Qui n'a pas entendu cette phrase et ne l'entend toujours pas : «Ma fille va épouser un garçon de bonne famille» et inversement pour la future épouse ? Même si cette phrase semble être anodine et de bonne intention, soit une simple expression du bonheur que l'élu(e) du cœur, soit d'une bonne éducation, elle est pour le moins maladroite et pour le pire terriblement choquante. Elle représente souvent l'une des plus grandes plaies de l'approche humaine depuis des siècles, soit le déterminisme social. Cela voudrait dire qu'une personne n'est pas respectée et complimentée pour ce qu'elle est, mais par la famille de laquelle elle est membre. L'individu serait, selon cette affirmation, prisonnier de son origine et de son appartenance au groupe. Il ne pourrait s'en défaire quels que soient son mérite, ses capacités et la vertu de ses actes. Il ne serait rien en lui-même, mais le reflet d'une multitude dont il n'a ni la responsabilité ni les moyens et le droit de la changer à la simple raison que son avenir serait lié au groupe familial. Et, bien entendu, dans l'expression «de bonne famille» résonne une arrière-pensée détestable : «Il est riche de la fortune de ses parents». Au mieux, on n'ose que la suggestion par pudeur feinte, au pire, aucune retenue à le clamer à qui veut l'entendre. Car pour eux, un mariage avec une «bonne famille» signifie la garantie de la respectabilité et/ou de l'aisance financière. Que devient l'adage de raison et de sagesse : «On choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille» ? Certes, le code civil prévoit trois exceptions de bon sens : «on est responsable des enfants, des objets et des animaux dont on a la charge». Personne n'aurait osé rajouter qu'on est responsable des actes ou de la condition sociale d'une famille et, d'une manière générale, concevoir qu'on est responsable pour autrui. Et faut-il encore penser que la condition sociale financière soit une honte. Faisant écho aux grands humanistes du siècle des Lumières, les révolutionnaires ont rédigé la «Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen», pas la déclaration des droits des familles. S'il existe un «Droit de la famille», on ne peut concevoir le «Droit des familles». Le droit de la famille concerne les relations intrafamiliales comme la parentalité, le mariage, le divorce ou encore l'héritage. Il ne faut jamais oublier que l'objectif est de définir un droit des personnes, pris individuellement, dans une relation contractuelle avec d'autres personnes. Le grand Emile Zola, une référence dans la lutte des classes sociales, a rédigé la saga des Rougon-Macquart, une étude sur le déterminisme social à travers deux familles. La branche des Rougon et celle des Macquart, l'une ayant un destin de réussite financière, l'autre celui du malheur et de la condition ouvrière. Il n'adhère pas à l'idée du déterminisme social, il le constate et l'étudie pour mieux le combattre. On peut relever également que la fin du dix-neuvième siècle fut le début du grand projet d'éducation scolaire massive. Même si on érige trop rapidement ce début en mythe alors que la réalité fut moins flamboyante pour ce qui concerne les égalités des chances, l'avancée de l'idée républicaine d'un enseignement pour tous a fait son chemin. Et c'est justement cette instruction plus massive qui combat l'idée d'un homme responsable des actions des autres, à fortiori de sa famille. L'humanisme et l'éducation ont forgé un homme libre qui ne peut ni trouver excuse par la condition familiale ni la subir. L'expression «De bonne famille» est un reniement à l'avancée des droits de l'Homme et de la civilisation. Combien de malheureux et de malheureuses a produit cette idée condamnable ? L'être humain est respectable et responsable par lui-même, quelle que soit la condition sociale de sa famille. Il est d'une bonne éducation ou non, d'une bonne instruction ou non, mais il est lui-même et en assume pleinement les conséquences favorables ou néfastes.