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Les Amazighs libyens émergent du puits de l'oubli Systématiquement réprimés par le colonel Kadhafi, les Igrawliyen prennent leur revanche sur l'Histoire
Agdud amazigh dhi thikli ar tilleli. Le people Amazigh en marche vers son destin de liberté. Et il l'est, plus que jamais, depuis que les Berbères ont rejoint la révolution et joué un rôle militaire décisif contre le régime de Kadhafi. On croyait qu'ils avaient disparus et on a même fini par presque croire qu'ils n'ont jamais existé. Jusqu'à la chute de Bab El Aziziya, le sanctuaire militaro-politique de la dictature libyenne. Ce jour de victoire militaire, sur le toit de l'ancienne résidence du satrape libyen, à Tripoli, flotte un drapeau bleu, vert et jaune, surmonté du fameux Aza, le Yaz amazigh, la lettre Z de l'alphabet tifinagh. Ce drapeau, c'est celui des Amazighs de toute l'Afrique du Nord, notamment de Libye que le régime panarabiste de Kadhafi a brimé au point de créer une véritable entreprise de déni de leur identité et de négation de leur particularisme culturel. La culture des berbères libyens était niée, leur langue interdite et leur région, le djebel Nefoussa et des zones frontalières avec la Tunisie et l'Algérie, maintenue à l'écart du développement économique du pays. Symbole fort de cette miraculeuse renaissance, Fathi Ben Khelifa, un berbère libyen, a été élu président du Congrès Mondial Amazigh, lors des sixièmes assises du CMA, qui ont eu lieu récemment sur l'ile tunisienne de Djerba. Cette renaissance est une résurgence aux multiples démonstrations. Le 28 septembre dernier, ils manifestent en force sur l'immense Place des Martyrs, l'ancienne esplanade verte au cœur de la capitale libyenne. Deux jours avant, ils tiennent la première «conférence nationale amazighe» de l'histoire du pays, à l'hôtel Rixos, palace qui fut le siège de la propagande du régime. A l'occasion de cette conférence inédite, ils ont demandé que leur idiome maternel bénéficie du statut de langue officielle, à égalité avec l'arabe. 2 000 personnes ont assisté à cette manifestation au cours de laquelle l'hymne national libyen fut chanté en arabe et en berbère. Du jamais vu. Ces deux actes, symboliquement fondateurs, signent la fin de quarante deux ans d'ostracisme et d'effacement d'une population considérée jusqu'alors de seconde zone et comme cinquième colonne des puissances occidentales. Depuis l'entrée de maquisards berbères à Tripoli, les zones amazighes libérées voient fleurir des associations culturelles telles Tanit, Tira, Ifri ou Tiwatriwin et éclore des publications comme Tilelli ou Tamellout. Les Amazighs, qui représentent un peu plus de 10 % de la population libyenne, jouent, dès février 2011, un rôle crucial dans la Révolution. Concentrés dans l'ouest du pays, dans les montagnes du Nefoussa et dans la ville côtière de Zouara, plus de 1 200 kilomètres les séparent de Benghazi, cœur de la révolte. Durant de longs mois, ils luttent avec acharnement contre les troupes loyalistes dans un isolement total. Mais lorsqu'à la fin du mois d'avril, leurs chabab en armes s'emparent d'un poste frontière avec la Tunisie, la guerre change de visage. Le front qu'ils tenaient pouvait permettre de prendre en tenaille la capitale du pays. En août, c'est du Djebel Nefoussa que viennent les troupes les plus nombreuses qui mènent l'assaut final et victorieux contre Tripoli. Auparavant, dans les villes du Nefoussa, à Nalut, Jadu, Yefren (grottes en amazigh), Kebaw, Rehibat, Rojban, Zenten, Kekla et Ighrem, la fuite des troupes kadhafistes libère les énergies et provoque un bourgeonnement identitaire : aza peinte sur les murs ou sur les pick-up des igrawlen, les jeunes révolutionnaires, publications de fanzines en tifinagh, étendards amazighs arborés sur les édifices publics aux côtés du drapeau senoussi de la rébellion, classes improvisées d'enseignement en tamazight. Et dès le printemps, les CLT, les conseils locaux qui se mettent en place, reconnaissent l'autorité du CNT de Benghazi, mais l'informent déjà de leur souhait de voir leur langue ancestrale accéder au rang de langue nationale et officielle. Début août, le Conseil national de transition de Mustapha Abdeljalil rend public son projet de Constitution provisoire. Pour la population berbère, c'est la douche froide et la désillusion : l'article premier, s'il évoque bien «les droits linguistiques et culturels» des minorités amazighe, touareg et toubou, consacre l'arabe comme unique langue officielle. Les militants berbères protestent mais leurs récriminations restent sans réponse de la part du CNT. Mais une fois toutes les zones berbérophones sous contrôle de la population, les activistes culturels amazigh donnent de la voix. Début septembre 2011, à Tripoli, plusieurs meetings de sensibilisation sont organisés, l'élan de mobilisation trouvant son apothéose lors du gigantesque rassemblement amazigh du 28 du même mois sur l'ancienne Place verte où Kadhafi haranguait les foules de ses supporters. Au cours des mois d'insurrection, le CNT a vu émerger brutalement la question berbère dans un pays façonné par quarante deux années d'unanimisme arabiste. Un pays où il n'existe aucune société civile, où la notion que les Libyens peuvent être différents et unis à la fois est très