La revendication amazighe est passée par un long processus de construction identitaire au niveau du discours (production linguistique, littéraire, idéologique), au niveau de l'organisation (associations, coordinations, internationalisation) et au niveau des revendications (du culturel au politique). En voici quelques repères chronologiques. C'est en 1967 qu'eut lieu, à Rabat, la création de l'Association Marocaine pour la Recherche et les Echanges Culturels (AMREC). Elle s'est donné pour objectifs de promouvoir la culture et les arts populaires et d'effectuer un travail de collecte et de consignation de la tradition orale. Le choix même du nom de l'association est un acte stratégique. Ses fondateurs ont consciencieusement évité le mot « berbère » et mis l'accent sur le caractère national « marocain » de l'association. A l'époque, la politique du Maroc fraîchement indépendant était marquée par la volonté d'édifier l'unité nationale et de rompre avec la conception colonialiste d'une division Arabe/Berbère. Parler de berbérité était encore un tabou car synonyme de colonialisme et d'atteinte à cette unité nationale. A partir des années 1970, d'autres associations sont créées à Rabat, Nador, Agadir et Casablanca. L'année 1980 consacre la visibilité du Mouvement culturel amazigh naissant. Elle correspond à la tenue de la première session de l'université d'été d'Agadir, dont le thème est « La culture populaire. L'unité dans la diversité ». Une dizaine d'années plus tard, en 1991, on assiste à la signature de ce qui est considéré comme l'acte fondateur du MCA, à savoir la Charte relative à la langue et à la culture amazighes au Maroc. Cette « Charte d'Agadir », signée par six associations, rassemble les principales revendications du Mouvement déclinées en sept objectifs à atteindre, dont : la stipulation dans la constitution du caractère national de la langue amazighe, à côté de la langue arabe ; l'intégration de la langue et de la culture amazighes dans divers domaines d'activités culturelles et éducatives, et leur insertion dans les programmes d'enseignement ; le droit de cité dans les médias. Cette Charte a surtout permis de porter les revendications amazighes sur la scène publique sans plus se cacher derrière la notion de « culture populaire » ou derrière des considérations scientifiques et universitaires. Elle a donné lieu à la création de nombreuses associations, y compris dans les petites villes et les villages. Les années suivantes ont vu l'émergence d'un mouvement amazigh estudiantin avec l'idée d'agir politiquement au sein de l'Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM) pour la promotion de la cause amazighe. L'intérêt, de plus en plus grandissant pour la question amazighe, prend de l'ampleur en 1994 lors de l'arrestation de sept membres de l'association Tilelli (Liberté) de Goulmima à Errachidia à la suite du défilé du 1er mai. Durant ce défilé, les militants de Tilelli brandissent des banderoles et scandent des slogans revendiquant l'introduction de la langue amazighe à l'école et sa reconnaissance constitutionnelle. Leur inculpation dans un contexte d'ouverture politique et d'une certaine tolérance vis-à-vis du MCA, provoque une surprise générale. Elle engendre également une forte mobilisation, interne et internationale, en faveur des détenus. L'impact de cette affaire a été la réaction du gouvernement marocain par un geste qualifié de « symbolique ». Le nouveau premier ministre, Abdellatif el Filali, annonce dans un discours au parlement, le 14 juin 1994, que la télévision marocaine allait désormais diffuser des informations en « langue amazighe ». Dans son discours du 20 août 1994, le roi Hassan II fait l'éloge de ce qu'il appelle les « dialectes berbères » et annonce l'introduction de l'amazighe dans les écoles primaires. Le discours royal n'eut pour seul effet que l'instauration d'un journal télévisé dans les trois dialectes amazighs, de quelques minutes chacun. Le discours de Hassan II est cependant considéré comme un pas « historique » dans le cadre du traitement officiel de la question amazighe. Car il a, selon les militants amazighs, brisé le tabou et pris en charge l'enjeu. Perçu comme une opportunité politique, il engendre une floraison d'associations à travers le pays. L'idée de leur unification germe et aboutit à la création du Conseil National de Coordination des associations amazighes du Maroc. De 1993 jusqu'aux années 2000, le mouvement connaît une phase d'internationalisation. Les associations culturelles amazighes commencent à se saisir des instances internationales et à user du concept d'autochtonie (population autochtone ; peuples autochtones, groupes autochtones minorisés) comme enjeu de revendication. Cette internationalisation devient « officielle » avec la création en 1995 du Congrès Mondial Amazigh : une organisation internationale non gouvernementale indépendante des Etats et des partis politiques. Elle a pour but la promotion des droits linguistiques et culturels amazighs. Au début de la décennie 2000, le MCA se présente comme un mouvement important dans le champ politique marocain et, surtout, pluriel. En effet, il est porté par plusieurs acteurs (individuels, collectifs, aux niveaux interne et international) dont les buts et les stratégies divergent largement. Il est traversé par des tensions et des conflits dont le plus manifeste oppose les deux plus grandes associations, l'AMREC et Tamaynut, autour de l'usage du concept des « peuples autochtones ». Contrairement à Tamaynut, l'AMREC considère que le concept est incompatible avec le cas marocain, car l'amazighité est une question nationale et on ne peut pas diviser le Maroc en deux peuples, autochtone et non autochtone. L'autre débat qui agite alors le mouvement concerne le passage au politique. En mars 2000, un « collectif d'intellectuels berbérophones constamment aux écoutes de l'opinion publique amazighe » signe le « Manifeste berbère » , initié par Mohamed Chafik. Le manifeste porte sur la nécessité d'une reconnaissance officielle de l'amazighité du Maroc. Il suscite d'amples discussions autour de la politisation du MCA.