LONDRES - Sur la question de l'indépendance des banques centrales, la littérature universitaire est prolixe et les gouverneurs des banques centrales abordent ce sujet à chaque occasion. La plupart des études universitaires et tous les gouverneurs soutiennent qu'un haut degré d'indépendance est lié à une faible inflation et à une stabilité monétaire. Certaines de ces études universitaires remettent en question le lien de cause à effet entre ces notions et se demandent si les pays dont les populations sont très réticentes à l'inflation (l'Allemagne en étant le parfait exemple), sont enclins à favoriser une indépendance solide. Mais une thèse de portée générale bénéficie d'un large soutien : elle consiste à exclure les politiciens du processus de fixation des taux d'intérêt en vue de conduire à une inflation plus faible et plus stable. De nombreux éléments démontrent que par le passé, le cycle électoral a eu une influence sur les décisions de taux d'intérêt, ce qui a entrainé des conséquences néfastes. Mais on a tendance à s'intéresser beaucoup moins à l'indépendance des organes de réglementation financière et, en particulier, aux organismes de contrôle bancaire. Bon nombre de ces derniers font bien sûr partie des banques centrales, mais ce cas de figure est loin d'être une généralité. Environ un tiers des pays dotés de systèmes bancaires représentatifs fonctionnent avec des organes de réglementation situés en dehors de la banque centrale. C'est le cas de la Suède, du Japon et de l'Australie, par exemple. Et dans certains cas, différents régimes d'indépendance s'appliquent à la supervision et à la politique monétaire, même lorsque ces deux fonctions sont chapeautées par la banque centrale. La question du degré d'indépendance des organes de réglementation financière dépasse le simple cadre théorique. L'indépendance en matière de réglementation et de supervision est l'un des principes fondamentaux du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Pourtant, selon le Fonds monétaire international, c'est bien cet organisme qui a le plus faible niveau de conformité parmi tous les pays que le Fonds passe en revue. Le manque d'indépendance apparent des contrôleurs bancaires dans certains pays de la zone euro a été l'une des motivations qui a conduit à la mise en place de l'Union bancaire au sein de l'Union européenne. Il est prouvé que les banques dotées d'une participation politique directe ont été soumises à une supervision indulgente et ont eu des résultats particulièrement mauvais lors de la crise financière mondiale de 2008. Leurs créances irrécouvrables étaient supérieures aux seuils attendus. Plus récemment, la proximité entre les contrôleurs allemands et le ministère des Finances du pays a été montrée du doigt. Après le scandale relatif à la reddition de comptes qui a provoqué l'insolvabilité de la société de traitement des paiements et de services financiers Wirecard, l'Autorité européenne des marchés financiers a souligné « un risque accru d'influence de la part du ministère des Finances compte tenu de la fréquence et du niveau de détail des rapports » dans l'affaire Wirecard. Dans ce contexte, la nouvelle recherche de la Banque d'Angleterre arrive à point nommé pour analyser le lien entre indépendance des autorités de réglementation et stabilité financière. Les auteurs établissent un nouvel indice d'indépendance ayant une certaine ressemblance avec indices utilisés dans le domaine de la politique monétaire, mais comportant des différences dans certains domaines. Le document de la Banque d'Angleterre comprend les procédures de nomination du directeur de l'organe de réglementation : Y a-t-il un degré d'indépendance dans le processus ? Quelle est la durée du mandat de directeur ? Peut-on le révoquer facilement ? Les auteurs prennent également en compte la capacité du contrôleur à imposer des règlements sans l'aval de la classe politique, ainsi qu'à prendre des décisions portant sur le cycle budgétaire. Certains organes peuvent s'auto-financer par leur pouvoir de prélever des droits sur les entreprises réglementées ; d'autres doivent aller jusqu'à quémander leur gouvernement ou leur législature pour obtenir de l'argent, en créant ainsi une possibilité de lobbying politique par les banques en vue de priver le régulateur de fonds. Une fois l'indice établi, les auteurs examinent ensuite si l'indépendance du contrôle est en corrélation directe avec la stabilité financière. Si on la compare à la stabilité monétaire, la stabilité financière est un concept vague. Nous ne connaissons que trop bien les dommages dus à son absence, mais les tentatives en vue de développer des indices de sa présence ont rencontré des difficultés. Un grand nombre d'indices expliquent très bien la dernière crise, mais s'avèrent un peu moins utiles d'un point de vue prospectif. Comme indicateur de la stabilité financière, les auteurs de la Banque d'Angleterre choisissent le niveau des prêts non productifs dans le système bancaire. Ce n'est peut-être pas une mesure parfaite, mais elle a le mérite d'être disponible, sur une base largement comparable, dans divers pays et durant un nombre significatif d'années. La mise en correspondance des deux ensembles de données permet d'établir des conclusions probantes. Il y a eu une augmentation constante de la supervision indépendante au cours des 20 dernières années. Et selon les auteurs, « les réformes qui apportent une plus grande supervision indépendante et réglementaire sont associées à des prêts non performants plus bas dans les bilans des banques [et] dans l'ensemble, nos résultats montrent que l'augmentation de l'indépendance des contrôleurs et des organes de régulation est bénéfique pour la stabilité financière. » En outre, ils fournissent des preuves d'après lesquelles une surveillance plus stricte associée à des superviseurs indépendants n'affecte pas l'efficacité ni la rentabilité du système bancaire. On pourrait raisonnablement s'inquiéter du fait qu'une supervision plus stricte n'impose des contraintes coûteuses, mais cela ne semble pas être le cas. L'efficience bancaire, définie comme le ratio coûts/revenus, tend à s'améliorer lorsque l'on accorde davantage d'indépendance aux superviseurs. Et il n'y a pas d'impact négatif sur les résultats financiers des banques. Alors que lui reproche-t-on exactement ? S'agit-il ici d'un cas d'avantage sans contrepartie ? Pas tout à fait. Il y a un inconvénient, qui peut donner du grain à moudre aux politiciens. La relation entre l'indépendance et le montant des prêts bancaires est négative. En d'autres termes, si les superviseurs indépendants sont plus rigoureux, les banques ont tendance à prêter un peu moins. L'impact de cet effet n'a rien de spectaculaire, mais il est négatif et important. Il est possible que cet effet soit transitoire et qu'il s'estompe à mesure qu'une supervision plus disciplinée s'inscrit dans la durée. En outre, les prêts qui n'ont pas été accordés auraient pu l'être à des entreprises non viables ou à des consommateurs surendettés. Il n'est pas évident que de tels prêts soient particulièrement bénéfiques pour la croissance et la productivité. Dans le domaine public tout au moins, l'Indépendance de la Réglementation et de la Supervision (regulatory and supervisory independence, ou RSI) n'a pas acquis la réputation d'Indépendance de la Banque centrale. Elle n'a pas son propre acronyme d'usage courant, (comme CBI, pour central bank independence). Lorsque l'on évoque l'acronyme RSI (Indépendance de la Réglementation et de la Supervision), on entend en général par-là les lésions attribuables au travail répétitif (ou Repetitive Strain Injury). La recherche de la Banque d'Angleterre apporte sa pierre à l'édifice en vue de changer cet état de fait. *Président de NatWest Group