difficile à faire passer dans une société où il était formellement interdit de parler l'amazigh, de chanter dans cette langue et de se dire publiquement qu'on est berbères. Le CNT verse encore dans l'idéologie arabiste dominante comme du temps du régime du colonel Kadhafi. Aux cours des années de la Jamahiriya et du Livre Vert, le dictateur libyen déclarait souvent que la langue tamazight était un «poison». Il a affirmé en 1997 que ses défenseurs étaient des «collaborateurs de la France, des Etats Unis et d'Israël», accusations alors punies de mort. En 2010, il informe des journalistes marocains que les Amazighs «ont disparu et n'existent plus». Jusqu'à la chute de Tripoli, de très nombreux artistes, intellectuels et universitaires berbères étaient exilés ou en prison. Le ploutocrate de Syrte, lui-même berbère d'une région dont le nom veut dire golfe en tamazight, avait aussi l'habitude de clamer que «la prétention à vouloir utiliser le berbère est une prétention réactionnaire inspirée par le colonialisme». Le colonel Kadhafi a imposé, jusque dans les manuels scolaires et dans les prêches religieux, le mythe d'une société libyenne ethniquement homogène. Les textes traitant de l'Histoire de la Libye ne font aucune mention de ses origines berbères. Dans l'Enseignement, c'est l'expression Arabes anciens qui est utilisée pour évoquer les habitants de la Libye antique, dont le nom vient du mot berbère lebou. Cette appellation a donné son nom à la Libye dont la dénomination a longtemps désigné l'Afrique du Nord berbère. La formule Arabes anciens était donc une escroquerie intellectuelle qui niait l'histoire d'un peuple berbère qui a notamment offert à l'Egypte ancienne quelques pharaons et à Rome des dirigeants de premier plan, dont les empereurs Caracalla et Septime Sévère. La négation était telle qu'il était interdit aussi d'avoir des prénoms berbères. Même l'Adrar n Infussen (le mont Nefoussa) a été privé de son nom amazigh, jusqu'à l'éclatement de la révolution de février 2011. L'auteur illuminé du Livre Vert l'avait baptisé al-jabal al arabi, la montagne arabe. De ce fait, défendre l'amazighité, était un crime passible de prison. Pour avoir vécu en Libye durant les années soixante-dix, l'auteur de cet article se souvient d'avoir offert, sous le manteau, à des berbères de Zouara, des cassettes de chanteurs kabyles algériens tels Cheikh El Hasnaoui, Idir ou encore Slimane Azem et Chérif Kheddam. En ces temps de Jamahiriya conquérante, l'écoute de chansons amazighes se faisait clandestinement. Chanter en berbère, se réclamer amazigh et militer pour ses racines identitaires était un crime qui pouvait mener à la prison ou à la mort. Comme ce fut le cas du chanteur Abdellah Achini, emprisonné à Tripoli ou du militant culturaliste berbère Saïd Sifaw El Mahroug, assassiné en 1994. En revanche, ceux qui ont pu échapper à ce triste sort, ont été contraints à l'exil comme Fathi Ben Khlifa, Othmane Ben Sassi ou Mohamed Oumadi qui animent des sites identitaires à partir de l'étranger. La résurgence de la langue berbère, dont l'usage a miraculeusement repris comme une eau emprisonnée d'une nappe phréatique jaillissante, est d'ailleurs une preuve vivante de la permanence berbère en Libye. La révolution libyenne a donc accompli un miracle sous forme de renaissance de tamazight sous ses deux variantes Zénète et nafussi qui ont pu se maintenir dans les montagnes, les oasis et le désert à la frontière avec la Tunisie et l'Algérie. On dénombre aujourd'hui moins d'un million de berbères, sans compter les Touaregs. Les Amazighs sont principalement concentrés dans l'Adrar Nefoussa et dans la ville de Zouara, un des foyers les plus importants des communautés berbérophones de Libye. Zouara, capitale symbolique des Amazighs, est le centre le plus important des communautés berbères à l'Ouest, alors qu'en Cyrénaïque on compte notamment la tribu des Aït Meriem. La revendication amazighe se situe au cœur du combat pour une Libye libre et démocratique. Dans un texte intitulé Comment le mouvement amazigh libyen voit la Libye de demain, publié le 12 août 2011, le MCAL, le Mouvement culturel amazigh libyen, aspire à l'édification d'un Etat moderne, démocratique, unifié, laïc, souverain, avec un régime constitutionnel et parlementaire. Il revendique la langue amazighe comme patrimoine de tous les Libyens et demande sa reconnaissance comme langue officielle au même titre que l'arabe. Cette aspiration démocratique est finalement le fruit d'une longue lutte. Un combat cumulatif dont le premier symbole humain est Souleymane El Barouni, écrivain et homme politique qui mena la résistance à l'occupant italien dans le Djebel Nefoussa, à la veille de la Première Guerre mondiale. Les portraits de ce héros trônent aujourd'hui à Tripoli au même titre que ceux d'Omar El Mokhtar, héros de la résistance libyenne, originaire de Cyrénaïque, précisément de Tobrouk. Le second symbole est le premier Congrès des Berbères libyens, organisé à Tanger en 2005. Troisième et dernier symbole d'une revendication berbère en mouvement, l'organisation à Tripoli de la Conférence nationale amazighe, le 26 septembre dernier et la grande manifestation sur la Place des Martyrs à Tripoli, deux jours après. Autant de symboles et de jalons du printemps des berbères de Libye. N. K.