Le leader de la contestation populaire qui secoue depuis six mois le nord du Maroc était officiellement recherché, samedi 27 mai, pour avoir interrompu le prêche d'un imam dans une mosquée à Al-Hoceïma. Dans un communiqué, le procureur du roi a ordonné vendredi soir « l'ouverture d'une enquête et l'arrestation de Nasser Zefzafi ». Au lendemain de cette annonce, on ignorait où se trouvait le leader du hirak (« la mouvance »), alors que la situation était calme dans la ville, où les forces de l'ordre étaient néanmoins présentes en nombre. «Je n'ai pas peur» L'incident dans la mosquée a été filmé par téléphone portable et diffusé sur Facebook. Sur ces images, on voit M. Zefzafi s'en prendre avec véhémence à l'imam, qu'il traite de « menteur ». « Est-ce que les mosquées sont faites pour Dieu ou le makhzen ["pouvoir"] ? », questionne-t-il, avant de dénoncer « ceux qui veulent faire capituler le Rif », la région frondeuse et conservatrice où est située Al-Hoceïma, et « les étrangers qui viennent violer nos femmes ». Il est accusé d'avoir « insulté le prédicateur », « prononcé un discours provocateur » et « semé le trouble », selon le procureur local. Le ministre des affaires islamiques, Ahmed Toufik, qui avait annoncé à tort son arrestation vendredi, a dénoncé un délit « grave ». Interrogé par l'Agence France-Presse, un proche de M. Zefzafi a expliqué qu'il avait réussi à échapper aux policiers venus l'interpeller à la sortie de la mosquée. M. Zefzafi est intervenu peu après en direct sur les réseaux sociaux depuis le toit de sa maison à Al-Hoceïma, entouré d'une foule de ses partisans. « Je n'ai pas peur. S'ils veulent m'arrêter, qu'ils viennent ! », a-t-il lancé, appelant à des manifestations pacifiques. Harangues enflammées Samedi soir, des « heurts » entre manifestants soutenant Nasser Zefzafi et policiers ont fait plusieurs blessés, dont « trois graves », du côté des forces de sécurité, a annoncé l'agence de presse officielle MAP. Un journaliste marocain travaillant pour le site d'informations en ligne Hespress a par ailleurs été pris à partie et molesté par des manifestants, selon ce même site. Les incidents ont duré près d'une heure, et ont cessé vers minuit, heure à laquelle les rues sont devenues quasi-désertes, à l'exception des forces anti-émeutes. Des heurts similaires ont été signalés dans la ville voisine d'Imzouren, où les forces de l'ordre sont là aussi intervenues pour disperser les rassemblements, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Vingt personnes, dont plusieurs militants connus du « hirak », ont été arrêtées ces dernières 48 heures, a annoncé le procureur de la ville. Elles sont accusées notamment « d'atteinte à la sécurité intérieure », d'avoir « reçu des transferts d'argent et un appui logistique de l'étranger » pour « porter atteinte à l'intégrité du royaume », ou encore d'alimenter « l'humiliation et l'hostilité à l'égard des symboles du pays ». Dans la région du Rif, la province d'Al-Hoceïma est le théâtre de manifestations récurrentes depuis la mort à la fin d'octobre 2016 d'un vendeur de poisson, broyé accidentellement dans une benne à ordures. Le hirak a de nombreuses revendications pour le développement du Rif, qu'il estime marginalisé. Son leader, M. Zefzafi, multiplie sur les réseaux sociaux les harangues enflammées contre l'exécutif et en faveur du Rif, sur fond de discours identitaire teinté de conservatisme et de références islamiques. L'Etat marocain a depuis annoncé la mise en œuvre d'une liste de projets de développement de la région, désormais une « priorité stratégique ». Rabat cherche à décapiter la rébellion du Rif Les autorités marocaines pouvaient compter sur une trêve au Rif au moins jusqu'à la fin juillet, date à laquelle une nouvelle grande manifestation a été annoncée. Mais, une fois de plus, leurs maladresses ou leur envie d'en finir avec la rébellion ont réussi à raviver la révolte dans cette région côtière du nord du Maroc. Cette fois, c'est le ministère des Affaires islamiques qui a jeté de l'huile sur le feu en voulant se servir des imams pour désactiver les protestations à Al-Hoceïma et dans ses environs. Cela fait partie des habitudes de son ministre, Ahmed Toufiq, d'utiliser la religion à des fin politiques non seulement au Maroc mais au-delà de ses frontières, à commencer par les deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc, où les imams sont sous sa tutelle. Toufiq a demandé aux imams de la province d'Al-Hoceïma, tous des salariés de son ministère, de prononcer un prêche (Khotbat al Jomoua) reprochant aux jeunes révoltés de promouvoir la « fitna », la division parmi les musulmans. L'instruction donnée aux imams mit fin à une bonne semaine de trêve. En effet, après la manifestation monstre du 18 mai, le gouvernement marocain avait donné des signes d'apaisement. Quatre jours auparavant, les partis de la majorité gouvernementale avaient cependant attisé les braises de la contestation en publiant un communiqué accusant les Rifains de « promouvoir des idées destructives qui sèment la discorde » et d'être des « séparatistes ».