4ème partie Leur petit déjeuner achevé, ils se précipitaient vers le marché à bestiaux situé à la sortie du village et qui était pris d'assaut dés l'aube par les éleveurs et les maquignons venus vendre ou acheter des bêtes. A l'entrée il fallait s'acquitter d'une taxe par animal. L'esplanade composant le marché était divisée en plusieurs parties. Chacune était réservée à une catégorie d'animaux. On pouvait vendre ou acheter ovins, bovins, caprins, équidés, camelins. Chaque bête était entravée d'une manière spécifique à son groupe. Les vendeurs étaient là, debout, attendant et répondant aux questions successives après que l'éventuel acheteur ait vu la dentition, tâté plusieurs fois la bête, bref, fait tout ce que l'observation depuis la nuit des temps a transformé en expérience. Les approches commençaient et c'était d'âpres marchandages qui s'en suivaient au milieu des dromadaires qui blatéraient, des moutons qui bêlaient, des bovins qui meuglaient, des ânes qui braillaient, des chevaux qui hennissaient. Vendeurs, acheteurs, maquignons, bouchers et conducteurs de toutes les bêtes parlaient tous haut et fort. Ils faisaient un brouhaha terrible, ce qui avec les cris divers de toutes les bêtes donnait une aubade spéciale dont les échos parvenaient jusqu'au village dont les habitants n'avaient pourtant pas l'habitude d'être réveillés en douceur. Du marché s'élevait donc ce qui était perçu à distance comme une série de bourdonnements qui emplissaient l'air matinal et parvenaient jusqu'aux maisons. Dès cinq heures du matin, les mères de famille des résidents apprêtaient leurs enfants qui se levaient aussi très tôt pour faire leurs toilettes avec de l'eau froide et se précipiter, à peine sortis d'un sommeil profond mais incomplet, vers l'école coranique de leur quartier. La aussi, le confort n'était pas de mise. Tous les enfants étaient traités de la même manière. Ils s'asseyaient sur une natte d'alfa ,a même le sol frais de l'école coranique, les jambes croisées en tailleur, apprenant a lire et à écrire sur une simple planche. La langue du sacré s'écrivait avec un kalem , simple bout de roseau, taillé et pointu trempé dans une encre artisanale. L'instituteur coranique libérait les enfants qui se précipitaient comme une nuée de moineaux pour aller prendre en vitesse leur frugal petit déjeuner. Après une heure trente matinale de cours d'arabe, ils étaient à 8 heures moins le quart devant l'école communale où on leur enseignait le français. La III République finissante, elle qui était née après la capitulation de Sedan et qui n'allait pouvoir survivre à la défaite de juin 1940, s'était à peine manifestée a Ras El Ma, comme dans d'autres bourgades d'Algérie en créant quelques écoles. Le discours culturel de Jules Ferry aurait été encore prisé d'avantage ,si sa dimension laïque et obligatoire n'avait comme objectif que l'évolution et la promotion des seuls français .elle fut aussi dénaturée par le fait que le même homme s'était accommodé d'une autre casquette, celle là , coloniale, dés lors qu'en sa qualité d'homme d'état, il favorisa l'expansion coloniale française en Tunisie, au Congo et au Tonkin. Il fut un partisan exalté, convaincu et acharné d'une colonisation au grand jour proclamant haut et fort ses désirs dominateurs, exploiteurs. En effet il déclara publiquement à la chambre des députés à Paris en juillet 1870 «La question coloniale dans un pays comme le nôtre dont le caractère même de l'industrie est liée à des exportations considérables est vitale pour la conquête des marchés» Voilà qui était clair : Une colonie = un marché. Encore qu'il s'agissait seulement d'un aspect, les autres étant relatifs à des matières premières abondantes et une main d'œuvre disponible et à très bon marché. Pour quelques écoles quels dégâts ! Mais peut être que justement le lieu des hommes politiques c'est de tenir plusieurs discours même s'ils sont contradictoires. Les algériens mieux que quiconque connaissaient de très prés pour avoir payé un lourd tribut, les conséquences douloureuses de l'ambiguïté du double langage. La révolution française de 1789 qui fut indéniablement l'un des grands moments de l'histoire de France puis de celle de l'Europe, s'est voulue universaliste. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen véhicule un message universel au contenu libérateur, progressiste et opposé à toute forme d'oppression. Dans l'application de ces beaux principes qu'en a-t-il été avec L'Algérie en 1830 c'est-à-dire moins d'un demi siècle après le 14 juillet 1789 ? Données comme raisons déterminantes, les difficultés internes du Roi Charles X n'expliquent pas tout, pas plus que la rivalité traditionnelle franco- anglaise déployée sur plusieurs siècles. En effet la France évincée de ses conquêtes d'Amérique éprouvait un sentiment de frustration, d'envie et plus encore de jalousie par rapport à l'Angleterre qui non seulement a su se maintenir dans ce continent , en Afrique, en Asie et en Australie manifestant ainsi une colonisation d'envergure quasi planétaire. Avant d'entreprendre la colonisation de l'Algérie, la France était en régression par rapport a son élan premier dans la course coloniale, et ce depuis la fin du règne de Napoléon I. Plusieurs raisons furent mises en avant pour la justifier. Pour certains elle constituait le moyen idéal pour éloigner les trublions ,protestataires , agitateurs qui constituaient un ferment dangereux pour le pouvoir au sein des masses misérables et désœuvrées des villes auxquelles on a fait miroiter la possibilité de s'enrichir vite et a bon compte en devenant propriétaire. L'anéantissement de la flotte barbaresque par la conquête d'Alger, son port d'attache, sorte de guerre sainte visant a protéger la Chretiènneté et a libérer les esclaves fut aussi l'une des raisons avancées .Le motif le plus évident avait pour but le vol manifeste du trésor public de la Régence d'Alger et celui de la fortune personnelle du Dey Hussein lesquels sont évalués à près de 7 Milliards d'Euros (valeur actualisée a l'an 2005). Le Maréchal de Bourmont et nombre de ses acolytes furent les artisans principaux de ce que Pierre Péan a qualifié et si bien décrit dans son livre intitulé ( Main basse sur Alger-Enquête sur un pillage- Juillet 1830) Au pillage de valeurs en or et de divers objets précieux s'ajouta ceux de toutes les denrées conservées par la Régence pour les années de mauvaises récoltes et des, unités navales, canons, armes diverses, munitions et tout ce qui avait un prix. Et ce, en quantités extrêmement importantes acheminées vers différents ports de l'autre versant de la Meditérrannée. A suivre