Dans une région qui lutte depuis plus de 30 ans sur divers fronts pour trouver un équilibre entre la baisse des ressources en eau et les besoins sans cesse croissants de l'agriculture et de la population, la question peut paraître déplacée. Pas si sûr, si on prend le soin de disséquer avec sérénité et rigueur les données disponibles. Disposant d'une grande réserve d'eaux souterraines, la région de Mostaganem est connue pour être l'une des plus agricoles du pays. Bénéficiant d'un climat maritime très favorable, elle offre des possibilités de production de primeurs et de maraîchages que lui envient toutes les autres régions du pays. De ce fait, elle aura développé une agriculture diversifiée et performante. Ceci par la grâce de disponibilités hydriques importantes. C'est pourquoi, pendant très longtemps, les besoins de la population urbaine en eau domestique seront totalement assurés par des forages qui parsèment toute la zone du plateau. Mais cette disponibilité commencera à s'estomper sous les effets conjugués d'une production agricole irriguée en constante évolution, d'une croissance démographique soutenue et d'une sécheresse récurrente. 70 000 foyers au réseau d'eau Le recours aux eaux de surface par la construction de barrage et de retenues collinaires sera alors envisagé sans précipitation. C'est ainsi que la région du Dahra — mieux arrosée par les eaux de pluie mais moins pourvue en eaux souterraines — hérita d'un projet de construction d'un barrage sur l'oued Kramis. Confié à une entreprise italienne, le barrage sera lancé par le président de la République lors d'une visite en mars 2002. Actuellement, il renfermerait environ 25 millions m3, dont une infime partie est distribuée à travers le réseau d'AEP de toutes les agglomérations connectées. C'est-à-dire la plupart des centres urbains. Ce qui donne approximativement une bonne douzaine de milliers de foyers, car à l'heure actuelle, le nombre total de foyers qui sont reliés au réseau d'eau s'élève pour l'ensemble de la wilaya à environ 70 000, dont près de la moitié se trouve à l'intérieur du tissu urbain du chef-lieu de wilaya. Concernant la disponibilité de l'eau potable au niveau de la région depuis le piquage réalisé du temps de Abdelmadjid Attar, alors ministre des Ressources en eau, sur la conduite reliant le barrage du Gargar à Oran, la disponibilité de l'eau potable aura atteint le seuil de 15 000 m3/j. Même après l'entrée en vigueur d'un rationnement qui se traduira par une alimentation des foyers un jour sur deux, à raison de 9000 m3 quotidiens, la population n'aura nullement souffert. Cette manne sera augmentée, depuis bientôt une année lors de l'entrée en service du barrage de Kramis qui aura également profité indirectement aux agglomérations du plateau et du chef-lieu, qui hériteront d'environ 5000 m3 d'eau initialement destinés à la région du Dahra. Sans parvenir au seuil digne des pays modernes fixés à 150 l/j/habitant, les populations de la wilaya, hormis celles éparses pour lesquelles une adduction à l'AEP serait illusoire et ruineuse, il apparaît nettement une certaine aise dans ce domaine très sensible. Par ailleurs, la mobilisation en cours - grâce au projet du MAO dont les travaux, même après avoir enregistré des retards certains consécutivement au retrait du constructeur allemand - des eaux de l'oued Chéliff à hauteur de 150 millions m3/an devrait mettre définitivement à l'abris la région. Car initialement le projet MAO avait pour ambition d'alimenter les 12 agglomérations de l'axe Mostaganem-Arzew-Oran en eau potable à hauteur de 155 millions m3 que l'étude initiale prévoyait de répartir en fonction des besoins. La fin des incertitudes Ainsi, Oran, Mostaganem, Arzew, Aïn Tédelès et Sidi Ali devaient recevoir respectivement 94,50, 33,40, 7,20, 3,50 et 3,30 millions m3 annuellement, soit 141,90 millions m3, le reste, à savoir 8,10 millions m3, était réparti entre Mazagran, Hassi Mamèche, Bethioua, Aïn Beïda, Gdyel, Hassi Ben Okba et Hassi Bounif. Le projet était présenté comme vital pour assurer une alimentation régulière de l'Ouest algérien. Il avait pour ambition de libérer de l'eau pour les agglomérations de Aïn Témouchent, Sidi Bel Abbès et Tlemcen. Rien que pour Mostaganem, l'idée de développer l'irrigation des terres à partir des eaux de forage était fortement suggérée. Actuellement, il apparaît que non seulement le projet MAO est en phase avancée, mais qu'après la mise en service du barrage de Kramis, celle du système MAO ne saurait tarder. Les hypothèses les plus pessimistes avancent la date de l'été 2008, soit à peine une année. Mais alors à quoi vont servir les stations de dessalement de l'eau de mer prévues à Mostaganem (200 000 m3/j), à Mers El Hadjadj (500 000 m3/j) et à Arzew (90 000 m3/j) qui fonctionne déjà ? Annoncé depuis une dizaine d'années, le recours au dessalement de l'eau de mer aura défrayé la chronique. Régulièrement remisé pour différentes raisons -celles relatives à l'absence de financements et à la non-maîtrise de cette nouvelle technologie étant les plus récurrentes - il aura