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La vie et l'amour au temps des pestiférés
Deux rescapés du massacre de la Carrière Romaine (Skikda)
Publié dans El Watan le 20 - 08 - 2014

Voici l'histoire incroyable de deux enfants, deux cousins, Arjouna et Lyazid, qui vivront ensemble les massacres de la mechta de Zef-Zef (Carrière Romaine) à Skikda, un certain 20 août 1955.
Ils survireront pour être forcés à l'exode à travers les maquis où, plus d'un mois durant, ils traîneront leurs peurs sur leurs frêles corps. Ils verront les leurs immergés de sang et la mechta de leur enfance carrément détruite. Lyazid enterrera de ses propres mains d'enfant les restes calcinés de cet oncle qu'il aimait tant. Arjouna, elle, assistera en direct à la mort, sous un figuier, d'une vieille aveugle qu'elle appelait «Djedda» (grand-mère). Ces deux enfants ne se sont jamais quittés depuis. Aujourd'hui, Arjouna Bouzabra et Yazid Bouzabra sont mari et femme et ont même eu beaucoup d'enfants et de petits-enfants. Ils acceptent, ici, de revenir sur l'horreur.
Le 20 août 1955, Arjouna avait tout juste 10 ans. Lyazid, lui, en avait 11. Ils habitaient le mechta de Zef-Zef, à moins de 5 km au sud-ouest de Skikda. Ici vivaient plusieurs familles qui se partageaient presque toutes les mêmes penchants nationalistes. Il faut dire que le PPA/MTLD était une grande école à Skikda, l'ancienne Philippeville. Dans cette banlieue vivaient plusieurs familles : Bouzebra, Allal, Chebli, Lebdioui, Boughazi, Karrout, Bouchtata, Bouguendoura, Blam, Beddaï et peut-être d'autres encore. En l'espace de 48h seulement, toutes ces familles vont presque disparaître.
Zef-Zef, la Mechta maudite
Bouzabra Lyazid se souvient de tout. En acceptant de témoigner, en compagnie de sa femme, il savait certainement qu'il allait raviver beaucoup de douleurs. Il s'efforcera, à plusieurs reprises, de retenir ses larmes en cachant, d'un geste de la main, ses yeux presque humectés. «Quelques jours avant le 20 août, notre mechta était devenue un grand centre de rassemblement des moudjahidine. Ils étaient concentrés près de Kassar.
Le samedi 20 août, à midi presque, on les a vus ressortir des maquis de cette région pour emprunter la route, en pente, qui longe la clôture du cimetière Zef-Zef, et de là ils sont partis en direction de la ville. Samedi à 15h, un convoi militaire a été dépêché à Zef-Zef. Arrivés juste à l'entrée du cimetière, les militaires ont essuyé des tirs nourris. Ils ont appelé du renfort. L'accrochage durera plus d'une heure alors que l'avion ‘‘El Mouchara'' (La moucharde) survolait les lieux. Les moudjahidine se sont repliés. Les militaires français se sont alors introduits dans notre mechta et ont commencé à tirer sur tout homme qu'ils voyaient.»
Les militaires s'emparent de Zef-Zef et dressent leur souricière. Ils crient vengeance. La folie meurtrière est enclenchée. Elle sera brutale, inhumaine et lâche. Lyazid poursuit : «Ils ont tué mon oncle maternel qui rentrait du travail. Ils l'ont brûlé devant nos yeux.» Arjouna prend le relais : «Le vieux Allal a été tué devant le regard de ses proches. Le voyant mort, les femmes ont commencé à pleurer et à crier. Les soldats français ont alors tiré dans le tas tuant 15 femmes. Seules deux fillettes ont survécu. Elles ont passé toute la nuit à côté de la dépouille de leur mère sur un sol ensanglanté. Elles sont encore vivantes et peuvent en témoigner.»
Dimanche 21 Août… la folie soldatesque !
