Dès le début de l'invasion, les autorités coloniales œuvraient à l'effacement de la langue arabe en Algérie au profit de la langue française. Lors de son passage à Alger, en 1895, le poète égyptien Ahmed Shawqi, s'étonnait de l'usage très étendu de la langue française ; "je me suis aperçu que même le cireur de chaussure dédaignait de parler arabe. Quand je lui adressais la parole dans cette langue il ne me répondait qu'en français". C'est dire que quelques années après l'occupation la langue française a réussi à s'implanter en Algérie. Nous verrons dans cet article quelle attitude, les algériens ont opté vis-à-vis de la langue de Molière et dans quel but ils ont décidé de la maîtriser. 1 - Les débuts de la langue française en Algérie : Les autorités coloniales œuvraient, depuis le début de l'invasion, à l'effacement de la langue arabe au profit de la langue française conformément à l'adage "telle est la langue du roi, telle est celle du pays". Lors de son passage à Alger, en 1895, le poète égyptien Ahmed Chawqi, s'étonnait de l'usage très étendu de la langue française ; "je me suis aperçu que (même) le cireur de chaussures (...) dédaignait de parler arabe. Quand je lui adressais la parole dans cette langue il ne me répondait qu'en français". C'est dire que quelques années après l'occupation la langue française a réussi à s'implanter en Algérie. Nous verrons plus tard quelle attitude, les algériens ont opté vis-à-vis de la langue française et dans quel but ils ont décidé de la maîtriser. A présent, essayons de comprendre comment le français a été instauré et enseigné par les autorités coloniales en Algérie. Bien entendu, il ne s'agit pas de retracer l'histoire de l'école coloniale, pas plus que l'histoire de la mise en place de cette école. Il s'agit plutôt d'examiner les rapports entre les objectifs politiques de la colonisation et les principes pédagogiques. L'objectif est d'étudier l'impact de l'idéologie dominante sur l'enseignement et de voir si cet impact n'est pas également discernable au niveau du choix des outils pédagogiques. L'enseignement d'une langue implique en effet un certain nombre d'exigences. 2 - Pourquoi fallait-il imposer le français aux algériens ? L'année 1893 est la date de la première parution du BEIA qui constitue un lien entre tous les enseignants. Il est à signaler que l'enseignement pour les indigènes a suscité un grand et long débat entre partisans de l'instruction de l'indigène et ceux qui ne l'étaient pas, comme en témoignent les archives et les textes publiés dans le BEIA. Ainsi, par exemple, on peut y lire : "Nous ne voulons faire ni des fonctionnaires, ni des ouvriers d'arts, mais nous croyons que l'indigène sans instruction est un instrument déplorable de production". Ajoutons que la colonisation a tout intérêt à voir le fellah devenir meilleur cultivateur. "N'est-ce pas l'indigène qui fournit abondamment au colon une main d'œuvre à bon marché et indispensable, mais malheureusement inhabile". Les partisans de cet enseignement insistent sur le fait que la langue française est aussi "civilisatrice". C'est par elle, selon eux, que les populations indigènes accèdent peu à peu à la "civilisation". Cependant, d'autres refusaient l'enseignement du français aux indigènes car, selon eux, la langue française est la langue de la liberté et de l'égalité : "Supposer les populations de nos colonies ayant enfin appris le français et par le canal de notre langue, (...) toutes les idées françaises. Qu'est-ce donc que ces idées ? N'est-ce pas que l'homme doit être libre, que les individus sont égaux entre eux, qu'il n'y a pas de gouvernement légitime en dehors de la volonté de la majorité, que les nationalités ont un droit imprescriptible à l'existence ? N'est-ce pas là ce qu'est l'originalité et l'honneur des idées dont notre langue est le véhicule ? (...) La langue française, en la leur révélant, bien loin de nous en faire aimer, comme on l'imagine un peu candidement, leur fournira les plus fortes raisons de nous haïr (...) Notre langue n'est pas un instrument à mettre entre les mains de populations que l'on veut gouverner sans leur consentement"(5). 