Ecrire une chronique, un billet, un édito, une contribution ou tout autre article n'est pas aussi gratifiant que peut le penser le commun des lecteurs. Ce n'est pas tant parce que le lecteur se saisit du texte et lui assigne un sens indépendamment de l'auteur comme le théorisait Roland Barthes, mais plutôt à cause de l'inconnu dans lequel est enfoui ledit texte dont on ne sait pas s'il trouvera grâce aux yeux de la rédaction, échappera à la censure après avoir esquivé l'autocensure, verra le jour et sera véritablement adopté par le lecteur ou adapté à la quantité de sardines que le journal n'enrobe plus (mal) heureusement. L'éphémère satisfaction qui suit la publication du papier est inéluctablement suivie par un sentiment de frustration quant au devenir dudit écrit dans lequel l'auteur laisse toujours une partie de lui. Trouvera-t-il l'écho approprié ? Fera-t-il bouger les choses, sensibiliser qui de droit, attrister les cœurs, apporter de la joie et des solutions et titiller le sens commun ? Ecrire n'est véritablement pas une sinécure surtout quand il est fait dans une langue d'emprunt -un butin de guerre- que seul un lectorat se rétrécissant comme une peau de chagrin continue à utiliser, mais aussi parce que les journaux invendus dépassent de loin ceux vendus du fait de la prépondérance des nouvelles technologies, du prix des journaux, mais aussi de leur absence des étals dans la région la plus francophone du pays. La rubrique des lecteurs où se lisait jadis la réaction des lecteurs aura vécu et les réseaux sociaux quand ils existent ne renseignent point et ne renvoient nul signe, ni like, ni commentaire, ni partage. Les ponts entre auteurs et lecteurs sont quasiment inexistants faute de canal de communication, de forum où auteur et lecteur échangent et digressent. La première motivation que l'inspiration engendre butte sur la démotivation que génèrent l'indifférence, l'oubli immédiat et l'incompréhension. La solitude et les frustrations du chroniqueur sont multipliées et celui-ci en arrive à se demander comment vit le billettiste qui est subitement sevré de son billet après tant d'années de communion avec un lectorat qui est toute sa raison d'être. Faut-il continuer à écrire pour dire avec des mots puisés dans le brouhaha du silence les maux qui continuent à ronger la société ou arrêter de se triturer les méninges, se fatiguer les yeux pour brider son ego et cette passion qui se muent en dictat ? Les frustrations du billettiste sont certes fort nombreuses, mais écrire, comme l'écrivait l'auteur britannique Roger Jon Ellory, «peut servir à exorciser la peur et la haine; ça peut être un moyen de surmonter les préjugés et la douleur... Si tu sais écrire, tu as une chance de t'exprimer..., tu peux offrir tes pensées au monde, et même si personne ne les lit ou ne les comprend, elles ne sont plus piégées au fond de toi».