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Le mythe de la reconquête dans le discours d'Eric Zemmour et ses apories
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 13 - 01 - 2022

Zemmour vient de donner pour nom à son mouvement politique Reconquête. Il s'agit bien sûr d'une allusion à peine voilée à la Reconquista ayant eu lieu en Espagne où les royaumes chrétiens du Nord de l'Espagne ont opéré une reconquête pour chasser les musulmans de la péninsule ibérique, ce qui s'est achevé en 1492 avec la chute de l'émirat nasride de Grenade.
Le pape a donné à cette « guerre sainte » le même statut que les croisades. Celles-ci étaient un pèlerinage armé des chrétiens latins pour reprendre aux musulmans et conserver le Saint Sépulcre, censé, selon leurs croyances, abriter le tombeau du Christ, à Jérusalem. Ces croisades ont abouti à la fondation des Etats latins d'Orient ayant duré jusqu'à la prise de Saint jean d'Acre en 1291 par les musulmans.
L'allusion à la reconquête d'Eric Zemmour fait ici référence à la volonté de faire cesser le « grand remplacement », expression de Renaud Camus, liée à des conceptions ethnicistes de la nation exprimant une crainte en France à l'égard de l'immigration extra-européenne. Le « grand remplacement » est en fait une expression empruntée à l'extrême-droite, au moment de l'affaire Dreyfus (1894-1906), qui stigmatisait les Juifs au sein de la nation française. Plus spécifiquement, l'identité de la France dans la rhétorique « zemmourienne » serait menacée par les immigrés musulmans sans cesse plus nombreux représentant un danger pour la paix publique, islam et islam radical étant équivalents dans ce discours populiste qui n'a aucun fondement scientifique.
D'où vient une telle essentialisation des immigrés et des musulmans ? Comment expliquer que Eric Zemmour soit devenu le fils qu'aurait rêvé d'avoir Jean-Marie Le Pen pour lui succéder à la tête de son mouvement ? L'hypothèse la plus probable ne serait-elle pas la blessure narcissique de la perte de l'Algérie française et plus globalement la perte des colonies de la République impériale ? Jean-Marie Le Pen est né en politique au moment de la guerre d'Algérie. Il a fondé différents mouvements pour défendre l'Algérie française. L'extrême-droite se revendiquait déjà de ce mythe de la croisade pour conserver l'Algérie à la France en se revendiquant de la figure de Jeanne d'Arc liée dès le XVe siècle à un imaginaire eschatologique de la guerre sainte comme l'a montré Colette Beaune. En 1957, les traditionalistes catholiques fondaient l'Alliance Jeanne d'Arc, sous le patronage du général Weygand, pour maintenir la souveraineté française en Algérie. En organisant ses rassemblements à Alger, lors de la journée des barricades en janvier 1960, le Front national français défilait en uniforme phalangiste aux pieds de la statue équestre de Jeanne d'Arc brandissant la croix, qui se trouvait à Alger devant la Grande Poste. Oran avait également une telle statue devant la cathédrale du Sacré-cœur, aujourd'hui une bibliothèque municipale. Ces statues ont été transférées en France à l'indépendance.
Ces activistes d'extrême-droite arboraient les symboles de la Reconquista espagnole, le joug et les flèches, emblème d'Isabelle de Castille et de Ferdinand d'Aragon qui avaient achevé de chasser les musulmans d'Espagne, symboles qui ont été repris par la phalange espagnole franquiste, une organisation fasciste dans l'Espagne de Franco, qui avait des admirateurs chez les Européens d'Algérie dont beaucoup étaient originaires de la péninsule ibérique.
Une telle manifestation a sans nul doute marqué Jean-Marie Le Pen qui s'en est souvenu pour créer sa fête de Jeanne d'Arc, le 1er mai, pour rivaliser avec celle du mouvement ouvrier alors que, depuis 1920, la fête officielle de la patrie dédiée à Jeanne dans le calendrier des commémorations officielles françaises est le deuxième dimanche de mai pour célébrer la prise d'Orléans en 1429 qui était occupée par les Anglais. Ce mythe de la croisade se retrouve dans tous les courants d'extrême-droite des royalistes aux adeptes du paganisme comme Dominique Venner. Seul l'ennemi change. La croisade contre le bolchevisme avait surtout leur préférence même si les militants de l'organisation d'extrême- droite Europe-Action, dirigée par Venner, la mâtinait de racisme anti-arabe dans les années 1960. François Duprat qui militait au Front national de Jean-Marie Le Pen dans les années 1970 lui substitue l'idée d'une croisade contre les ennemis intérieurs que seraient les immigrés. Cette thématique est approfondie par le dirigeant du Front National Jean-Pierre Stirbois et les idéologues du club de l'Horloge, ce qui a permis au Front national d'obtenir ses succès électoraux à partir des années 1980. Avec la menace terroriste, à partir des années 2000, les musulmans ont pris le relais des immigrés dans la logique de ce discours d'extrême-droite sans cesse en quête de son ennemi intérieur et de son bouc-émissaire.
