Livres DE GLACE ET DE FEU. Roman de Suzanne el Kenz. Editions Barzakh, Alger 2023, 177 pages, 900 dinars. Hind Ghalayani est une arabe de Palestine... désormais, réfugiée (exilée !) en Europe, elle s'appelle Mathilde Le Been. Un époux, des enfants, une vie en apparence tranquille. Patatras, elle est malade d'un cancer, ce qui, physiquement, la transforme totalement. Lui, c'est un certain Lamour, célibataire endurci et solitaire... qui tombe éperdument amoureux de Mathilde qui n'arrive pas à comprendre cet attachement alors que son corps est en pleine dégradation. La première, mourante, fait le point sur sa vie, sur son identité édulcorée, ses origines tout en rêvant de s'évader «vers les glaciers». Le second, épris du mystère entourant cette femme, fasciné par son altérité, essaie de la consoler avec des poèmes et des cadeaux. Un amour impossible... même pas un dialogue serein... tant il est vrai que chacun vit son «monde». Lamour finira en asile... et Hind s'éloignera des «glaciers» et se «plongera» dans les eux chaudes de son bain en se remémorant celles de la mer morte, celles de son pays. Comme pour son cancer avec une greffe de la moelle osseuse qui n'a pas pris, l'exil a échoué... et elle s'est très vite retrouvée rattrapée par ses origines. Avec les senteurs du thym et de l'huile d'olive, c'est toute la Palestine qui se love dans la peau et dans la tête, qui ressurgit bien que parfois niée... mais plus présente que jamais. L'Auteure : Née en 1958 à Ghaza (Palestine), Suzanne (el Farah) el Kenz a vécu dans de nombreux pays (Algérie, Egypte, Arabie saoudite, Tunisie...). Installée en France à partir de 1996 en compagnie de son époux Ali el Kenz, le sociologue. Enseignante (Professeur de langue arabe, à Nantes). Plusieurs romans à son actif dont «La Maison du Néguev» (Apic, 2009) qui a reçu le prix Yambo-Ouologuem en 2010. Sa version arabe parue aux éditions Almutawasit en 2017, a reçu le prix Ibn Battûta du meilleur roman de voyage. Extraits : «Quelle triste réalité que celle qui vous poussait à postuler qu'un ouvrier n'est pas censé lire des poèmes ?» (p 55), «Le temps est immobile et mon corps est privé de tout repère, il est à la merci de tous les mouvements de ma pensée. Mon présent est intemporel. Il n'y a qu'incertitude à mes frontières et la nécessité des limites est hors de ma portée» (p73), «D'ailleurs, pensait-il, pourquoi vouloir être fort, le plus fort ? Qui nous a inculqué cet ordre, pourquoi ne pas être faible, pourquoi ne pas accepter l'échec, le regarder avec indifférence, au fond qu'est-ce que la réussite, qu'est-ce que l'échec ? N'avait-il pas lu dans un bon livre, du temps où il lisait que les Amérindiens aimaient jouer mais que, dans leurs jeux, il n'y avait ni gagnant ni perdant ?» (p 82), «Bonnes gens, ne vous fiez pas à la clémence de Dieu. Elle est réversible. On ne savait jamais comment faire avec ce dieu -là, il changeait constamment d'avis, il pouvait refuser votre prière ou l'accepter, que vous soyez bon ou mauvais n'était pas son critère ; le tout-Puissant. Il vous mettait à l'épreuve, vous faisait croire que vous aviez votre libre arbitre, et en même temps, il décidait pour vous» (p123) Avis : Un texte assez sombre et une écriture fantasque et indocile... Et, un véritable hymne à la vie, avec ses cris de détresse et de rêverie. Citations : «Ah mon pays, ce petit pays à densité dramatique, vous dirais-je le nom ? Ou faudra-t-il que je le taise ? Ce pays de Terre sainte, autant sainte que ceinte» (p14), «Pas de lieu, pas de société ; racines multiples équivalaient à néant d'appartenance, elle avait dû l'inventer : la France juste pour elle !» (p 63), «La routine tue et elle fait vivre aussi» (p121), «Quand on vient du pays des prophètes, on passe sa vie dans l'expectative» (p123) LA MAISON DU NEGUEV. Une histoire palestinienne. Un recueil de souvenirs de Suzanne El Farrah El Kenz. Apic Editions, Alger 2009, 159 pages, 400 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel seulement. Fiche complète in www.almanach-dz.com/relations internationales/bibliotheque dalmanach) Née à Ghaza, dix années après la naqba. Et, puis, ce fut l'itinéraire habituel des exils forcés, exils ou fuites acceptés par certains, rejetés par d'autres, exilés ou fuyards obligés de (re-) partir juste au moment où l'on croyait (enfin) pouvoir se reposer, le bonheur retrouvé, et entamer une nouvelle vie. L'Egypte, l'Arabie Saoudite, l'Algérie, la Tunisie, la France avec le secret espoir de se fixer définitivement quelque part auprès de l'homme aimé (lui aussi, un moment traqué et obligé de fuir les barbares) et les enfants encore qu'au fond de soi demeure cette flamme, petite certes mais toujours là, portant la chaleur du pays perdu. C'est là en fait tout le drame de l'auteure. Elle est obsédée par sa Ghaza. Ghaza «palpite en elle et elle ne l'a jamais quittée» (...) Plusieurs années après, elle veut revoir sa Ghaza, sa maison familiale en emmenant (entraînant ?) cette fois-ci, avec elle, son encore jeune garçon. Un pèlerinage douloureux d'autant que l' occupation israélienne a fait tache d'huile et a bloqué toutes les issues, balayant presque tous les passés (...) La maison familiale est devenue une synagogue, et elle ne peut même plus y entrer. Qu'offrir donc à son fils, un Algérien qui ressent mais ne comprend pas encore ce que sa mère veut lui transmettre comme passé (un «legs empoisonné» ?) (...) L'Auteure : Voir plus haut Avis : Un livre superbement écrit. Avec le cœur. Avec les tripes. Avec les larmes au fond des yeux. Un livre qui se lit avec facilité. Qui vous fera aimer encore plus la Palestine. Qui vous fera mieux comprendre la douleur des Palestiniens, première et deuxième générations de l'exil. Un livre douloureux, mais beau ! A lire absssssolument. Phrase à méditer : «Je l'ai abandonnée (la Palestine) à son sort et elle m'a rendu le mien».