fallu attendre le raffermissement inespéré des cours de pétrole et ses heureuses conséquences sur nos réserves de change pour que la machine s'ébranle dans tous les sens. Après plus d'une décennie de tergiversations, l'Etat décidera de passer la vitesse supérieure. Alors que le montage de quelques stations monoblocs - d'une capacité de 1500 à 2000 m3 - dans les zones touristiques et industrielles se traduisait par une grande décrispation chez nos décideurs, ce sera une véritable ruée vers les différentes technologies disponibles à l'échelle mondiale. Le tabou du dessalement devenait une certitude chez nos responsables qui commencèrent à voir grand. Il est vrai que les coûts de production semblaient suffisamment attractifs du moment que le mètre cube pouvait se négocier à moins d'un dollar, voire en dessous de 30 cents. De quoi convaincre les plus irréductibles. Tout le pays venait de se convertir à cette nouvelle religion à laquelle personne ne trouvera de défauts. L'unité du Hamma d'une capacité de 200 000 m3/j, en raison de la très forte pression de l'agglomération algéroise, allait faire l'objet de toutes les sollicitudes. Lors de son lancement, en avril 2004, Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, soulignera que « le dessalement de l'eau n'est plus un choix, mais un impératif et une alternative à la création des barrages ». Un conglomérat d'entreprises sera créé grâce à une réglementation fortement allégée. L'une des firmes les plus en vue dans le domaine, américaine de surcroît, ce qui n'étonnera personne, allait s'engager dans la course et remporter l'appel d'offres.A l'époque, le prix de cession du mètre cube avait été fixé à 0,82 dollars US. Sa capacité nominale est en réalité de 226 134 m3, car l'usine se compose de 9 trains d'une capacité de 25 126 m3/j chacun. L'alternative Celle prévue à Mostaganem aura vraisemblablement des caractéristiques similaires. Mais il faut souligner qu'au départ, l'unité -dont les travaux seront lancés par le président Bouteflika le 28 juillet - avait été étudiée pour une capacité de 100 000 m3/j. Toutes les études entamées jusqu'à une date récente y feront référence. Devant un parterre de spécialistes nippons, Abdelmalek Sellal, ministre des Ressources en eau, déclarait en septembre 2004 que 11 stations de dessalement de l'eau de mer d'une capacité de 40 000 à 50 000 m3/j seront réalisées d'ici à 2009 à travers les villes côtières algériennes. Des quantités tout à fait raisonnables qui seront très rapidement revues à la hausse. Ce sera le cas de l'usine de Mostaganem, dont la capacité aura été doublée et qui sera érigée sur la plage du Chéliff. Chez les spécialistes, ni le choix du site ni le volume d'eau traité ne trouvent d'adeptes. L'embouchure du plus grand oued du pays est connue pour être le réceptacle de toutes les alluvions drainées sur une distance de 730 km. De ce fait, la mer est trouble durant au moins six mois de l'année. Cette forte charge en matières organiques et autres particules nécessitera un traitement particulier qui grèvera davantage le coût. Ensuite, il y a la destination finale de l'eau produite qui risque fortement de ne pas trouver preneur. Car pour vendre l'eau produite, il faudrait que les 90 000 foyers consomment quotidiennement 2,2 m3/j, avec un coût initial fixé à 0,72 dollar US, chaque famille devra débourser en moyenne 500 DA/j. Une facture d'eau à 15 000 DA/mois en dissuaderait plus d'un. Même contraints et forcés, les abonnés limiteront drastiquement leur consommation. Quid alors des 200 000 m3 ? A quoi auront servi les investissements dans le système MAO et dans le barrage de Kramis ? Que deviendront les nombreux forages que l'on continue de creuser et d'équiper dans la plaine intérieure ? Avec l'unité de Mers El Hadjadj et celle d'Arzew, le dispositif de désalinisation du golfe d'Arzew traitera quotidiennement 790 000 m3 d'eau de mer. Ce qui devrait engendrer la production journalière de près de 30 000 t de sels marins, qu'il faudra dissoudre ou stocker. Les deux alternatives comportent des risques tant pour l'environnement marin que terrestre. A qui profitera ce surdimensionnement des unités de dessalement ? Chez nos interlocuteurs, le seul consensus se fera autour de la nécessité d'y aller de manière progressive en installant des trains autonomes en fonction de la demande. Cette alternative aura le mérite d'ajuster l'offre à la demande, d'éviter de produire plus que le besoin, de réduire les investissements et de profiter des nouvelles technologies. Passer rapidement du système classique barrages et forages au dessalement intégral ne semble répondre à aucune logique. Pourtant, c'est la voie que semblent privilégier nos gouvernants. Mais dans l'hypothèse la plus vraisemblable que toute l'eau produite ne sera pas consommée, que deviendra-t-elle ? Peut-on imaginer le volume des réservoirs à construire pour la stocker ? Autrement, irons-nous jusqu'à l'injecter dans la nappe en attendant des jours plus cléments ? Pourvu que nos responsables aient raison. Et que la facture ne soit pas trop salée !