Dimanche, l'information circule vite : «Fuyez, fuyez, l'armée va venir et tuer tous ceux qu'elle retrouvera dans cette mechta…Fuyez !» C'est la panique. Les femmes, les vieilles et les enfants ne savent pas où aller. Il fallait quitter ces lieux devenus maudits. Fuir le plus loin et le plus tôt possible. La France coloniale est passée désormais à l'étape supérieure de la sauvagerie. «Carte blanche était donnée non seulement aux cadres mais aux troupes. Jusqu'au 26 août, les vies des femmes et des enfants n'étaient pas prises en compte. Aucune limite n'était imposée aux opérations punitives. Ces ordres écrits sont de véritables incitations au massacre», note Claire Mauss-Copeaux dans son livre Algérie, 20 Août 1955 Zef-Zef va en faire les frais.
Arjouna parle : «Dimanche, les militaires sont revenus. Ils ont rassemblé tout le monde devant la fontaine publique, sur l'actuel emplacement de la mosquée. Ils ont visé et tiré. La mère de ma grand-mère, Karrout Mbarka, une vieille aveugle était avec la famille Boughazi cachée sous des figuiers. La pauvre vieille qui dépasse les 90 ans ne pouvait même pas se déplacer. Les militaires sont venus et l'ont froidement abattue avec la femme de Boughazi et ses quatre enfants, deux filles et deux garçons.»
Lyazid et sa femme évoquent, avec douleur, la liquidation de 20 membres de leur famille. «Notre famille a été décimée», raconte Arjouna en tentant un flash-back pénible : «J'ai perdu cinq frères, ma tante et ses trois enfants, la seconde femme de mon père qui était enceinte, la mère de ma grand-mère, un autre Bouzabra avec sa femme et ses deux enfants. Lyazid, mon mari, a perdu lui aussi sa mère, sa sœur avec ses trois enfants…».
Ce que Lyazid et sa femme racontent, d'autres journalistes non soumis au diktat colonial l'avaient déjà écrit. Le journal Le Monde publie, le 24 août 1955, un article signé par Georges Penchenier au sujet de la tuerie de Zef-Zef. En voici un passage : «A la mechta Carrière Romaine (Zef-Zef, ndlr), une cinquantaine de vieillards, de femmes et d'enfants ont été tués, à défaut des mâles qui s'étaient enfuis la nuit précédente. Et je ne connais pas de spectacle plus tragique que celui que j'ai vécu après le départ des commandos en circulant entre les murs calcinés, salué par les hurlements plaintifs des chiens enchaînés, seuls survivants du massacre».
Un autre journaliste, Robert Lambotte, envoyé spécial de L'Humanité, a également rédigé un article poignant, ce qui lui vaudra une expulsion d'Algérie ainsi que la saisie du numéro de L'Humanité devant paraître le 24 août 1955. En voici un passage : «Je suis monté à quelques kilomètres de la ville, dans les collines où se trouvent les mechtas algériennes. A peine avions-nous commencé de monter qu'une odeur à faire vomir nous a saisis.
De partout le vent amenait l'odeur des cadavres en décomposition. Nous avions vu aussi autre chose : en plein soleil, des taches noires qu'on ne pouvait identifier. C'était une famille entière, le père, la mère, deux enfante allongés sur la même ligne, tombés à la renverse, affreusement déchiquetés par les balles. A quelques mètres de là, une femme, encore à demi-vêtue, un homme face contre terre et, entre les deux cadavres, celui d'une fillette d'une douzaine d'années.
Elle est tombée sur un genou, en pleine course. Elle est presque nue, ses vêtements ont brûlé sur elle, entamant la chair. Maintenant, au fur et à mesure que les regards se portent sur les ruines, ils rencontrent des hommes, des femmes, des enfants, figés dans d'atroces positions. En tas. Isolés. Les ruelles sont pleines de cadavres. Combien sont-ils ? On ne peut faire un décompte exact... Quelques animaux sont restés parmi les ruines... Dans le ciel, d'autres animaux : des charognards au vol lourd tournoient sans discontinuer. Nous les avons dérangés. Cette mechta se trouve à quatre kilomètres de Philippeville, près des carrières romaines».
