Des foules de gens envahissent le palais présidentiel, nageant dans des piscines, s'endormant sur des fauteuils et des lits luxueux, fouillant dans les étagères des armoires et des bureaux, prenant des selfies sur fond de dorures et de fresques architecturales. Sur leur passage, ils mettent du feu à la résidence du Premier ministre et sèment partout désordre et chaos. Les chaînes de télévision du monde entier ont retransmis en boucle ces scènes de fin de règne pour toute une famille de potentats. Aux dernières nouvelles, le désormais ex-président a fui aux îles Maldives et l'Etat d'urgence a été décrété d'office pour contenir une révolte populaire contagieuse qui tend à se généraliser. C'est le Sri Lanka, un petit bout d'île enfoncée en Asie dont on entendait pourtant bien peu de choses, il y a seulement quelques jours et qui défraie la chronique à l'heure où je noircis ce papier. Pour cause, la corruption a mis à genoux le petit-peuple, condamné à vivre sous la menace permanente de la famine. Pénurie de nourriture, de médicaments, de carburant, coupure d'électricité, l'Etat à court de devises peine à importer les produits de base, etc, tous les ingrédients d'une révolte populaire sont réunies. La banque mondiale a déjà mis en garde il y a quelques mois sur le risque de faillite économique et d'effondrement complet de l'île. Si certains responsables locaux lui ont emboîté le pas sous couvert de l'anonymat, rien ne semble avoir bougé depuis. Le résultat ne s'est pas fait longtemps attendre : faute de devises, cet Etat insulaire au sud-est de l'Inde ne peut plus importer de produits de première nécessité, ce qui a intensifié le risque de disette et de mécontentement. Si la décision brutale du président «déchu» d'interdire du jour au lendemain, l'importation des engrais et des produits chimiques agricoles pour passer à une agriculture bio a précipité la chute du régime, les racines de cette crise sont bien plus profondes. Elles renvoient à une caste décrite par les observateurs de «clanique» et de «quasi mafieuse», fondée sur «un capitalisme de connivence» ayant mené le pays droit vers le gouffre. S'ajoute à cette remarque le fait que le modèle de développement basé sur le tourisme industriel suivi par l'île depuis au moins 2009 s'avère être un total fiasco, d'autant qu'il a dévalorisé le monde paysan et son autonomie alimentaire. Par-delà tous les diagnostics donnés, le Sri Lanka vit un éveil populaire sans précédent, signe d'un Grand Soir populaire ayant mis fin à l'absolutisme et à la corruption des gouvernants. Une leçon politique pour l'avenir.