La dette extérieure a commencé peu après l'indépendance en 1956 |1|. Par son ampleur et ses multiples implications économiques, politiques et sociales, elle est devenue une donnée incontournable de la réalité tunisienne. Est-elle, comme elle est supposée l'être, un outil majeur de financement du ‘développement économique et social' des pays du Sud, en l'occurrence la Tunisie ? Ou bien, au contraire, un mécanisme financier de transfert de valeur ajoutée locale vers le capital mondial ? Les emprunts et les crédits publics extérieurs sont supposés pallier l'« insuffisance structurelle de l'épargne locale ». Autrement dit, l'Etat tunisien ferait appel aux emprunts extérieurs afin de financer le développement et la modernisation du pays, c'est-à-dire : l'aménagement du territoire national, l'investissement dans les secteurs économiques stratégiques, l'amélioration de l'enseignement et du système de santé publics et le financement de la recherche scientifique et de la culture, l'instauration de l'Etat de droit et l'accessibilité pour tous à la justice, le financement de la protection de l'environnement, etc. L'accumulation des emprunts et des crédits, depuis la fin des années 50', constitue ce que nous appelons la dette extérieure. Dans une première phase, qui s'étendait jusqu'à la fin des années 70', la dette ne générait pas une charge de paiement excessive pour les pays en développement, du fait de la faiblesse des taux d'intérêts et de conditions de prêt assez ‘généreuses' à cause de la surliquidité qui caractérisait les marchés financiers. Cette situation, plutôt favorable, était en même temps un argument de taille pour persuader les gouvernants du Sud à engager de gros investissements d'infrastructures financés par les emprunts et les crédits extérieurs. La nouvelle donne de la dette, qui a émergé au cours des années 80'sous l'effet du nouvel ordre capitaliste mondial, se caractérise par un alourdissement notable de sa charge, à tel point que la plupart des Etats du Sud ont eu beaucoup de difficultés pour assurer le paiement du service de la dette. En fait, la mondialisation capitaliste néolibérale, qui a précipité la chute des modèles de développements postcoloniaux, a permis aussi de mettre à nue la vraie nature de la dette, en tant que mécanisme financier de pillage des ressources des pays du Sud. La réponse du capitalisme mondial, à cette crise de la dette, fut la soumission des pays du Sud à des Programmes d'ajustements structurels (PAS). Une charge financière qui s'alourdit L'endettement total de la Tunisie a atteint 65,5 |2| milliards de dinars (MD) en 2008, ce qui représente 130% du PIB. La dette se répartie à hauteur des ⅔ en dette interne (65%) et ⅓ en dette externe (35%). La dette de l'Etat représente 40,5% de l'endettement total du pays ; 23,8% de l'endettement intérieur et 78,6% de l'endettement extérieur. Cette situation reflète bien le poids de l'Etat dans l'économie tunisienne. Par ailleurs, la dette extérieure totale (long, moyen et court termes) s'élève, en 2008, à plus de 27 MD |5| ; soit un taux d'endettement par rapport au PIB de 53,6%, contre 58,3% en 1986. Depuis cette date, le PIB nominal a été multiplié par 7 et l'encours de la dette par 6.4 ; le premier à crû de 7,2 MD à 50,4 MD, et le second de 4,2 MD à 27 MD. Une part importante de l'encours de la dette est le fait de l'Administration publique (67,5%) et des entreprises publiques (24,4%), tandis que la part qui revient aux entreprises privées se limite à 8,1%. L'Etat est donc le principal promoteur de la dette extérieure. La dette, un outil de pillage des ressources locales De 1990 à 2008, la somme totale des emprunts à MLT reçue par la Tunisie a atteint 33,6 MD. Dans le même temps, la somme totale du service de la dette qu'elle a remboursé s'est élevée à 38,5 MD. En conséquence, le solde des entrées nettes de capitaux d'emprunts à MLT |11| fait apparaître un transfert total net négatif de 4,9 MD, presque autant que l'encours de la dette en 1990 et une fois et demi celui de 1984 . Comme nous le constatons, la Tunisie rembourse plus qu'elle ne reçoit au titre de l'emprunt extérieur. Elle est donc exportatrice nette de capitaux d'emprunts. C'est bien elle qui finance l'extérieur et non pas le contraire. Autrement dit, les nouveaux emprunts sont réorientés vers le remboursement des emprunts antérieurs, et non pas pour financer le développement. Dès lors il apparaît clairement que les emprunts et les crédits publics extérieurs ne servent ni à développer l'économie, ni à la création d'emplois, ni à l'amélioration du niveau de vie des tunisiens, ni encore à la sauvegarde de l'environnement, etc. En conséquence, en plus de la totalité des emprunts et des crédits nouveaux qui est, de fait, redirigée vers le paiement du service de la dette, une partie des recettes de l'Etat est affectée au paiement de ce même service. Un paiement qui pose problème En 2008, le service de la dette extérieure a atteint 2,6 MD (¾ en capital et ¼ en intérêts). A titre de comparaison, le budget public total (gestion et équipement) de l'enseignement (base, secondaire, supérieur, recherche scientifique et formation professionnelle) s'élève à de 3,1 MD, celui de la santé à 0,74 MD. De 1990 à 2008, le service de la dette a engloutit plus