En cet après midi du vendredi 26 juillet la canicule et le sirocco se sont ligués pour plonger la ville de Sétif dans la torpeur et l'inertie. La cité est transformée en fournaise et ses rues se sont vidées de leurs passants dès midi. Aussitôt la prière collective achevée vers 13 h 30, l'on se précipite chez soi pour savourer son rituel couscous suivi de la bienfaisante sieste. Sétif semble entrer pour quelques heures dans le coma d'un après midi ordinaire d'été, ennuyeux à souhait. Pourtant, au cœur même de la capitale des hauts plateaux, ça bouge. Des grappes humaines se forment, s'agglutinent et s'agrègent comme un essaim d'abeilles qui grossit à vue d'œil. Ce sont les « hirakistes », ceux du « hirak », mouvement de la contestation populaire d'envergure nationale né au milieu du mois de février de cette année qui se manifeste pacifiquement désormais chaque vendredi, qu'il pleuve ou qu'il neige ou qu'il fasse 45 degrés à l'ombre. Le point de ralliement est toujours le même : le siège de la wilaya, imposant édifice abritant l'autorité proconsulaire de l'Etat. Rapidement de la clameur qui se forme fusent les premiers slogans les plus radicaux dont les plus percutants sont « makanche el intikhabat maa el issabat » (pas d'élection sous le règne des gangs), « madania machi askaria » (république civile pas militaire), « serrakine, khedaiine, beyaiine el cocaïne » (Voleurs, traitres, vendeurs de cocaïne). Le catalogue des slogans scandés ou chantés par la foule s'enrichit de nouveautés au gré de l'actualité réelle ou ressentie. A 15 heures tapantes, la foule se structure en carrés et entame sa traditionnelle marche sur l'itinéraire habituel qui cerne le centre ville. La police est là, toujours discrète, en tenue bleue ou civile, sans démonstration de force inutile, juste pour faciliter la progression de la procession citoyenne dans les boulevards et parer au fâcheux imprévisible. Aucune hostilité ni même méfiance de part et d'autre. Même les anciens slogans accusateurs envers les hommes bleus ont disparu du registre, du moins à Sétif. Sur la procession d'hommes et de femmes, s'élèvent surtout des dizaines drapeaux aux couleurs nationales et de rares écriteaux. Exit la bannière identitaire berbère pour ne plus faire diversion mais quelques jeunes filles sont accoutrées de leurs belles robes kabyles. Elles n'en sont nullement inquiétées par qui que ce soit. Mieux, elles captent l'admiration de tout leur entourage. Le hirak est probablement en train de jeter les bases d'une société plurielle, apaisée, tolérante et solidaire. La gangue du totalitarisme culturel est-elle en train de s'effriter ? Comme un fort symbole à l'attachement au pays et à la nation, l'emblème national est porté en cape sur le dos par les hommes et les femmes. C'est l'expression de l'autre miracle du hirak : la réappropriation par le peuple d'en bas des symboles patriotiques longtemps privatisés et instrumentalisés par la nomenclatura officielle et de sa clientèle affidés. La célébration du 5 juillet de cette année a été l'unique fête populaire depuis 1962. S'étirant sur près de 600 mètres, la procession a réuni près 2000 marcheurs. Peu au regard des 20000 manifestants-fêtards du 5 juillet ou des vendredis des mois de mars et avril. La période estivale de par sa canicule et au farniente qu'elle prédispose est peu propice, à travers le monde, aux grandes manifestations de force même les plus pacifiques. Mais la lenteur et des valses-hésitations des décideurs à répondre aux revendications du peuple protestataire développe subrepticement, voire sournoisement l'expression de la lassitude, de la radicalité et de la méfiance y compris à l'égard des quelques tentatives de médiation. La teneur des récents slogans clamés par les foules à Sétif et ailleurs tel que « Echaab yourid el istiklal » (Le peuple veut l'indépendance) « machi askaria, madania » (république civile non militaire), semblent tout à la fois exprimer une mise en garde et une exigence pour la construction d'une république plus proche des attentes du peuple d'en bas, celui-là même qui semble le plus menacé par les désastreuses conséquences économiques et sociales qui se profilent déjà à l'horizon. L'installation du nouveau panel de la médiation pour le dialogue réussira-t-il dans sa délicate et complexe mission ? On ne peut que le souhaiter. Hamoud ZITOUNI.