C'est sur ce « fond de commerce » dans un contexte de sentiment d'abaissement de la France dans le contexte de la mondialisation et d'angoisse identitaire que surfe le journaliste et aujourd'hui candidat aux présidentielles Eric Zemmour, le tout assaisonné d'une crainte fantasmatique de perte de virilité du mâle blanc associée à une volonté de cantonner les femmes à des fonctions subalternes. Zemmour se met en scène comme l'héritier des chevaliers chrétiens voulant bouter les musulmans hors de France. Grand paradoxe de la part de ce descendant des Juifs d'Algérie qui s'étaient vus retirer leur citoyenneté française par le régime de Vichy, celui même qui faisait une confusion entre le culte de Jeanne d'Arc, sainte de la patrie et celui du maréchal Pétain dont Eric Zemmour a entrepris la réhabilitation. Eric Zemmour a-t-il oublié d'où il vient et qu'il ne sera jamais totalement accepté par cette extrême droite ? L'auteur du « détail de l'histoire », condamné pour contestation de crime contre l'humanité, Jean-Marie Le Pen disait d'ailleurs que si Eric est un ami avec qui il partage beaucoup, il ne le voyait pas comme président mais comme un polémiste tirant ses flèches sur les ennemis intérieurs de la France. Affaire de génération, me rétorquerez-vous. En 2017, Marine Le Pen, qui a beau jeu de se présenter comme le rempart des Français de confession juive contre le terrorisme, déclarait que la France n'était pas responsable de la rafle du Vel d'Hiv en 1942, ce qui est faux comme les recherches historiques sérieuses le montrent…
Le président Chirac a officiellement reconnu la responsabilité de la France pour ce crime en 1995. Il ne s'agit pas de renvoyer Eric Zemmour à sa judéité, lui qui se considère comme un Français de confession juive, obsédé par l'assimilation. C'est son droit. Il n'empêche qu'il est curieux de la part de ce monsieur d'afficher une telle proximité avec l'extrême-droite française qui, depuis l'affaire Dreyfus, n'a pas exprimé un fol amour pour les Juifs de France. Quand j'entends parler Henry de Lesquen, membre fondateur du club de l'horloge d'Eric Zemmour, je me dis que l'extrême-droite française n'a pas rompu avec cette tradition. On ne saurait que conseiller à notre compatriote algérien Eric Zemmour comme l'a si bien dit Kamel Daoud de lire le livre, préfacé par Edwy Plenel, Jeanne, de guerre lasse du philosophe Daniel Bensaïd, dont la famille était originaire d'Oran. Il pourrait alors comprendre que Jeanne, à qui il voue un culte dans son livre le suicide français, n'est pas un lieu de mémoire de l'extrême-droite, mais bien une héroïne féminine universelle de la résistance populaire contre toute forme d'oppression, tout comme Lallah Fatma N'Soumer est la Jeanne des Algériens comme l'a si bien dit Louis Massignon.
Rappelons à Eric Zemmour que lors de la première croisade aboutissant à la prise de Jérusalem en 1099 par les chevaliers chrétiens conduits par Godefroy de Bouillon, des milliers de juifs, de musulmans et de chrétiens d'Orient ont été massacrés indistinctement, qu'après l'achèvement de la Reconquista, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon ont expulsé les Juifs d'Espagne et que la nouvelle Espagne catholique adoptait au XVIe siècle les statuts dits de pureté du sang (limpieza de sangre), d'où l'urgence aujourd'hui de sortir pour cette campagne présidentielle française des usages populistes du passé, des fausses guerres de mémoire et des fausses guerres identitaires pour revenir à l'histoire et célébrer ce qui réunit les Français et leur vaut l'admiration du monde entier, les valeurs de la République française ayant influencé des textes majeurs comme la Déclaration universelle des droits de l'homme. Les Français déçoivent d'autant plus lorsqu'ils n'appliquent pas ces principes fondamentaux, eux qui ont été les premiers à dire que l'homme le plus puissant du monde était l'égal du plus humble. Au nom de ces principes, la France a une tradition d'hospitalité vis-à-vis des étrangers. Ce n'est pas en stigmatisant les immigrés et les musulmans comme le fait le chef de Reconquête que la France pourra renouer avec sa grandeur. L'anti-patrie n'existe pas, nous sommes tous des humains et nous devons tous vivre et lutter ensemble. Le comprenant un peu tardivement, le philosophe espagnol Miguel de Unamuno avait tenté de l'expliquer aux phalangistes espagnols dans son discours de Salamanque en 1936 en pleine guerre civile espagnole.
*Docteur en histoire et agrégé d'histoire géographie. Il vient de publier Histoire de l'Algérie et de ses mémoires des origines au hirak publié chez Karthala.


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