«Et la légende court, se répand, s'enjolive» Alphonse. Daudet L'histoire de la Nation algérienne ne peut être résumée aux récits légendaires entretenus et colorés par la pensée maraboutique. Elle remonte à très longtemps et n'a cessé d'évoluer à travers les siècles. Diversifiée, elle présente des sujets revivifiés, particulièrement la période donatiste qui s'était étalée de la fin du deuxième siècle jusqu'au début du sixième siècle de l'ère chrétienne. Robba la berbère donatiste a vécu pendant une partie de cet intervalle de la période de l'Algérie antique (398-434). Les sites historiques et archéologiques de Souabria et de Djebel Robba à Sfisef, dans la région de Sidi Bel-Abbès, Bouhanifia (Aqua sirense) et Benian (A laMiliaria) dans la région de Mascara demeurent les sites témoins de l'activité donatiste dans le sud-ouest de la Maurétanie Césarienne. Les quatre versants du Djebel Robba se distinguent par de gros blocs atteignant jusqu'à 5 m de hauteur, de formes parallélépipédiques, collés les uns aux autres. Sur le versant Est, moins abrupt sont visibles des dalles circulaires délimitées par des grosses pierres de diverses configurations. Des blocs détachés du sommet, garnissent les versants. Des formes particulières des blocs de pierres est née la légende d'origine arabo-islamique, selon laquelle : «Dans un passé très lointain, lors de la célébration d'un mariage, une dame, après que son enfant ait fait ses besoins, lui aurait fait sa toilette avec un gâteau (Msemène). La colère divine s'est abattue sur les fêtards, transformés en pierres, même leurs ustensiles ont accusé le même sort. La dame en question a subi une ascension ». Une légende vide de son contenu historique. Plutôt un «miracle». La même légende avec le même contenu, à une différence près, à savoir le gâteau, est racontée à propos de deux blocs dénommés «sœurs jumelles» dans la région de Tlemcen. Il faut mettre l'accent sur le fait que le nom Robba est d'origine chrétienne. Ce n'est qu'après la disparition vers la fin du VIIè siècle de l'église chrétienne donatiste, persécutée par l'église de St Augustin, vers la fin du VIIè, et probablement l'adhésion de ses adeptes à l'Islam, que le nom de Robba fut introduit dans le lexique des noms arabo-musulmans. Au bas du versant Est du monticule, fut construit le mausolée ( kobba ou hawita) Lalla Robba, pareil à celui des «salihines» qui étaient éparpillés, un peu partout, dans les champs, près des fermes, aux sommets des collines, vergers et vignobles des colons. Une pratique connue des colons pour sécuriser leurs productions qui subissaient des vols. Les indigènes sont restés très attachés à leur culture traditionnelle islamique. A ce propos, Mohamed Arkoun précise : «Le charisme, le surnaturel, le rêve, les récits légendaires, le messianisme sont les fondements de la connaissance et de l'action dans cet islam rural...» -Arkoun M. : «Penser l'Islam Aujourd'hui» -Laphomic/Enal, Alger 1993- p. 217. Dans le même sillage le cheikh Ben-Badis déclare : «l'islam des Confréries (muruq) et des «marabouts» n'est que le résultat d'une longue perversion de l'Islam authentique des fondateurs. Perversion qui a débouché sur une sorte de charlatanisme qui fait évidemment le bonheur du colonialisme en ce qu'il réduit l'islam populaire à des pratiques qui n'ont plus rien d'islamiques.» Ce mythique mausolée abandonné de nos jours, fut construit au pied du versant Est du Djebel Robba, juste après l'indépendance avec de la glaise et de la pierre des champs. Il était visité par les femmes enceintes qui souhaitaient une progéniture féminine. Des prières sont dites en glorifiant «Lalla Robba» qui semble-t-il avait subi une «ascension». Une bougie est allumée est déposée dans le mausolée. Si de cette