Cher monsieur, J'ai visionné une vidéo YouTube dans laquelle vous êtes interviewé par Pascal Boniface, à propos de la négritude d'une manière générale et de la question du racisme, affiché dans certaines circonstances, moins manifestes mais néanmoins d'une efficacité terrifiante dans d'autres, le tout mettant en évidence la dyade chromatique : négritude versus blanchitude. Les faits relatés dans cette interview sont non seulement avérés mais en appellent à un sursaut citoyen et fraternel. Les atermoiements dans le domaine du football, qui a retenu tout récemment notre attention et dont on déchiffre à peine, des footballeurs lambda, du sélectionneur, du médecin patenté du club et d'autres protagonistes du drame qui se joue en épilogue sur la scène de l'équipe de France, lequel de ces protagonistes tire la ficelle, et au service de qui, ou plutôt pour quelle fin inavouée ? Cet imbroglio nous a ramenés, bien entendu, à la question du racisme et de ses avatars, soit ses causes lointaines, son redéploiement dans des contextes divers et variés, ici limités au domaine du sport, dont le football détient un statut particulier, car concernant plus de monde que d'autres sports, et dont les enjeux financiers sont importants. Dans ce débat, la question du racisme est au centre des commentaires que l'on peut lire sur les réseaux sociaux. Je voudrais faire remarquer que dans le cas d'espèce de la Coupe du monde Qatar 2022, la question du racisme reste un dossier majeur mais il jouxte la jalousie, le refus du leadership d'un joueur détesté, les vieilles rancœurs qui trouvent leur épilogue dans le prétexte de la sentence des experts médicaux (cas Benzema). En revanche, si le racisme en tant que tel, structure toutes les aberrations signalées ici, il faut en faire un traitement à part, dès lors qu'il présuppose la dyade de la négritude et de la blanchitude comme étant au fondement de la hiérarchisation normative au sein du genre humain (ce qui n'est pas le cas du contraste chromatique entre les animaux : un chien ou un chat qu'il soit blanc ou noir, ne donne lieu à aucune discrimination normative). La négritude, en effet, n'est consubstantielle de hiérarchisation normative en Occident que depuis le désenclavement du monde, à la fin du 15e siècle. En revanche, l'esclavage comme toute servilité intermédiaire n'ont pas été inventés par l'Occident. Il est vrai que nous rencontrons quelquefois des monographies historiques d'auteurs africains arguant de la négritude du Christ. G. Muhlmann a écrit un ouvrage important sur « Le millénarisme en Afrique et le thème de la nativité » dans lequel on découvre une conviction « indigène » manipulée par des prêtres africains selon lesquels Jesus est présenté en personnage noir de peau dans la fête de la nativité. Le même discours d'une négritude inaugurale du monothéisme fait de Moïse un prophète nubien (c'est-a-dire Nord-soudanais) comme l'auraient été les premiers pharaons. Une telle réhabilitation de la négritude, inaugurée par des personnages militants comme N'krumah, ou Aimé Césaire, à contribué à faire revisiter l'histoire antique, non seulement de l'Afrique, mais également de l'hagiologie se rattachant aux fondateurs du monothéisme, à l'instar de Moïse, présenté comme noir africain de la Haute-Egypte. Nous assistons, avec l'ère de la décolonisation des années 60 en Afrique, à un effort philosophique, politique, voire théologique de re-ordonnancement du monde, dans lequel la périphérie se retrouve au Centre et vice-versa. Cependant, cette fougue militante va laisser place aux travaux d'anthropologues et d'historiens africanistes qui rappellent que si le racisme présuppose la dyade chromatique Noir versus Blanc, le phénomène de l'esclavage ainsi de servilités intermédiaires ne sont pas une invention occidentale. La Grèce antique hiérarchisait les personnes non exclusivement en fonction de leur peau, mais essentiellement de leurs statuts fonctionnels (et au passage, professionnels) : ainsi Servus (le serf, voire l'esclave), Ancilla (la servante) étaient