Le retour des pestiférés
Arjouna et Lyazid sont parmi les rares rescapés de cette tuerie. Ils racontent les circonstance de leur survie. «Ma grand-mère était la marraine de toute la famille, précise Arjouna. Elle nous a rassemblés et on s'est sauvé, avec ma mère et mes oncles maternels. On a marché toute la nuit pour arriver enfin à Béni Kbouche (un hameau situé à plus de 16 km de Zef-Zef, ndlr). On y a passé la nuit mais le lendemain et après avoir eu vent de notre malheur, nos hôtes nous ont signifié qu'il leur était impossible d'accueillir des habitants de Zef-Zef.
C'est vrai que ces jours-là personne ne voulait de nous. On a dormi dans une écurie, et le lendemain on a de nouveau repris la route vers El Khanka. Là, on a rencontré un certain Salah Touhami qui nous hébergés durant tout un mois dans un endroit isolé et impénétrable. Un mois après, mon oncle Karrout Ahmed est venu nous demander de revenir à Zef-Zef. On a alors refait le chemin du retour par bus qui nous a déposés à El Hadaïak. On a par la suite traversé Kassar, et dès que nous nous sommes rapprochés de Zef-Zef, on a vite commencé à sentir l'odeur insupportable de la mort. C'était incroyable.
Quand on est parvenu à notre mechta, on n'a retrouvé que des mouches, des poules et plein de chiens. Zef-Zef n'existait plus. Toutes les demeures avaient été détruites, brûlées ou saccagées. Même nos maigres biens constitués de matelas, de couverture ou de robes et qu'on avait cachés dans les maquis avoisinants avant notre fuite avaient disparu.» Et Lyazid ? «Ana, kasti kassa (Moi, mon histoire est toute une histoire)», commence Lyazid Bouzabra .
«Moi et deux de mes frères, on doit la vie à Lebdioui Rabah qui allait s'enfuir avec sa famille. Il nous a pris avec lui. On est allés au hameau El Kodia, mais la famille qui devait nous offrir le gîte a refusé de nous accueillir. On a alors été recueillis par les moudjahidine qui nous ont emmenés à Béni Kbouche chez Bouchtata Rjem qui s'est occupé de nous. Un mois après, on est revenus à la mechta. Je ne peux pas vous décrire ce que j'ai vu. L'odeur des corps en décomposition était insupportable.
Les morts de notre mechta n'ont pas été enterrés ! Les militaires français ont juste ramené des bulls de l'école d'agriculture pour couvrir de terre les dépouilles. Les maisons étaient en ruine. Je me suis alors souvenu de mon oncle maternel Bouzabra Ahmed, que les militaires avaient brûlé. J'ai accouru vers ce qui restait de son gourbi et j'ai retrouvé son corps calciné. Il n'en restait que les ossements. J'ai alors pris ses restes et je les ai enterrés.»
«j'ai enfin rencontré mon père»
Arjouna est restée seule après la mort de sa grand-mère. Il ne lui restait que son père Bouzabra El Fodil, dit Mostfa. Elle ne l'a plus vu depuis le 20 août 1955. Il faut dire qu'étant un ancien du PPA, Mostfa avait rejoint le maquis aux premières heures de la Révolution. Après le 20 août, il était aux côtés de Si Mohaemd Ataïlia, à Ouechtata, dans la wilaya de Guelma. Ce n'est qu'à l'indépendance qu'il reviendra à Skikda pour découvrir qu'il ne lui restait que sa petite-fille Arjouna et Lyazid son neveu.
Arjouna raconte les retrouvailles : «Il ne savait pas que j'étais encore vivante. Il était invité par des membres de la famille à la cité Zarabata près d'El Kobbia, où il apprit qu'il lui restait une fille. Il a demandé à me voir. Je l'ai enfin vu et touché. Il pleurait chaudement. Je pleurais aussi.» Arjouna épousera par la suite Lyazid, son compagnon de toujours. Elle vit dans un deux-pièces laissé par son père.
«A l'indépendance, mon père habitait une maison au centre-ville, mais on est venu le déloger. C'est Brahim Chibout qui est intervenu pour qu'on lui attribue ce deux-pièces où nous survivons encore, mon mari et moi et nos enfants», conclut Arjouna. Comme quoi, Skikda a toujours eu la mémoire très courte.


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