Le Président de la République, en présentant la mouture de la nouvelle constitution a promis au peuple algérien de moraliser la société, de lutter contre la corruption et de réhabiliter la Cour des comptes. Du fait des ajustements sociaux douloureux à venir, avec la chute du cours des hydrocarbures de longue durée, dont le Brent a été coté le 12 janvier 2016 à 31,19 dollars et le WIT à 30, 56 dollars, une baisse d'un dollar en moyenne annuelle occasionnant une perte de 600 millions de dollars pour l'Algérie. Le prix de cession du gaz ne connait aucune amélioration, les USA pénétrant dès 2017 le marché européen, le Qatar se proposant même de livrer à l'Inde selon des infirmations mondiales le gaz à 6/7 dollars le MBTU dès 01 janvier 2016(la moitié du prix algérien) sans compter l'entrée en force de l'Iran. Cela impliquera un discours de vérité et un peu plus de moralité des dirigeants au plus haut niveau pour un sacrifice partagée afin d'éviter le divorce Etat/citoyens. Je ne saurai trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de droit, avec l'implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socio- économique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités 1.-La cour des comptes est déjà prévue dans l'ancienne constitution. Institution supérieure du contrôle à posteriori des finances de l'Etat (article 2), institution à compétence administrative et juridictionnelle (article 3), la Cour des comptes assiste le gouvernement et les deux chambres législatives (APN-Sénat) dans l'exécution des lois de finances, pouvant être saisie par le président de la République, le chef du gouvernement (actuellement le Premier ministre) ou tout président de groupe parlementaire pour étudier des dossiers d'importance nationale. La question centrale est d'avoir une institution indépendante à l'instar de l'urgence de l'indépendance de la justice. Dans tous les pays du monde où existe un Etat de droit, la Cour des comptes est une institution hautement stratégique. En 2014, elle était composée de 100 magistrats financiers ne pouvant pas contrôler environ 17.000 entités (administration et entreprises publiques), notant qu'uniquement le contrôle de Sonatrach nécessiterait 200 magistrats financiers. Ayant eu l'occasion de visiter ces structures au niveau international et de diriger en Algérie par le passé (pendant la présidence du feu docteur Amir ex-secrétaire général de la présidence de la république), trois importants audits sur l'efficacité des programmes de construction de logements et d'infrastructures de l'époque, sur les surestaries au niveau des ports et les programmes de développement des wilayas, en relations avec le ministère de l'Intérieur, et celui de l'habitat assisté de tous les walis de l'époque, je ne saurai donc trop insister sur son importance en évitant, comme par le passé, qu'elle ne soit pas instrumentalisée à des fins politiques. Le nombre par la qualité et non la quantité est certes important car actuellement étant dans l'impossibilité d'avoir un contrôle objectif et exhaustif du fait de la faiblesse du nombre des magistrats. Mais cela n'est pas une condition suffisante pour avoir un contrôle efficace, lui même lié aux contrepoids politiques en fait à la démocratisation de la société. Il faut uniformiser l'action des institutions de contrôle tant politiques que techniques pour avoir une efficacité globale et ce sans verser dans les règlements de comptes, posant d'ailleurs d'une manière objective le problème de la dépénalisation des actes de gestion si l'on ne veut pas bloquer l'initiative des managers qui parfois doivent prendre des décisions au temps réel. Les différents scandales à répétitions notamment depuis l'affaire du PNDA (programme agricole), Khalifa, à Sonatrach en passant par la route Est-Ouest, mais qui touchent la majorité des secteurs, repris par la majorité des médias nationaux et internationaux, discréditent l'image de l'Algérie au niveau international et démobilisent les citoyens au niveau interne. La prolifération d'institutions de contrôle, diviser pour mieux régner comme dit l'adage, est inefficace sans un Etat de droit, la démocratisation de la société, sans délimitation des responsabilités et coordination entre ces institutions supposant une vision stratégique d'ensemble. Aussi, la problématique posée de l'efficacité de la Cour des comptes dont j'ai été magistrat (premier conseiller et directeur central des études économiques entre 1980/1983 du temps de feu Dr Amir) ayant démissionné fin 2003 de mon plein gré, et d'une manière générale, toutes les institutions de contrôle, y compris celles des services de sécurité est fonction d'une gouvernance globale rénovée. Par ailleurs, si l'on veut lutter contre les surfacturations, les transferts illégaux de capitaux, rendre le contrôle plus efficient, il y a urgence de revoir le système d'information qui s'est totalement écroulé, posant la problématique d'ailleurs de la transparence des comptes, y compris dans une grande société comme Sonatrach. Ayant eu à diriger un audit financier avec une importante équipe avec l'ensemble des cadres de Sonatrach et d'experts, sur cette société, il nous a été impossible de cerner avec exactitude la structure des coûts de Hassi R'mel et Hassi Messaoud tant du baril du pétrole que le MBTU du gaz arrivé aux ports, la consolidation et les comptes de transfert de Sonatrach faussant la visibilité. Sans une information interne fiable, tout contrôle externe est difficile et dans ce cas la mission de la Cour des comptes serait biaisée. Dans les administrations, disons que c'est presque impossible, du fait que leurs méthodes de gestion relèvent de méthodes du début des années 1960 ignorant les principes élémentaires de la rationalisation des choix budgétaires. Dans son rapport rendu public dont la presse algérienne s'est fait l'écho le 7 novembre 2012 le rapport de la Cour des comptes met en relief la mauvaise gestion des deniers publics et le manque de transparence. 