de 38,5 MD. Cependant, malgré cette hémorragie, l'encours de la dette a été multiplié par 3,7 au cours de cette même période, et plus de dix sept fois depuis 1980. Le ratio du service de la dette par habitant est un indicateur pertinent du « poids social » de cette charge. Ce ratio est passé de 137 dinars en 1990 à 383 dinars en 2006, avant de baisser à près de 250 dinars en 2008. Cette baisse significative de ce ratio fait suite à deux remboursements anticipés, en 2006 et 2007, de 770 millions de dinars (près du dixième de service de la dette). Ces remboursements ont été rendus possible à la suite, notamment, de la privatisation partielle de Tunisie Télécom, qui reste, à ce jour, la plus importante opération de privatisation jamais réalisée. Ceci étant dit, la charge par habitant du service de la dette pèse, en 2008, près de deux fois plus lourd qu'en 1990. Au cours de la même période, le PIB par habitant (à prix courants) a été multiplié par seulement 5,5 ; de 980 dinars à 5367 dinars. En détournant une partie du revenu intérieur, le mécanisme de la dette extérieure prive la Tunisie de ressources rares dont elle a grandement besoin pour soutenir son effort de développement, notamment, en ce qui concerne l'amélioration de son ‘capital humain' que la politique néolibérale prétend optimiser. Nouvelles ressources pour le paiement de la dette Le paiement du service de la dette coûte de plus en plus cher, malgré une note de frais déjà assez lourde. Pour assurer la pérennité du paiement, l'Etat n'a d'autres choix que de s'endetter davantage, comme le prouve l'augmentation du rythme moyen annuel, des emprunts et crédits nouveaux. La politique d'austérité budgétaire, malgré son maintien depuis plus de deux décennies et son durcissement, ne permet plus, non plus, à garantir le paiement du service de la dette. D'où la nécessité de mobilisation de nouvelles ressources de financement et de réactiver certaines autres. C'est pour faire face à une telle situation que l'Etat a décidé, à partir de 1998, d'étendre le champ d'application du système des concessions et de restructurer le système fiscal. Dit autrement, il faut emprunter davantage, comprimer les dépenses sociales et trouver de nouvelles sources de financement. . Une situation d'urgence sociale Le Sud ouest de la Tunisie, a été le théâtre, au cours des six premiers mois de 2008, du plus long mouvement de contestation populaire. Ces évènements sont la première manifestation de masse d'une crise sociale qui couve depuis quelques années. Deux questions ont, tout particulièrement, cristallisé les mécontentements : l'emploi et le pouvoir d'achat. Tandis que le premier fait référence, notamment, au revenu, le second renvoi aux prix. Ces deux phénomènes surdéterminent les conditions d'existence des masses populaires. D'une manière générale et, abstraction faite des conditions héritées de la période du dirigisme bureaucratique, la situation économique et sociale actuelle est l'aboutissement logique des choix de la politique économique et sociale capitaliste néolibérale qui prévaut depuis près d'un quart de siècle. Parmi les nombreuses conséquences sociales de cette politique, il y a lieu de noter d'abord, les problèmes liés au marché du travail, à savoir : le chômage et le sous-emploi. Aggravation de la crise de l'emploi Le marché du travail tunisien se caractéristique par un taux de chômage qui compte parmi les plus élevé au monde (14,9% en 2009) et qui persiste à ce niveau élevé depuis un demi-siècle |23|. Ce niveau élevé de chômage est d'autant plus préoccupant qu'il contraste avec un taux d'emploi |24| relativement modeste ; 40% en 2008, c'est-à-dire que près de six personnes sur dix, en âge de travailler, sont économiquement inactives. Ceci donne à penser que la situation de l'emploi est bien plus grave que ne l'indique le taux de chômage. Extension de la précarité Il s'agit ensuite de l'inflation dont les effets négatifs se répercutent sur les conditions de vie des masses populaires. L'envolée des cours mondiaux de la majorité des produits de base, depuis 2005, a fortement affecté le marché local dont la protection douanière a été supprimée, et qui est très dépendant vis-à-vis du marché mondial pour une grande partie de ses besoins en matières premières, en biens d'équipements, et en produits alimentaires et énergétiques. En conséquence, les prix de détail de l'ensemble des produits de base sur le marché local ont accusé une forte hausse, notamment au cours du premier semestre de 2008 . Ces hausses de prix ont touché de plein fouet des classes populaires durement éprouvées par deux décennies d'ajustement structurel,pour constituer l'aiguillon de la révolte populaire. En conclusion Nous avons essayé de démontrer, à travers ce texte, la nature néfaste de la dette extérieure qui capte une partie non négligeable des ressources financières de la Tunisie au profit du capital mondial, en analysant aussi certaines de ses implications économiques et sociales. Il paraît donc évident que la dette, en tant que mécanisme néocolonialiste, entrave les efforts du peuple tunisien pour son progrès économique et social et son émancipation politique. De plus, le poursuite du paiement de la dette ne peut qu'aggraver les problèmes de la société tunisienne.