Le cimetière de Diar el hana que l'on appelait communément cimetière Benaicha ou 3ami Benaicha mais pas Sidi Benaicha par analogie à sidi Maazouz ou sidi Benhaoua. Parce que Benaicha, c'était le gardien affecté par la municipalité et qui demeurait dans la maison à l'entrée du cimetière. Nous, on habitait juste à côté de cette porte d'entrée. Moi, j'étais jeune à ce moment-là, mais j'étais assez mûr pour mon âge, d'ailleurs sans me jeter des fleurs, j'étais le plus dégourdi du quartier, tous les voisins se partageaient mes services. Comme toutes les familles algériennes qui habitaient les quartiers européens ont quitté leurs maisons et sont descendues à Tigditt chez des parents fuyant ainsi la terreur et la politique de la terre brulée de l'OAS. Les rejetons des pieds noirs qui étaient tous armés et tiraient sur tout ce qui pouvait ressembler à un algérien. Ne trouvant plus personne sur qui essayer leurs armes, ils se sont rabattus sur les clochards, les mendiants et les malades mentaux. Ils abattaient ces pauvres gens mais comme ceux-ci n'avaient personne pour réclamer leurs corps restaient là étendus sur le sol pendant des jours jusqu'à ce que l'armée française les ramène aux quartiers arabes. Quand cela se passait aux abords des frontières entre français et algériens, il y avait tout le temps quelques intrépides qui se risquaient à aller chercher ces corps inertes. Mais pour les autres, après 2 ou 3 jours la décomposition du corps est déjà commencée et l'odeur qui s'en dégage est insupportable. Et c'est justement ces cadavres qui sont acheminés vers une tente de fortune dressée à une cinquantaine de mètres de l'entrée du cimetière en attente de recevoir une digne sépulture. Et pour cette besogne il y avait un voisin et ami à mon père, un certain Si Abdelkader dont j'ai oublié le Nom qui s'occupait des hommes et quand il y avait un cadavre de femme, on faisait appel à une vieille dame qu'on appelait Khalti Khedidja. Moi, il y avait comme une voix qui me disait, il faut que tu ailles aider 3ami 3akader. Je suis allé proposer mes services à ce brave Monsieur qui m'a chargé de la logistique. J'allais ‘'taper'' aux portes de toutes les maisons pour essayer de récupérer des draps blancs pour les linceuls, des ‘'Mlahfa'' pas de Haïk, parce que les ‘'Haïk'' (voiles) contenaient des fils de nylon, je récupérais également du parfum, du henné en feuilles et je demandais aux femmes de passer le mot aux autres femmes. A cette époque-là, il n'y avait ni masques comme maintenant ni aucun autre moyen pour se protéger et quand je ramenais tous ces accessoires, à 20 mètres de la tente je me protégeais le nez avec un mouchoir que j'imbibais de parfum, mais l'odeur était insupportable, elle était nauséabonde, elle était si intense qu'elle vous pénètre dans les narines pour aller s'incruster jusqu'au fond de vos sinus. Elle était tellement persistante qu'elle vous poursuit partout. Vous ne pouvez pas rester plus de 5 minutes sans avoir envie de vomir vos tripes, de vomir tout votre corps pour vous débarrasser de cette odeur. C'est une odeur qui vous suit partout où vous allez et pendant un bon moment. Même quand vous êtes chez vous à la maison vous ne sentez que cette odeur. Certains jours, il y avait tellement de cadavres qui arrivaient, il fallait que je donne un coup de main à 3ami 3akader dans sa besogne, mais j'étais si jeune que c'était pour moi une horreur, déjà juste le fait de toucher un mort à mon âge c'était insupportable. Et surtout quand vous voyez ces corps qui ont gonflé et doublé de volume virant au bleu vert, qui sont pour la plupart, dans des positions insolites et qu'il est très difficile de redresser pour les enterrer. Mais comme on n'était pas beaucoup nombreux pour cette tâche il fallait s'en acquitter à tous prix. Mais quand vous voyez 3ami 3akader en prendre soin sans rien dire sans rien réclamer à personne, vous vous posez la question si cette personne est un humain comme nous tous ou c'est un ange qui a était envoyé par la providence pour aider ces pauvres gens à avoir une sépulture descente. Les trois résumés successifs de la période de l'OAS à Mostaganem, ne traitent absolument pas tous les événements qui se sont déroulés pendant ces 2 années, loin de moi toute prétention. C'est juste un exposé succinct à travers le vécu et la mémoire du petit garçon que j'étais à ce moment-là, c'est juste une petite lumière que j'apporte à la connaissance des gens pour que le passé ne s'oublie pas.