2.- Certes, l'on a prévu de renforcer les prérogatives de la Cour des Comptes dans l'avant projet de la nouvelle constitution. Mais cela n'est pas une question de lois ou de textes juridiques mais la volonté politique de luter contre la corruption et la mauvaise gestion. Les textes existent mais existent un divorce avec la pratique. Dans ce contexte, rappelons qu'en moins de 30 ans, les textes régissant le fonctionnement de la Cour des comptes, dépendante de la présidence de la République et prévue dans la Constitution (JO-RADP n° 76 du 8 décembre 1996 modifiée par la loi n° 02-03 du 10 avril 2002 JORADP n° 25 du 14 avril 2002, la loi n°08-19 du 15 novembre 2008 JORADP n° 63 du 16 novembre 2008) et le Conseil des ministres en date du 25 août 2010, qui a approuvé une ordonnance élargissant et renforçant les missions de la Cour des comptes, modifiant et complétant l'ordonnance n° 95-20 du 17 juillet 1995. L'ordonnance 2010 élargit les missions de la Cour des comptes quant au renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. «La Cour des comptes exerce un contrôle sur la gestion des sociétés, entreprises et organismes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l'Etat, les collectivités locales, les établissements, les entreprises ou autres organismes publics détiennent, conjointement ou séparément, une participation majoritaire au capital ou un pouvoir prépondérant de décision». Ainsi, la Cour des comptes s'assurera de l'existence, de la pertinence et de l'effectivité des mécanismes et procédures de contrôle et d'audit interne, chargés de garantir la régularité de la gestion des ressources, la protection du patrimoine et des intérêts de l'entreprise, ainsi que la traçabilité des opérations financières, comptables et patrimoniales réalisées. Un autre article de l'ordonnance en question, en l'occurrence le 27 bis, stipule que «si la Cour des comptes relève des faits de nature à justifier une action disciplinaire à l'encontre d'un responsable ou d'un agent d'un organisme public soumis à son contrôle, par référence au statut de ce dernier, elle signale ces faits à l'autorité ayant pouvoir disciplinaire à l'encontre du responsable ou de l'agent concerné. L'ordonnance prévoit le pouvoir de consultation de la Cour des comptes dans l'élaboration des avant-projets annuels de loi de règlement budgétaire et cette révision confère au président de la République l'attribution de saisir la Cour des comptes pour tout dossier d'importance nationale dont, en premier lieu, le renforcement de la prévention et de la lutte contre les diverses formes de fraude, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. En second lieu, il est question du renforcement de «l'efficacité du contrôle de la Cour des comptes à travers l'obligation faite aux responsables des collectivités et organismes qu'elle contrôle de communiquer ses conclusions aux organes délibérant dans un délai maximal de deux mois, tout en tenant informée la Cour des comptes des suites réservées». La Cour des comptes devrait travailler en étroite collaboration avec l'Office central chargé de la prévention et de la répression de la corruption. L'accent a été mis sur la modernisation de cet outil permettant de mieux contrôler l'économie nationale afin de lutter efficacement contre toute forme de détournement et atteinte aux deniers publics et au patrimoine national. 3.- Se pose cette question : les procédures de la Cour des comptes en Algérie répondent-elles aux normes internationales ? Dans un rapport publié en octobre 2013 par l'UE, les pairs encouragent la Cour des comptes algérienne à résoudre certains problèmes identifiés lors de la revue, notamment, la longueur des procédures et des délais relatifs à certaines prises de décision ; la couverture limitée des contrôles ; le manque de standardisation des méthodes de travail ; la non publication et la diffusion restreinte des rapports de la Cour. La loi algérienne oblige la Cour des Comptes à un rapport annuel dont en principe les conclusions doivent être publiques, mais tout dépend de la volonté politique de réhabiliter les prérogatives de cette Institution stratégique loin de toutes pressions, renvoyant à l'instauration d'un Etat de Droit, l'Algérie s'est engagée à respecter les normes internationales et a signé plusieurs conventions de lutte contre la corruption qui existe de par le monde mais qui prend en Algérie des proportions alarmantes menaçant la sécurité nationale. Et pourtant les procédures de contrôle et d'investigation sont inspirées des normes internationales, notamment