ainsi nommés soit pour leur extranéité géographique (les étrangers versus les Métèques), soit pour le statut professionnel : le paysan n'était pas considéré comme un « actif » digne de ce nom. Il était assimilé aux « laborant » (Ceux qui travaillent). Cet adjectif verbal fait partie d'une triade construite par la philosophie aristotélicienne, reprise par Saint Augustin, alors jeune disciple du neo-platonicien Plotin, chez qui la hiérarchie des humains sépare les anges asexués, les prêtres incontinents et les prêtres laïques. À l'orée de la dynastie capétienne (987 J.C) cette triade structurée selon le rapport à la chaire, va être remaniée par deux Evêques, Adalberon de Laon et Gérard de Cambrai : le monde (versus l'Occident chrétien) est désormais composé de Ceux qui prient (prédicant), ceux qui combattent (pugnant) et ceux qui travaillent (laborant). En fait l'infinitif laborare a aujourd'hui le sens de « travailler » ce qui n'est qu'un pâle reflet du sens générique : laborare, au cours du Moyen-âge était associé à «sudare » (« suer » dans le sens de : « tu travailleras à la sueur de ton front »). Par conséquent, travailler durant l'épopée féodale avait une connotation expiatoire. On est loin de la conception aliénante du travail chez Marx, encore moins de celle valorisante aujourd'hui. Ce détour historique tend à montrer que les « servi » (les serfs) qui étaient pour l'essentiel affectés à la glèbe, c'est-à-dire aux travaux des champs dans le fief seigneurial, ne faisaient que payer une dette morale au Christ pour obtenir la rédemption, tandis que les chevaliers défendaient le territoire de la chrétienté, notamment Jérusalem contre les Musulmans qui représentaient le principal antagoniste (bipolaire) au monde Chrétien. Enfin l'Eglise est là pour prier et sauver l'âme des fidèles. Dans cette Troïka, les paysans étaient des « servi », terme qui désigne à la fois les serfs et les esclaves, ce qui est une aberration historique. En effet, en dehors du contexte de l'Occident médiéval, la différence entre serfs et esclaves est notoire en Afrique : en milieu Touareg (Algérie, Mali, Niger, Mauritanie), les esclaves sont nommés. « Iklan » tandis que les serfs ont le nom composé de « iklan-Taousit » que l'on peut traduire par : esclaves servilisés. Dans les oasis occidentales (Sahara ouest-algérien) les serfs sont appelés « Harratin-s ». Mais peu importe la terminologie: les esclaves, qui détenaient ce statut par leurs ascendants, étaient aussi appelés « captifs » ce qui laisse entendre que le statut d'esclave succède à celui de captif et que ce dernier relève du hasard des rapports de prédation qui dominent dans les écosystèmes nomades. Il n'en reste pas moins que ce statut subalterne se cristallise dans le temps, sauf qu'il a connu, en milieu saharo-sahalien, à partir du 16-17e siècle, un destin dans lequel le captif /esclave est vendu par des féodaux africains (comme ce fut le cas des rois du Dahomey) sur le marché de la traite atlantique, après avoir subi le même sort durant la longue période de la traite transsaharienne qui aboutissait dans les capitales du Proche et du Moyen-Orient. En conclusion, le statut d'esclave n'est pas, encore une fois, une invention occidentale mais l'Occident a exploité à son profit ce statut pour lui servir de marchandise vivante aux exploitations caféières sucrières et autres au profit des nouveaux colons des Amériques. L'élément racialiste ou plutôt raciste, articulé à la négritude est, quant à lui, une trouvaille occidentale. J'arrête-là mon exposé car les conséquences coloniales et post coloniales de ce qui précède nous mettent sur les traces des controverses sans fins qui se déroulent sur la toile, et dont l'aventure footbalistique sert d'épiphénomène contemporain (cas M'bapée, Benzema, récemment Zidane etc.) Espérant avoir été utile, je reste disposé à m'entretenir avec vous sur ces questions, qui ne sont pas mon domaine d'études privilégié mais que j'ai rencontré, à mon corps défendant dans mes recherches sahélienne -sahariennes. Bien à vous