Le projet de loi sur l'information que Nacer Mehal, ministre de la communication, qualifie de moderne, trace des lignes rouges que les professionnels des médias ne doivent pas dépasser. Cela est précisé dès l'article 2 de ce texte. Ainsi, et avant d'exercer son métier, le journaliste doit se plier devant « les exigences de la sûreté de l'Etat et de la défense nationale », « les valeurs culturelles et spirituelles de la nation », « le secret de l'instruction judiciaire », « les juridictions et les décisions de justice », « la sauvegarde de l'ordre public », « les impératifs de la politique étrangères du pays » , « les intérêts économiques du pays »… En tout, treize "grosses" conditions écrites noir sur blanc a rapporté TSA dans son édition d'hier. Mais ce n'est pas tout. Dans l'article 80, des obstacles limitant l'accès à l'information sont clairement dressés devant les journalistes. Voilà ce que stipule cet article : « Le droit d'accès aux sources d'information est reconnu aux journalistes professionnels excepté lorsque l'information concerne le secret de défense nationale tel que défini par la législation en vigueur, l'information porte atteinte à la sûreté de l'Etat et/ou à la souveraineté nationale de façon manifeste, l'information porte sur le secret de l'enquête et de l'instruction judiciaire, l'information concerne le secret économique stratégique, l'information est de nature à porter atteinte à la politique étrangère et aux intérêts économiques du pays ». Autrement dit, à suivre cette logique, TSA – ou tout autre média – n'a plus le droit d'avoir des informations, par exemple, sur la conduite de la politique extérieure du pays ou sur la conclusion de gros contrats dans les secteurs des travaux publics ou de l'énergie. L'administration ou les entreprises peuvent invoquer cette disposition pour empêcher le public algérien d'être informé sur des dossiers pourtant stratégiques, car engageant d'importantes sommes d'argent. De plus, les notions de « secret défense », « sûreté d'Etat », « secret de l'enquête », « secret économique stratégique », utilisées dans le texte demeurent vague et ambiguës. Elles sont sujettes à des interprétations qui peuvent être erronées ou utilisées comme prétextes pour interdire aux médias d'engager des investigations. Considérer la diplomatie et l'économie comme domaine relevant du « sacré » est déjà une grave atteinte à la liberté d'expression.
Le mot "s'interdire" utilisé 12 fois dans le texte Pire : le projet de loi sur l'information est porteur dans son chapitre II d'une « charte » d'éthique et de déontologie. Pas moins de 17 points sont portés dans l'article 89 du projet. Le gouvernement s'est même autorisé à inventer de nouvelles règles, oubliant que le journaliste a des droits et des devoirs. Selon cette disposition, le journaliste « doit », entre autres : « s'interdire de porter atteinte à la souveraineté et l'unité nationales », « s'interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l'Etat », « s'interdire toute atteinte à l'histoire nationale », « s'interdire l'apologie du colonialisme », « s'interdire de diffuser ou de publier des propos et des images amoraux ou choquants pour la sensibilité du citoyen », « s'interdire de porter atteinte aux intérêts économiques et diplomatiques de la Nation », « s'interdire de mettre en danger des personnes », « s'interdire tout acte de nature à porter atteinte de manière directe ou indirecte à la vie privée des personnalités publiques »…. Le mot « s'interdire » est utilisé douze fois ! En fait, ce type de charte de déontologie et d'éthique journalistique ne devrait pas exister. La raison en est simple : le gouvernement n'a pas le droit de fixer "la déontologie" et "l'éthique" à la place des professionnels. Cela est valable autant pour les journalistes que pour les avocats ou les médecins. Au mépris des règles universelles en la matière, le gouvernement algérien s'est permis donc de décider de la déontologie de la presse à la place des professionnels. Rien que pour cela, les parlementaires doivent retirer sans aucune discussion cette disposition contraire à tous les principes reconnus jusque là.
Les journalistes, gardiens de l'Histoire officielle ? Le plus curieux est que dans cet article, il est interdit, par exemple, aux professionnels des médias de « porter atteinte à l'Histoire ». Cela renforce l'idée, déjà largement partagée, qu'en Algérie, il existe bel et bien une "Histoire officielle", celle notamment de la guerre de libération nationale. Sinon, de quoi a t on peur ? Sous prétexte de « protéger » la vie privée, le législateur a également introduit une autre barrière. Il indique dans l'article 90 que "la violation de la vie privée, de l'honneur et de la considération des personnes est interdite. La violation directe ou indirecte de la vie privée des personnalités publiques est également interdite ». Il ne donne aucune précision à « la violation indirecte » de la vie privée. Comme il ne mentionne pas clairement la nature de « la personnalité publique ». C'est simple : faire une enquête sur l'implication d'un fils de ministre dans un trafic de drogue peut facilement être assimilé à « une violation indirecte » de la vie privée « d'une personnalité publique ». Cette disposition ouvre la voie à l'arbitraire.Par ailleurs, l'Autorité de régulation de la presse écrite a presque des pouvoirs de police. Cette Autorité, dont l'indépendance n'est pas garantie par la loi, a le droit de contrôler les comptes des entreprises de presse, doit être informée sur l'identité des reporters ou commentateurs qui signent sous un pseudonyme, vérifie le contenu et l'objectif des messages publicitaires… L'article 27 stipule en effet que « les publications périodiques doivent publier annuellement le bilan comptable certifié de l'exercice écoulé. Faute de quoi, l'autorité de régulation de la presse écrite peut signifier la suspension de la parution ». Donc, il ne suffira plus d'informer l'administration fiscale ou le Centre du registre du commerce sur les bilans des entreprises de presse mais il faudra également communiquer les résultats à l'Autorité de régulation qui, du coup, aurait tout l'air d'une autorité de contrôle et de surveillance !