celles élaborées par l'Intosai dont l'apurement des comptes des comptables publics est un acte juridictionnel portant sur l'exactitude matérielle des opérations de recettes et de dépenses portées au compte du comptable public ainsi que leur conformité avec les lois et règlements en vigueur, la reddition des comptes, tout comptable public est tenu de déposer son compte de gestion au greffe de la Cour des comptes en conservant les pièces justificatives qu'il doit mettre à la disposition de l'institution. Les ordonnateurs des organismes publics sont également tenus de déposer leurs comptes administratifs dans les mêmes formes, le contrôle de la discipline budgétaire et financière s'assure du respect des règles de discipline budgétaire et financière et prononce des amendes à l'encontre des responsables ou agents des institutions, établissements ou organismes publics ayant commis une faute ou irrégularité préjudiciable au Trésor public ou à un organisme public. Selon les normes internationales, qui devraient s'appliquer en Algérie, le contrôle de la qualité de gestion a pour finalité d'apprécier les conditions d'utilisation et de gestion des fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat, les établissements et organismes publics et enfin l'évaluation des projets, programmes et politiques publiques, la Cour des comptes participant à l'évaluation, au plan économique et financier, de l'efficacité des actions, plans, programmes et mesures initiées par les pouvoirs publics en vue de la réalisation d'objectifs d'intérêt national et engagés directement ou indirectement par les institutions de l'Etat ou des organismes publics soumis à son contrôle. 4.-Mais il s'agit de poser les véritables problèmes, pour une application efficace sur le terrain. Au moment où entre 2016/2020 les ajustements économiques et sociaux seront douloureux avec la chute des recettes des hydrocarbures, supposant un sacrifice partagé, cela pose la problématique de la moralisation de la vie politique et économique de toute la société algérienne réhabilitant le travail et l'intelligence, sans laquelle aucun développement à terme ne peut se réaliser. Concernant les responsabilités, il y a lieu de tenir compte que l'Algérie est toujours en transition depuis 1986 ni économie de marché, ni économie planifiée. C'est cette interminable transition qui explique les difficultés de régulation, posant d'ailleurs la problématique de la responsabilité du manager de l'entreprise publique en cas d'interférences ministérielles donc du politique où la loi sur l'autonomie des entreprises publiques de 1990 n'a jamais été appliquée. Dans ce cas, la responsabilité n'est-elle pas collective et renvoie au blocage systémique, les managers prenant de moins en moins d'initiatives ? Or, la Cour des comptes, qui doit éviter cette vision répressive mais être un garde-fou, une autorité morale par des contrôles réguliers et des propositions peut jouer son rôle de lutte contre la mauvaise gestion et la corruption qui touchent tant les entreprises que les services collectifs et administrations et donc éviter ce classement déplorable de l'Algérie entre 2004/2015 au niveau des institutions internationales. Mais je ne saurai trop insister que le contrôle efficace doit avant tout se fonder sur un Etat de Droit, avec l'implication des citoyens à travers la société civile, une véritable opposition sur le plan politique, une véritable indépendance de la justice, tout cela accompagné par une cohérence et visibilité dans la démarche de la politique socio-économique, un renouveau de la gouvernance au niveau global afin de délimiter clairement les responsabilités et pour plus de moralité des dirigeants aux plus hauts niveaux afin de faciliter la symbiose Etat/citoyens. L'Algérie a deux choix : faire des efforts pour réformer ses institutions, l'économie vers plus de libertés, de démocratie de transparence et réhabiliter les vertus du travail ou régresser en optant pour le statu quo économique et politique, d'où l'urgence de s'adapter, au mieux des intérêts de l'Algérie, comme le font les pays émergents, au nouveau monde. Et pour cela, nous revenons toujours à la morale, surtout la moralité des responsables qui doivent donner l'exemple s'ils veulent mobiliser leur population. Un phénomène déjà analysé avec minutie par le grand sociologue maghrébin Ibn Khaldoun, dès le XIVe siècle, dans la Muqaddima, qui a montré que l'immoralité des dirigeants, avec comme impact la corruption gangrenant toute la société et un effet final la décadence. Espérons pour l'Algérie un sursaut national(1). (1) Interview du Pr Abderrahmane Mebtoul à la radio algérienne chaine III sur les aspects économiques de la révision de la constitution diffusion 23/01/2016 à 12h50 NB- Pr Abderrahmane Mebtoul est docteur d'Etat en sciences économiques (1974) - expert-comptable de l'Institut supérieur de gestion de Lille (France) Professeur des Universités, Expert International en management stratégique ; magistrat premier conseiller et directeur général des études économiques à la Cour des comptes (1980/1983. Il a dirigé les audits sur les surestaries et les surcoûts au niveau BTPH en relation avec le Ministère de l'intérieur, les 31 Walis et le Ministère de l'habitat de l'époque