3 - L'arabe et le français durant la période coloniale : Conscients de l'enjeu, les Algériens ont, durant toute la durée de l'occupation, résisté à la colonisation culturelle et ainsi ont su jalousement sauvegarder par différentes méthodes leurs us et coutumes et par extension la langue arabe. Ainsi on peut lire dans le magazine "El Nadjah" (La Réussite) du 5 décembre 1930 "l'abandon de sa langue par un peuple équivaut au suicide". Le regain de l'arabité de l'Algérie est en grande partie l'œuvre de l'association des ulémas, fondée en 1931 par Ben Badis. Certes le discours politique du mouvement nationaliste algérien a toujours revendiqué l'appartenance de l'Algérie à la nation arabe, mais le mérite de s'être consacré entièrement à cette fin, revient indiscutablement à l'Association des Ulémas "en une année, la fédération des ulémas avait construit soixante-treize écoles primaires". La presse arabe était principalement la leur et mis à part les mosquées où ils étaient directement au contact des fidèles, ils recouvraient également à des structures comme le "Nadi Et-taraqi cercle du progrès" d'Alger où des conférences étaient animées sur de nombreux sujets. Naturellement il n'est pas difficile de deviner la réaction de l'administration coloniale. Ainsi le gouvernement entra en contact avec Ben Badis, et lui demanda la cession de la medrassa "at-tarbia oua taâlim" (l'éducation et l'enseignement) afin d'y enseigner la langue française... La réponse de Ben Badis fut "il n'est pas possible de laisser le champ libre à la langue française et de chasser la langue arabe d'une médersa créée par les moyens financiers du peuple dans le but d'y enseigner sa langue". Dans ce contexte d'affrontement et de combat, certains écrivains algériens, dans une démarche pragmatique avaient opté définitivement pour la langue française comme outil de combat et ont su et pu produire des œuvres littéraires qu'aucun ne peut contester l'universalité. Il faut signaler au passage qu'à côté de l'officialisation de la langue française afin de l'imposer à l'indigène en Algérie, il y a eu un grand nombre d'écrivains d'origine européenne, à l'instar d'Albert Camus, pour ne le citer que lui, qui ont marqué, d'une manière ou d'une autre, la vie littéraire en Algérie tout en exerçant, sans doute, une influence sur les futurs écrivains algériens. 4 - L'attitude des algériens vis-à-vis de la langue française ? Nous avons vu que le système scolaire et la langue française ont été imposés dès les premières années de l'occupation (1830 - 1920). Quoique l'enseignement du français ait été boudé pendant des années, il n'en demeure pas moins qu'à un moment précis de son histoire, l'Algérie ressentit le besoin de s'exprimer en français. C'est comme si on voulait porter la lutte aux "portes" même de la France. L'assertion suivante de Kateb Yacine explique cette tactique utilisée dans la stratégie de la guerre entre deux langues "j'écris en français, dit-il, parce que la France a envahi mon pays et qu'elle s'y est taillé une position de force (...) par conséquent, tous les jugements que l'on portera sur moi, en ce qui concerne la langue française, risquent d'être faux si on oublie que j'exprime en français quelque chose qui n'est pas français". Les Algériens firent vite à prendre conscience d'une réalité incontournable, car si la langue française était une réalité, le plus logique était de la contenir « à longue échéance, cette langue française deviendrait une arme de combat, pour une littérature nationale". Justement c'est dans cette perspective qu'un dramaturge comme Kateb Yacine a évolué "Mon père, dit-il, prit soudain la décision irrévocable de me fourrer dans la "gueule du loup" c'est-à-dire l'école française. Il le faisait le cœur serré : Laisse l'arabe pour l'instant. Je ne veux pas que comme moi, tu sois assis entre deux chaises (...) la langue française domine. Il te faudra la dominer et laisser en arrière tout ce que nous t'avons inculqué dans ta plus tendre enfance, mais une fois passé maître dans la langue française, tu pourras sans danger revenir avec nous à ton point de départ". La réaction de Kateb Yacine permet de dire que les écrivains algériens de langue française ne sont pas nés en dehors de l'histoire de leur pays. Utilisant le français, chacun a une réponse personnelle à apporter quant à la question de la langue.