombreux commerces à partir de 15h. Les professionnels de la santé pensent qu'il faut plus de restrictions. «Il faut exiger avec rigueur le respect strict des mesures barrières, c'est une question de vie ou de mort», nous disent des médecins. Nos interlocuteurs déplorent cependant «la gestion administrative de la pandémie alors qu'il faut qu'elle le soit avec les moyens médicaux, matériels et techniques adaptés et des personnels à la compétence avérée, de véritables professionnels de la santé», expliquent-ils. Tout autant que nombreux de ses confrères, Prof Khiati dénonce le fait que «les autorités publiques n'ont pas mesuré à temps l'ampleur de la pandémie, pourtant, beaucoup de spécialistes ont attiré leur attention(...)». Pour lui, «il n'est pas normal que l'Institut Pasteur arrive à ne faire que 1300 tests/jour de dépistage par PCR et qu'il ne peut en faire plus en raison de l'insuffisance de réactifs, c'est quand même absurde en ces temps de contamination à grande échelle !» Il note que par exemple «la Jordanie fait 25 000 tests par jour pour 5 millions d'habitants, le Maroc en fait 50 000, l'Algérie devrait arriver à au moins 300 000/jour et c'est encore très peu, on a demandé l'augmentation des moyens réactifs en mars, mais rien n'a été fait». Les 30 centres universitaires de recherche ont, selon lui, «les capacités de faire le test PCR mais n'ont pas de réactifs parce que la réglementation ne leur permet pas d'en importer, la crise est pourtant là, des dérogations ça existe, non !?!». «L'Algérie enregistre au bas mot 3000 cas/jour» Pour l'heure, seul l'Institut Pasteur en a la prérogative «comme c'est le pic, il faut augmenter son budget ou faire des prêts bancaires...», dit-il. Pour rappel, le SNAPEST prévoit aujourd'hui de débrayer pour dénoncer «la mauvaise gestion de la crise sanitaire dans les établissements secondaires». Pr Khiati rappelle que «toutes les stratégies gagnantes sont basées sur deux éléments essentiels, le dépistage par PCR et les enquêtes épidémiologiques». Il interroge «où est la commission et les enquêtes qu'elle devait mener sur le terrain ? On aurait pu éviter cette situation catastrophique et contenir la contamination». Khiati note qu'il a entendu «Prof Belhocine dire qu'il était difficile de faire plier les citoyens à un travail de policiers, ils se referment et refusent de répondre aux questions(...)». Mais, dit-il, «justement il faut savoir parler et mettre les citoyens en confiance, les enquêtes épidémiologiques ont leur technique, il faut que les enquêteurs soient spécialisés en la matière pour pouvoir poser les bonnes questions, Belhocine est un interniste». Il déplore le fait que le choix des compétences médicales pour gérer d'importantes commissions a été mal fait. «La Commission Fourrar ne s'est jamais déplacée, dit-il, dans les écoles pour savoir ce qu'il en est véritablement des mesures de prévention, ils ont confié la mise en œuvre du protocole sanitaire aux inspecteurs pédagogiques alors qu'ils ne sont pas formés pour». Il se demande aussi «sur quelles bases le ministre de la Santé affirme que c'est la 2ème vague, pour le faire il faut qu'il y ait arrêt définitif des cas d'infection et qu'il y ait après une reprise brutale liée à la modification du virus, est-ce le cas ? Peut-il le prouver ?, c'est là toute l'importance des études et des enquêtes». Le bulletin émis par l'Institut national de santé publique (INSP) rapporte, selon lui, que «seulement un tiers de cas infectés est déclaré sur la base des résultats PCR et les deux tiers auxquels on fait passer un scanner ne le sont pas parce qu'ils ne répondent pas aux normes de diagnostic du Covid-19». Au regard de ce tableau, «l'Algérie enregistre au moins au bas mot 3000 cas contaminés/jour, sans compter les asymptomatiques». «Les cancéreux, les diabétiques meurent» Il n'est pas possible, dit-il, que «le ministère de la Santé gère une telle pandémie d'une manière administrative, il doit s'appuyer sur des gens crédibles, il doit être transparent, à ce jour, on ne sait pas pourquoi les gens meurent du Covid-19, il faut le préciser est-ce que c'est parce qu'ils n'ont pas pris le traitement à