Il est 8 heures passé, ce vendredi 12 août 2011. Outre la journée ''sainte', chômée et payée, l'atmosphère ramadhanesque impose, la torpeur matinale qui enveloppe encore la localité distante de quelques cinq minutes de la ville de Mostaganem. Les issues et les rues donnant sur le souk sont nettement moins encombrées que d'habitude. Les vagues de visiteurs qui s'y déversent sont moins compactes. Qui accompagnant son père, qui accompagné de son frère ainé, ou d'un camarade de classe ou simple voisin, l'importante proportion d'enfants et d'adolescents est remarquable parmi la déferlante humaine à destination du souk. Parmi la foule de visiteurs, il y a une majorité de gens qui viennent pour un achat précis, celui de quelques effets vestimentaires ou de provisions en l'occurrence. Il y a également celui qui espère se débarrasser d'un objet quelconque, celui qui vient commercer, sinon voler ou juste ''tuer'' le temps. Certains se contentent d'y déambuler et d'autres espèrent y dénicher la belle affaire. La masse agglutinée et la promiscuité étouffante en certains endroits, font du marché le repaire de prédilection des pickpockets qui n'hésitent pas à venir de 50 km à la ronde. Des énergumènes qui redoublent de virulence en ce mois sacré. Le souk a modifié certains de ses traits, mais sans perdre de sa vitalité ni de sa fonction sociale, s'adaptant à la conjoncture ''ramadhanesque''. Marché de la débrouille par excellence, il offre à nombre d'oisifs l'aubaine et l'opportunité d'y trouver leurs comptes. Les occupations sont aussi diverses que légales ou délictuelles. A Mesra, comme partout ailleurs, le chèque bancaire n'a pas cours. Nous sommes dans la logique du cash ! Quasi-exclusivement, le paiement s'effectue en espèces et au comptant, notamment dans les activités à faible marge bénéficiaire. Rien d'étonnant, donc, à ce que l'absence de facture constitue la règle générale dans les transactions. Jeûne ou pas, les meutes d'énergumènes s'adonnant au ''kmar'', ce maugréé jeu de hasard de la ''jaune qui gagne'', sont également là. Ils semblent extrêmement virulents à cause des passants qui ne veulent pas s'intéresser à leur manège. Opérant en une ou deux hardes ''volantes'', et traînant dans leur giron, une poignée d'acolytes rabatteurs de parieurs potentiels, ils se placent en porte-à-faux de l'interminable procession qui progresse en 3 ou 4 rangées contiguës et désordonnées, parfois mêlées. Et à quiconque s'intéresse de près à l'attroupement improvisé, ils font miroiter le gain d'une mise de plusieurs centaines de dinars, sinon d'un téléphone portable. ''En marche et en très bon état !'', assure-t-on au parieur-complice qui vient d'investir le cercle, en apposant sa main sur la bonne carte gagnante. Vous pouvez toujours tenter votre chance, mais, comme vous n'êtes pas un ''camarade'', jamais, vous ne pouvez être aussi habile que le rabatteur pour décrocher la mise. Encore faut-il louer Dieu si vous n'y êtes pas ''déplumé'' avec une dextérité et un doigté incroyables !Au rayon de l'habillement, la friperie ne suscite pas l'engouement !''Choisissez ! Choisissez ! Habille-toi ! Ô pauvre indigent ! Tu ne trouveras jamais moins cher ! Le pantalon à 50 dinars ! La chemise à 100 dinars ! Approchez ! Approchez ! Profitez-en ! C'est barato !'' Ainsi, s'égosillait-on, à tue-tête, du côté de l'aile des fripiers. Presque vainement, à dire vrai, du moment que les prétendants ne s'y bousculaient point. Une attitude curieuse, et parfaitement anachronique, eu égard à la cohorte de mendiants occasionnels qui se mettent en évidence durant le mois sacré, et aux longs états des indigents postulant, réclamant et attendant l'aide de l'Etat, sous différentes formes. ''Etes-vous malade ? Qui oserait s'habiller d'effets usés le jour de l'Aïd ? Au-delà de la fête, sinon pour les utiliser comme vêtements de travail, oui on achète les fripes ! Mais pour l'Aïd, absolument pas !'', nous explique un vieil homme ''coincé'' devant un étal de fripier par le flot interminable de visiteurs qui déambulaient à travers le souk. Effectivement, sans grande conviction d'acheter, au gré du flux et reflux de la procession, quelques passagers d'un certain âge, apparemment attirés par les tarifs franchement dérisoires clamés et qui osent marquer une brève halte pour vérifier de quoi il s'agit. Les jeunes et adolescents, bien que nombreux parmi la foule, ne s'y attardent même pas. Un branle- bas qui contraste nettement avec ''l'inondation'' humaine des stands de l'habillement neuf. En s'endettant, en gageant quelques bijoux de sa femme, ou après avoir vendu l'ovin qu'on élevait justement en prévision de l'éventuelle échéance cruciale, on se décide pour les ultimes grosses dépenses. La course contre la montre a donc commencé. Ainsi, fouille-t-on et farfouille-t-on. On ''ausculte'' la coupe. On demande et redemande le prix. On remet l'habit à son enfant pour l'essayer. On se concerte avec ce dernier à propos d'effets qu'on voudrait acheter pour les autres membres de la famille. On rôde. On tournoie. On s'imprègne des prix. On critique le modèle présenté pour le dessein évident de le déprécier et se l'offrir moins cher. On s'assure s'il y a possibilité d'échanger le produit la semaine prochaine, et au cas où il ne siéra pas à l'enfant ou la femme pour lesquels il est acheté. On négocie, on se lamente et on marchande âprement. La course aux achats s'explique, selon certains, par l'éventail du choix de modèles, de tailles, couleurs, et pointures, qui se réduit au fur et à mesure que la fête approche. Aussi, aucun stand spécialisé dans le prêt-à-porter, la chaussure, l'article pour enfant ou pour bébé, n'échappe à l'assaut et au ratissage. Pour les parents, notamment ceux en charge de familles nombreuses, il va falloir plonger profondément la main dans les poches pour assouvir les besoins et envies, parfois folles, des enfants.