visite est née une fille, elle est prénommée Robba. Ainsi, la vigilance est autorisée, dès lors qu'un récit légendaire, surtout lorsque les raisons n'ont rien d'historique, est lié au phénomène du «maraboutisme». Aussi, il faut admettre que la sacralisation d'un lieu avec une visée maraboutique peut avoir des conséquences tant sur la vérité historique que sur les mentalités locales. Dans cette optique, Adelmajid Hannoum professeur d'anthropologie au Bard College (Etat de New-York) écrit : «Le récit historique se construit, nous semble-t-il, en dehors de l'historien. C'est la communauté qui, en quelque sorte, est censée énoncer un discours historique, orienté vers un but et souvent une idéologie, c'est-à-dire se construisant comme une mythologie.» - Historographie et légende au Maghreb - La Kahina ou la production d'une mémoire-Annales, Histoire, Sciences Sociales - N°03-1999-P.67 Le titre de noblesse Lalla attribué à Robba par les autochtones au début du dernier siècle , dans le seul but de l'immortaliser de «Walia Saliha» en lui attribuant une «légende», et la construction d'un mausolée de fortune, n'a plus sa raison d'être du fait que Robba était une religieuse de foi chrétienne , adepte du mouvement donatiste... Aussi le maraboutisme instauré après la conquête arabe en Afrique du Nord avait comme mission d'effacer l'histoire millénaire du Christianisme en Numidie. La légende est une expression orale, d'ordre moral, dans le seul but de contourner la vérité historique. Elle s'oriente vers le mythe.Enfin, l'histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s'incarne. La mythique Lalla Robba, à laquelle on a fait subir une légendaire ascension, fut introduite dans le culte des «saints» des marabouts, qui répond aux doléances des visiteurs. Il demeurait un des piliers fondamentaux de la croyance populaire. Il faut reconnaitre que grâce à ce mausolée de fortune de la «sainte» Lalla Robba, abandonné de nos jours, le nom de Robba fut perpétué pendant une bonne période post-indépendance dans la région de Sfisef. Cette forme de maraboutisme, instaurée en Algérie, après la conquête arabe est bien résumée par le Dr Habib Ghezali (Tradition populaire et culture ancestrale, Revue Annales du patrimoine, Université de Mostaganem, N° 07, 2007, pp. 47 - 56. http://annales. univ-mosta.dz): « De nos jours, et parallèlement à l'Islam, se pratique au Maghreb un maraboutisme autour duquel se tisse un réseau complexe de croyances et de rites hérités de la nuit des temps. En vérité, c'est la symbiose entre ces croyances populaires et cette religion musulmane qui définit l'Islam maghrébin. Chez les Maghrébins, on retrouve l'expression de cette forme archaïque de la nostalgie des origines et ce désir irrésistible de vivre continuellement le temps primordial.» Il faut avouer que la légende de Lalla Robba la «musulmane», est une pure création du maraboutisme instrumentalisé par les colonisations Ottomane et Européennes. Djebel Robba ne peut s'inscrire que dans l'histoire et l'archéologie de l'antique Algérie, particulièrement la période chrétienne. (*)Chirurgien-Dentiste-Auteur-romancier, librepenseur-Librechercheur en histoire antique. Du même auteur : 1. Ouvrages : -De Robba à l'arbre de fer, j'écris mon nom- Roman historique-Editions Edilivre Paris 2013. -Les coquelicots du printemps 37-Roman historique-Edilivre-2016 -La grappe rouge-Roman historique-Dar el quods-2017 -Robba la berbère donatiste-Roman historique-Casbah Editions-2023- 2. Citations universelles :-«La culture d'un peuple, dans ses traditions et ses pensées, demeure éternelle au fil des générations». «En éducation, l'exclusion en littérature est un signe précurseur de l'obscurantisme, et si ce dernier envahit l'école, la nation perd ses repères.»