temps, est-ce que c'est le virus qui a muté(...) ? Le taux est inférieur à 0,4% à l'étranger, pourquoi chez nous il augmente de jour en jour ? Pourquoi n'y a-t-il pas d'études sur le génome du virus ?». Il attire l'attention que «le Centre de recherche en biotechnologie (CRBC) à Constantine a la capacité de le faire mais personne de la santé ne le lui a demandé parce qu'il relève de l'enseignement supérieur». Comme de nombreux spécialistes, Prof Khiati s'insurge contre «la transformation de tous les hôpitaux algériens en unité Covid alors que le nombre de morts par le cancer, le diabète, les problèmes cardiovasculaires sont en augmentation parce qu'ils sont délaissés et renvoyés chez eux, c'est un véritable drame». Il se demande «pourquoi le ministère de la Santé refuse-t-il d'aménager des structures extérieures pour les malades du Covid-19 comme la Safex qui est une structure qui a la configuration qu'il faut pour prendre 4200 lits, ils peuvent l'équiper d'obus d'oxygène, même la restauration peut être assurée(...), de même que les 30.000 résidences universitaires qui existent à travers le territoire national(...), pourquoi s'entêter à saturer les hôpitaux, je trouve scandaleux d'avoir transformé un étage de la chirurgie(CCA) de l'hôpital Mustapha en unité pour les malades Covid et laisser un étage à la chirurgie générale, c'est illogique, ceux qui l'ont fait savent que l'infection par le Covid peut atteindre tous les étages parce que le virus se transmet très vite». Il s'étonne «d'entendre dire que la rentrée universitaire risque de ne pas se faire le 15 décembre prochain après qu'elle ait été reportée plusieurs fois, où sont les investissements pour les plateformes d'enseignement à distance (EAD) qui ont été faits dans les années 90, est-ce normal de se contenter de retarder la rentrée alors que les plateformes numériques devaient être lancées sans problèmes, nous avons aussi proposé au début des années 2000 à l'éducation nationale d'introduire l'apprentissage à distance par laptop (à l'époque les tablettes n'étaient pas arrivées chez nous), mais rien n'est fait à ce jour». «Le déficit sera financé...» Pour Khiati, «il y a beaucoup de cafouillage, les autorités devaient pourtant élaborer la feuille de route de gestion de la pandémie à partir des enseignements des premiers 8 mois, toutes savaient que ça allait flamber en automne». Hier, des ministres ont lancé ce qu'ils appellent «la campagne nationale de désinfection des institutions publiques qui reçoivent beaucoup de monde». Les ministres des PTIC, de l'Environnement et le ministre délégué à l'Environnement saharien ont choisi de le faire à partir d'un bureau de poste. «Les liquidités sont disponibles, nous avons plus de 3 millions de retraités, très vulnérables, ils devraient retirer leur retraite en donnant des procurations ou par moyens électroniques pour éviter le virus», a déclaré Brahim Boumzar. «Les usagers des bureaux de poste le défient de retirer salaire ou retraite sans batailler», nous lance un groupe de jeunes. Les DAB ? «Il ne faut pas en parler parce que soit il n'y a pas d'argent dedans, soit ils sont en panne», disent-ils presque en chœur. Le ministre a aussi déclaré qu'il attend la réponse du ministre du Travail pour avancer la date de versement des pensions du 18 au 15 de chaque mois ceci «pour régler le problème des liquidités». Il doit, disent des banquiers, savoir que «le problème de liquidités est structurel, les dates de versement n'ont rien à voir». L'APN a voté hier la loi de finances 2021 après avoir élagué les 17 amendements proposés. «Le déficit sera financé», a répondu d'une manière évasive le ministre des Finances à la presse. «Les recettes actuelles n'arrivent pas à couvrir les frais de fonctionnement et la masse salariale de la fonction publique, toutes les entreprises souffrent de déficit, les banques risquent la faillite, la Banque d'Algérie reste muette sur les profonds déséquilibres financiers», soutient un PDG d'une banque privée. A ceux qui avancent que le pays pourrait s'appuyer sur l'endettement bilatéral «la Chine par exemple», le banquier répond «ce n'est pas gratuit, c'est pire que le FMI».