Le 28e vendredi de la contestation populaire semble clôturer la période estivale où du fait de la canicule éprouvante et du farniente la mobilisation fut très difficile. Celle-ci s'en est ressentie dans le nombre de manifestants qui s'est réduit autour d'un millier durant tout le mois d'août en ville de Sétif. Pourtant, contrairement à celui de la capitale et probablement d'autres villes, le hirak sétifien ne semble avoir subi ni des restrictions, ni des entraves de déplacement de ses manifestants ni des intimidations de quelque nature que ce soit. La seule interdiction signalée au moins de juin fut celle du port de l'emblème identitaire berbère transnational qui a prêté à équivoque. Depuis, cette bannière contestée a disparu des marches pacifiques du hirak. En plus, même les robes dites kabyles aux couleurs chatoyantes portées par les jeunes manifestantes ont à présent disparu de la foule. Ces jeunes femmes ont-t-elles été dissuadées discrètement de les porter ? Par qui ? On ne le sait. Pourtant, ces symboles identitaires sont arborés librement par les manifestants de la région de Kabylie. En ce jour du 30 aout, le temps est plutôt orageux au sens propre comme au sens figuré. Vers 15 heures, les manifestants, environ un millier de personnes, après avoir déroulé leur album de slogans hostile au pouvoir devant le siège de la wilaya, décident d'entamer leur marche habituelle en empruntant l'avenue du 8 mai 1945 en direction d'Ain El Fouara, en reprenant tour à tour leurs nombreux slogans dont certains ne manquent pas d'humour et de causticité ou parfois ils sont à la limite de l'indécence. Il est vrai que des mots couramment usités dans une région peuvent devenir indécents dans une autre. Et vice versa. Même le chef du panel s'y fait piégé il y a quelques jours. Mais passons. A hauteur de la stèle de Bouzid Saal, premier martyr des massacres du mai 1945, est installé, pour le second vendredi de suite, le fameux et mystérieux groupuscule apparu en ce mois d'aout. Il est composé cette fois-ci d'à peine d'une dizaine de personnes, tous des hommes, portant des affichettes et une grande banderole. Le contenu de celles-ci parle toujours de « badissia, novembaria », d' « officiers felons » qui seraient à la solde de la France – entendre par là ceux en fuite et ceux en prison, de l'urgence à tenir les présidentielles, d' « ouled França » - entendre les hirakistes - et du soutien à l'armée nationale et à son chef d'état-major. Ceinturé par la police anti-émeute en alerte, il semble attendre les marcheurs. Doté d'équipement sonore, le groupe « insolite » fait entendre ses slogans hostiles aux marcheurs qui s'approchent. Arrivés, au niveau de la stèle, les centaines de marcheurs ne se font pas prier pour lancer à leur tour « makanche el vote y a sehab el caskrote » et autres joyeusetés pas bonnes à entendre. Mais le double cordon de sécurité, celui de la police et celui du service d'ordre hirakiste, n'a pas cédé et le clash n'a pas eu lieu. Seul un boudin de cachir (saucisson) et des bouteilles d'eau vide inoffensives ont servi de projectiles contre ce groupe venu se mesurer contre le hirak. Très vite, les hirakistes ont repris leur marche en laissant derrière eux le petit groupe qu'ils qualifient de « provocateurs », « rangeristes », « cachiristes ». Plus tard, lorsque les marcheurs, rejoindront leur point de départ, ils retrouveront le même groupe bravache adossé à l'enceinte du mess des officiers, juste en face du rassemblement du hirak, toujours sous bonne garde de la police. Même s'il faut reconnaître à chacun le droit de s'exprimer et d'apporter la contradiction aux autres, cette façon de vouloir contre carrer la protestation populaire reste bien curieuse. Elle apparait probablement même suspecte surtout quand elle vient participer à cristaliser le mécontentement, exacerber le ressentiment, radicaliser les revendications et probablement éclater la colère. Sous peine de voir glisser notre pays dans le chaos, il est plus que temps de revenir à l'écoute de ce hirak constitué de modestes citoyens, de petites gens, de pères et de mères de familles en détresse, de chômeurs, de retraités, d'enseignants mal considérés, d'étudiants anxieux de leur avenir, de travailleurs menacés de perdre leur emploi et tout simplement de bonnes gens aspirant à un avenir meilleur pour leur pays. Malgré le nombre impressionnant de ses manifestants, le hirak n'est pas tout le peuple, mais il en constitue une très bonne représentation. A ces moments forts, il constitue l'équivalent de l'électorat national. Il est temps d'accéder à ses revendications, somme toute simples et légitimes. Faute de dialogue qui n'arrive pas à sortir de l'ornière et des arcanes politiciennes, il est probablement temps de passer à la négociation directe d'une issue salvatrice de la nation. Des propos et des actes apaisants et significatifs pourraient en être le coup de starter.